France, au lendemain de la désastreuse guerre franco-prussienne de 1870. Paul (Gustave Kervern) rassemble ses économies : elles constitueront la dot de sa fille Rosalie (Nadia Tereszkiewicz). Il part avec elle, en carriole découverte, dans un village voisin afin de la présenter à un cafetier Abel Deluc (Benoît Magimel) en vue d’un mariage avec ce dernier. Abel accepte la dot et le mariage. Il a besoin de cet argent car il est fortement endetté auprès de Marcelin (Benjamin Biolay), patron tout puissant de la manufacture du village. Pour arrondir ses fins de mois difficiles, Abel exerce, en parallèle de son commerce, le métier de taxidermiste. Les animaux, cerfs, biches, ont été chassés dans la vaste propriété de Marcelin.
L’argent de la dot ne suffira pas à éponger les lourdes dettes d’Abel, mais c’est tout l’argent dont il dispose. Son café est peu fréquenté par les ouvriers de la manufacture sur l’injonction de Marcelin. Seuls quelques ouvriers dont Pierre (Guillaume Gouix), un contremaître, et ses camarades y jouent aux cartes. L’estaminet est en déshérence.
La belle Rosalie cache un secret que son père s’est bien gardé de révéler à Abel. Après une modeste cérémonie de mariage, celui-ci, lors de la nuit de noces, découvre que la poitrine de Rosalie est couverte de poils. Rosalie, bien que fort jolie a un dérèglement hormonal entraînant un hirsutisme : c’est une « femme à barbe ». Elle se rase consciencieusement tous les matins afin d’apparaître normale en jeune blonde accorte.
Abel est ivre de rage : il a été trompé !
Rosalie tente de séduire son mari, sans succès. Il la rejette sans cesse et déserte le lit conjugal. Rosalie repoussée, frustrée, échafaude une stratégie…
Rosalie est le deuxième opus de Stéphanie Di Giusto après son remarquable film précédent La Danseuse (2016) sur la vie mouvementée de Loïe Fuller (1862/1928), une jeune américaine créatrice d’un nouveau style de danse (costumes et chorégraphie). Loïe Fuller est une marginale qui se bat contre la société de son temps, tout comme Rosalie, personnage librement inspiré de Clémentine Delait (1865/1919) une habitante des Vosges et « femme à barbe » célèbre en son temps.
Dans un long interview, Stéphanie Di Giusto définit son projet : « Rosalie est une affranchie qui doit affronter le regard des autres, affirmer sa féminité singulière contre les à priori d’une époque. Doit-elle se soumettre, se raser pour rentrer dans une « norme » ? Ou au contraire chercher comment assumer ce qu’elle est … Qu’est-ce que le désir pour une femme comme elle ? ».
La fabrication de Rosalie comporte deux singularités :
- Primo, le film a été entièrement tourné en décors naturels en Bretagne (Finistère, Côtes-d’Armor). Ainsi les intérieurs sombres de cette époque ont été respectés ; le chef opérateur Christos Voudouris les a éclairés en tenant compte de cette contrainte, plus véridique, quoique inconfortable (la restitution de ces lieux en studio aux coûts certes plus onéreux, aurait été plus simple). Certaines scènes d’intérieur, fort belles, sont composées comme des tableaux du peintre français George de la Tour (1593/1652) avec dans le cadre, une ou deux sources lumineuses (lampes à huile) lesquelles « découpent » dans une pénombre ambiante les silhouettes. Il y a une forte opposition entre les intérieurs, très sombres, et les extérieurs éclatants. La bascule d’un univers à l’autre est saisissante.
- Deuxio, ce long métrage a été tourné dans l’ordre chronologique afin de maintenir la tension entre les acteurs sur la découverte de la pilosité de Rosalie (minutieux travail de maquillage), de la stupéfaction d’Abel, son mari. Ce dernier « apprend » le physique particulier de sa femme, puis sa tenace résilience auprès des villageois dans le même mouvement que le spectateur. En dépit de quelques afféteries de scénario, Rosalie est écrit et réalisé d’une main ferme. Le sujet de la « femme à barbe » aurait pu être dévoyé dans un récit style « phénomène de foire ». Il n’en est rien : c’est le combat d’une femme pour s’admettre et se faire admettre dans la société de son temps, moins tolérante, plus coercitive, que l’actuelle. Nous avons « globalement » admis, nous semble-t-il, d’être indifférents à la différence.
Rosalie bénéficie de l’engagement des comédiens dans un registre qui pourrait glisser dans le ridicule ou pire dans le sensationnel. Nadia Tereszkiewicz (Rosalie) est remarquable par son jeu fin, varié, dans un rôle peu conventionnel pour une comédienne. Benoît Magimel (Abel) est tout d’un bloc taiseux, massif, englué dans ses échecs (professionnel, matrimonial), juste comme toujours. Même Benjamin Biolay (Barcelin), en patron cupide, retord, sort de son jeu habituel, routinier, peu expressif (et souvent inaudible !).
Rosalie a été présente au Festival de Cannes 2023 dans la section Un certain regard. Au dernier Festival du film francophone d’Angoulême (août 2023), Nadia Tereszkiewicz a été récompensé par le Valois de la meilleure actrice.