Il s’agit de la Villa Ugaina située sur le front de mer, au bord de la plage bordée par la digue de protection avec laquelle elle communique par une passerelle privée, comme les maisons voisines, son entrée principale donnant sur la rue Mazarin (au n° 14).
Au cœur historique de Saint-Jean-de-Luz, cette belle maison bâtie dans le style « labourdin » de près de 500 m² de surface constitua pendant de nombreuses années la résidence des Commandants de la Marine basés à Bayonne : comment ne pas se souvenir des réceptions qui y furent données par ses occupants successifs… Et des marins que l’autorité en place envoyait « discrètement » outre-Bidassoa pour en rapporter quelque « breuvage » ?
C’est l'office notarial SAS Perret et associés qui a été chargé de la vente aux enchères de l’édifice sur une mise à prix de 3 700 000 euros, la vente se faisant sur place dans la propriété le 3 décembre prochain, précédée par les visites les 30 octobre, 13, 20 et 21 novembre (sur rendez-vous au tél. 06 15 05 66 43 ou 05 56 44 53 41, Maître Jérôme Paoli, notaire, 10 chemin de la Ferme à Saint-Jean-de-Luz).
Cette belle demeure luzienne dispose de « pièces lumineuses et spacieuses avec haut plafond et très belle vue sur la baie de Saint-Jean-de-Luz mais aussi sur le port pour la partie arrière depuis certaines pièces. Elle dispose d’une annexe à usage de garage et remise pour 96m², d’un jardin / Cour sur l'arrière de la propriété »...
La demeure des « vice-rois » de l’Île des Faisans
Mais comment l’État peut-il « se débarrasser » d’un tel patrimoine qui marque dans la région l’histoire de la Marine, et au nom de quel choix politique ?
Lorsqu’il m’avait été donné, il y a six ans, d’assister (en tant que membre du Corps Diplomatique dans la région) à une des dernières passations de pouvoir entre commandants de la Marine français et espagnols, il était déjà question d’un « resserrement budgétaire de la loi de programmation militaire 2014 – 2019 qui entraînait la disparition de la base navale de l'Adour », entraînant le départ du personnel de la Marine des locaux angloys (le site « étant reconverti en pôle de services à dominante maritime, regroupant, notamment, les éléments maritimes de la douane, des affaires maritimes, et de la gendarmerie maritime »), et le restant « basculant sur la villa de Saint-Jean-de-Luz, résidence du commandant, pour se focaliser sur la Bidassoa ».
En octobre 2015, le retour temporaire dans la résidence de leur commandant à Saint-Jean-de-Luz des quelques membres conservés localement par la Marine s’était accompagné d’une remise aux normes de tout le premier étage de la villa (téléphone, réseau Internet militaire, peinture, lumières) afin de « terminer le travail dans de bonnes conditions et assurer la transition correctement pour leurs 1 500 à 2 000 administrés ».
Mais on savait déjà que les jours de la présence de la Marine à la Villa Ugaina étaient comptés, « le témoin devant être passé » le 31 décembre 2016 au commandant de Marine (Comar) de Bordeaux chargé de reprendre les attributions bayonnaises et luziennes : gestion des réservistes, rayonnement de la Marine, la défense maritime du territoire. C’est lui qui veille désormais sur toute la région Nouvelle Aquitaine…
Notre collaborateur Manech Barace se souvient, à ce propos, de ses dernières années comme Officier marinier de Réserve : parmi ses fonctions, il convenait « d'assurer la permanence de la marine à Hendaye, un ou deux samedis par mois, en complément de la permanence assurée par du personnel de la Base de l'Adour le mardi matin.
Entre autres, la vérification des documents d'assurance et l'autorisation de mouillage pour les voiliers dans la baie de Txingudi (hors port de plaisance), la mise à jour des autorisation de pêche pour les riverains de la Bidassoa (Biriatou, Urrugne, Hendaye, Irun, Hondarribia), seuls autorisés à effectuer des prélèvements dans la rivière (héritage du Traité des Pyrénées en 1659). le tout en relation avec le COMAR Bayonne (Commandant de la Base navale de l'Adour) et le commandant de la marine de Saint-Sébastien (une annexe est abritée dans une jolie maison basque aux volets verts à Fontarabie/Hondarribia) ».
Le riche passé de l’Île des Faisans
On y signait de tous temps des faceries entre communautés basques frontalières, en particulier pour la délimitation des zones de pêche, et des traités de bonne correspondance entre ports labourdins et guipuzcoans ou biscayens afin de maintenir le commerce transfrontalier par cabotage malgré les guerres incessantes entre les royaumes de France et d’Espagne.
Au XVIème siècle, on y délimita le territoire du diocèse de Bayonne qui fut amputé de sa partie méridionale, la vallée de Baztan et la côte guipuzcoane jusqu’à Saint-Sébastien. François Ier traversa cette île lorsqu’il fut fait prisonnier à la bataille de Pavie et à proximité, on procéda à l’échange, contre ses deux fils donnés en otages, de l’énorme rançon de 1.200.000 écus exigée par Charles Quint pour la libération du roi de France. Ils étaient accompagnés d’Eléonore d’Autriche, sœur aînée de Charles Quint, et future deuxième épouse de François 1er. Autre échange royal, en 1615 lorsque ambassadeurs français et espagnols accompagnèrent sur l’île deux fiancées royales : Elisabeth, fille d’Henri IV, promise à Philippe IV, et la sœur de ce dernier, Anne d’Autriche, destinée au jeune Louis XIII.
Quant à la signature de la Paix des Pyrénées le 7 novembre 1659 elle fut précédée par d'innombrables conflits d'étiquettes qui avaient fait choisir l'île « reconnue comme mitoyenne entre les deux royaumes ». On y construisit un bâtiment qui la divisait en deux parties égales, l'une réservée aux Français, l'autre aux Espagnols, avec, en son milieu, une salle munie de deux portes, affectées à la même destination, et meublée, moitié par Luis de Haro et moitié par Mazarin, les deux moitiés séparées par deux tapisseries ! Sur le bord de la séparation se trouvaient, de chaque côté, une table et une chaise, pour chacun des deux plénipotentiaires (le baron de Watteville, gentilhomme franc-comtois, pour l’Espagne, et le marquis de Chouppes pour la France) qui se trouvaient, tels des experts géomètres selon une symétrie rigoureuse, l'un sur territoire français et l'autre, sur territoire espagnol.
Entre la signature du Traité et ses noces à Saint Jean de Luz, Louis XIV eut une entrevue sur l’île avec Philippe IV pour confirmer les clauses du mariage royal.
En 1861, l’empereur Napoléon III et Isabelle II, reine des Espagnes, y élevèrent un monument commémoratif du traité.
C’est encore maintenant le seul condominium à souveraineté alternée : espagnole de février à juillet, l’île devient française chaque année d’août à janvier !
En effet, les deux Etats français et espagnol partagent la souveraineté de cet îlot de 3 000 m² sur la Bidassoa, en application de l'article 27 du traité des limites signé entre les deux pays à Bayonne en 1856 (« propriété par indivis à la France et à l’Espagne ») et de la Convention du 27 mars 1901 qui fixe son statut particulier. Chaque pays était représenté par un vice-roi, alternativement, l’officier de marine commandant la base navale de l'Adour ou son homologue de Fontarabie et de Saint-Sébastien.
Un des prédécesseurs - sur la Bidassoa - du commandant de la Marine à Bayonne fut le lieutenant de vaisseau Julien Viaud, plus connu sous son nom de plume de Pierre Loti, qui écrivit son célèbre roman « Ramuntcho » au cours de son affectation.