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Relations entre catholiques et orthodoxes : des progrès attendus
Relations entre catholiques et orthodoxes : des progrès attendus

| Alexandre de La Cerda 2522 mots

Relations entre catholiques et orthodoxes : des progrès attendus

Cardinal Etchegaray en Russie.JPEG
Le cardinal Roger Echegaray avec le primat de Pologne, le cardinal J. Glemp, secrétaire d'État du Saint-Siège, et le cardinal A. Casaroli, président du Conseil pontifical justice et Paix, lors de la célébration du millénaire du baptême de la Russie en 1988 ©
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Patriarcat Moscou : MgrAillet chez le métropolite Hilarion ©
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Cette année 2022 pourrait marquer une étape importante dans les relations entre catholiques et orthodoxes avec la perspective d’une nouvelle rencontre entre le Pape François et le Patriarche Cyrille, le chef de l’Église romaine et celui de l’Église « de toutes les Russies » (qui rassemble les deux-tiers des chrétiens orthodoxes dans le monde) s’étant déjà réunis il y a six ans à La Havane. 
Cet anniversaire donnera lieu à une table ronde sur « Le rôle des sanctuaires et des pèlerinages dans le dialogue orthodoxe-catholique » ce samedi 12 février à 15h au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe (1, quai Branly, Paris VIIème) avec la participation du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, du cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, du métropolite Antoine de Chersonèse, exarque patriarcal d’Europe occidentale du Patriarcat de Moscou et de Mgr Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Quant à la rencontre de La Havane, elle constitua assurément un événement attendu depuis le 16 juillet 1054, date de la séparation entre Byzance et Rome : après avoir été en communion pendant le premier millénaire, Orthodoxes et Catholiques se sont de plus en plus éloignés à partir du début du second.

Ruptures et hostilité

Cette rupture progressive découlera de rivalités politiques entre les États occidentaux qui commençaient à s'affirmer, et l'Empire byzantin à l’influence déclinante en Italie, au profit des Lombards, et le souci de la Papauté de se concilier ces derniers, géographiquement plus proches ; sans oublier l’antagonisme des deux Églises latine et grecque pour l'évangélisation des Slaves (Bulgarie, etc.)... Mais elle sera déterminante à partir des divergences doctrinales et liturgiques surgies entre Rome et Constantinople où déjà en 867, le patriarche Photius reprochait à la Papauté principalement l'ajout du Filioque au Credo, l'exclusion des hommes mariés du sacerdoce et l'usage de pain azyme pour l'Eucharistie.

Après les anathèmes réciproques de 1054, le sac de Constantinople par les croisés et l'établissement de diocèses latins en Terre Sainte et en Grèce (XIIIème siècle), une tentative d’union des Eglises (condamnant ceux qui niaient le "filioque") qui ne dura pas au deuxième concile de Lyon (1274), alors que précédemment, le Pape Grégoire IX avait ordonné au roi de Suède ainsi qu’aux chevaliers teutoniques d’attaquer la principauté russe de Novgorod : son jeune prince Alexandre la défendit victorieusement en 1240 à l’embouchure de la Neva, fait d’arme qui lui valut d’être universellement connu comme « Alexandre Nevsky ». N’acceptant aucun compromis avec les Catholiques malgré les offres du Pape, il battit deux ans plus tard les chevaliers teutoniques sur les glaces du lac Peipus.

Finalement, le rejet de l'union de Florence-Ferrare par les Églises orthodoxes (XVème siècle), la promulgation des nouveaux dogmes catholiques (XIXème et XXème siècles)… tout justifiait l'appel de l'évêque de Limoges exhortant en 1854 les troupes partant en Crimée à "extirper le schisme photien". 

Et même si l’Évangéliaire apporté en dot par la fille de Yaroslav le Sage, Anna Yaroslavna, devenue l'épouse du roi de France Henri Ier au XIème siècle, et sur lequel juraient les rois de France lors de leur couronnement à la cathédrale de Reims, sera présenté à l’empereur russe Pierre le Grand lors de sa visite en France en 1717, les premiers contacts avec une délégation diplomatique russe qui séjourna plusieurs semaines à Bayonne en juillet 1668 avaient « tourné à l’aigre ». 

Démêlés avec l’aubergiste bayonnais chez qui ils étaient installés car leurs stricte observation des jeûnes promus par l’Eglise Orthodoxe ne correspondait évidemment pas avec le calendrier religieux local et le cuisinier des Russes ne fut pas autorisé à « œuvrer » sur place. 

Quant aux querelles qui éclatèrent avec les deux fermiers des douanes qui se trouvaient à Bayonne, si celui du roi renonça à percevoir ses droits, en revanche le fermier du maréchal de Gramont persista à exiger les taxes qu'il estimait lui être dues en menaçant les ambassadeurs russes de leur confisquer leurs précieuses icônes de voyage...

Deux siècles plus tard, grâce au développement des échanges touristiques, Pau voyait s’élever en 1867 une église orthodoxe - consacrée à saint Alexandre Nevsky - au profit des Russes qui venaient y passer un hiver au climat « bénéfique » à la suite des Anglais, avant de goûter aux bienfaits de l’Océan grâce à la villégiature impériale biarrote instaurée par Napoléon III et Eugénie, et où sera construit un lieu de culte (également dédié à saint Alexandre Nevsky) afin de satisfaire leur vie spirituelle. 

Cependant, ce ne fut pas sans mal, car après la chute de Napoléon III en 1870, le nouveau gouvernement républicain avait refusé l’autorisation d’une église russe à Biarritz. Finalement, ce n’est qu’en 1888, avec le soutien de l’Empereur Alexandre III, que les autorités françaises autorisèrent sa construction - à condition qu’aucune cloche n’y soit placée - sur un terrain acheté par des villégiateurs russes mécènes au nom de l’ambassadeur de Russie, le baron Mohrenheim. En 1889, après l’achat du terrain dans le lotissement de l’ancien Domaine Impérial, en face de l’Hôtel du Palais, les travaux avaient été financés par de nombreux donateurs russes et l’église inaugurée en 1892...

Finalement, c’est du Pays Basque que vinrent les premiers rapprochements concrets ! 

«Tu es un bon ami, et nous avons beaucoup de raisons pour nous rapprocher»

Certes, il y eut en 1964 l'accolade historique à Jérusalem entre le pape Paul VI et le patriarche de Constantinople Athénagoras, suivie de la levée des anathèmes de 1054 en 1965...
Mais une extraordinaire personnalité religieuse issue de notre diocèse fut un acteur principal de ces « retrouvailles spirituelles », un Ezpeletar ! 
Car le cardinal Etchegaray fut un véritable pionnier du dialogue entre catholiques et orthodoxes et un ami personnel du défunt patriarche de Moscou Alexis II : en fait, c’était à l’invitation de l’ancien métropolite de Pétersbourg, le métropolite Nicodème (Rotov) qu’il était venu pour la première fois dans l’ancienne capitale de l’Empire Russe à l’époque où elle n’avait pas encore retrouvé son nom authentique. Coïncidence étrange, le métropolite Nicodème mourut d'une attaque cardiaque le 5 septembre 1978 lors d'une entrevue au Vatican avec le pape Jean-Paul Ier, lui-même décédé trois semaines plus tard, également d'un infarctus ! Mais je préfère laisser parler le cardinal Etchegaray sur son amitié avec le patriarche de l’église orthodoxe russe Alexis II :

« J’ai rencontré pour la première fois le métropolite Alexis II à Madrid, à l’Escurial, à la fin d’avril 1969. Je venais d’être nommé responsable de la Conférence épiscopale d’Europe, et il faisait partie de la Conférence des Églises chrétiennes. Et il faut dire que dès cette première rencontre, une entente s’est tout de suite établie entre nous ; il avait de grands projets œcuméniques, parce que ce qu’il désirait, comme moi, c’était un rapprochement entre les Églises et en particulier entre l’Église catholique et l’Orthodoxie russe. Et pendant quarante ans, nos liens se sont renforcés et que les initiatives communes que nous avons entreprises ensemble se sont concrétisées jusqu’à l’organisation en 1978 à Chantilly de la première réunion européenne des évêques de l’Est et de l’Ouest.
J’ai trouvé en lui un frère, exigeant mais vraiment affectueux, si compréhensif que dans mes relations avec lui, je n’ai jamais eu aucune difficulté à parler de manière sincère et sans rien cacher de ce qu’il faudrait faire pour attirer la sympathie des gens. Nous avons eu de nombreuses possibilités de travailler ensemble de tout cœur, presque partout en Europe, même si c’était parfois difficile, en plein régime communiste.
J’ai fait de nombreux voyages à Moscou, et je me souviens parfaitement de ses mots: «Tu es un bon ami, et nous avons beaucoup de raisons pour nous rapprocher»
Nous nous étions encore vus à Paris, et je m’étais donné beaucoup de mal pour faciliter ce voyage historique : le premier patriarche russe reçu officiellement à Paris, avec le président Sarkozy à ses côtés (entrevue à laquelle j’ai eu l’honneur d’assister personnellement)… 

Deux Églises distinctes mais, nous le savons, deux Églises sœurs, vraiment sœurs ! L’intimité était telle, que nous avons pu beaucoup prier ensemble, dans la chapelle de sa résidence moscovite et dans la mienne à Marseille. La chapelle est le lieu de prière où nous nous sommes sentis le plus proches l’un de l’autre (...)
Il ne faut jamais oublier ce qu’a connu l’Église russe sous le régime communiste. Si l’on relit l’histoire de cette Église, surtout après 1917, on voit combien elle a souffert et combien elle s’est battue de manière admirable pour protéger sa propre foi grâce à ses martyrs. De cette manière, elle a vraiment maintenu la foi chez ses fidèles. Dans un contexte athée et sécularisé, il n’est pas facile de vivre sa foi, mais en Russie, peut-être plus qu’ailleurs, on peut compter sur de vrais fidèles ».

En juin 2011, à l’époque vice-doyen du Collège des cardinaux après avoir présidé les Conseils pontificaux Justice et Paix et « Cor Unum », le cardinal Etchegaray s’était encore rendu à Saint-Pétersbourg à l’invitation de l’Eglise orthodoxe russe en logeant durant son séjour à l’académie de théologie orthodoxe : sur le livre d’or de l’institution, le cardinal, citant l’épître aux Galates, a invité orthodoxes et catholiques de Saint-Pétersbourg à « se laisser guider par l’Esprit »« Puisque l’Esprit est votre vie, que l’Esprit aussi vous fasse agir » (Gal, 5, 22-26).

Et je n’oublierai jamais comment le cardinal nous avait reçu fraternellement chez lui, dans sa maison « Choko maitea » à Espelette, lorsque je lui avais amené le père Alexandre Siniakov, à l’époque responsable des relations publiques et œcuméniques qui avait assisté à l’ordination de Mgr Aillet à la cathédrale de Bayonne. C’était en novembre 2008… Et quelques années plus tard, le cardinal Etchegaray rendit plusieurs fois visite, en 2011 et 2012, au séminaire de l'Eglise orthodoxe russe en France à Epinay-sous-Sénart dirigé par le père Alexandre Siniakov : le chœur du séminaire avait alors chanté « Mnogaïa leta » (Ad multos annos) au cardinal qui venait de célébrer son 90ème anniversaire ! 

Dialogue catholiques-orthodoxes : les Bayonnais en pointe

C'est sur l'initiative de Guillaume d’Alançon, alors délégué épiscopal bayonnais à la pastorale de la famille et de la vie et responsable de l’Académie Diocésaine pour la Vie qu'une délégation présidée par  l'évêque de Bayonne et composée de laïcs (Aymeric Pourbaix, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire « Famille chrétienne » et futur responsable de l’émission « En quête d’esprit » sur CNews, Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice à Strasbourg ainsi que Caroline Roux, secrétaire générale d’Alliance Vita et coordonnatrice du service d’écoute SOSbébé sur les questions liées à la maternité s'était rendue à Moscou au siège du Patriarcat de l'Eglise orthodoxe russe à l'invitation de son Département des relations extérieures. 

L'occasion de ressentir les bonnes relations nouées désormais entre les deux Eglises, en particulier lors d'une table ronde avec des religieux russes, dont l’archiprêtre Dimitri Smirnov, membre de la Commission patriarcale aux affaires de la famille et de la défense de la maternité, co-président du Conseil ecclésiastique et public d’éthique biomédicale du Patriarcat de Moscou, qui a clairement affirmé une « volonté de coopération avec l'Eglise Catholique »

La délégation fut reçue par Mgr Hilarion de Volokolamsk, chef  du département des relations extérieures du Patriarcat qui fit part de son inquiétude concernant la déliquescence des valeurs familiales traditionnelles en Europe, et particulièrement en France avec la loi sur "le mariage pour tous", et de son indignation à propos des persécutions des Chrétiens dans le monde.

Au nom des délégués français dont il avait présenté les activités, Mgr Aillet avait remercié le métropolite Hilarion pour son accueil chaleureux. Et les délégués bayonnais participèrent encore à une réunion de l'instance inter-religieuse groupant chrétiens, musulmans et bouddhistes où fut réaffirmée une volonté unanime de défendre les valeurs traditionnelles de la famille au sein d'une société civile de plus en plus sensibilisée à ce défi de notre temps !

Prochaine entrevue Pape - Patriarche

Or, précisément, c’est « la survie des chrétiens » qui constituera le thème principal de cette nouvelle rencontre entre le pape François et le patriarche orthodoxe Cyrille selon le métropolite Hilarion de Volokolamsk reçu le 22 décembre dernier au Vatican pour la préparer : « La principale question est celle de la survie des chrétiens dans un monde qui devient de plus en plus agressif à leur égard, dans de nombreuses régions du monde. Pas seulement au Proche-Orient, où, ces dernières années, les chrétiens de certains pays sont chassés en masse de leurs lieux de résidence, et pas seulement dans ceux des pays d’Afrique où les chrétiens sont poursuivis et persécutés. Mais aussi en Europe, où les cas d’attaques contre les églises et de profanation de sanctuaires sont devenus fréquents.

Les récentes déclarations du pape François en Grèce peuvent être considérées comme une contribution importante à la normalisation des rapports entre orthodoxes et catholiques.

Et si côté orthodoxe, personne ne parle de réunion des deux Églises, « car nos divisions sont très anciennes, les contradictions se sont accumulées ; les deux Églises vivent leur propre vie depuis près de neuf siècles, avec des divergences dans la compréhension de certains dogmes chrétiens fondamentaux, la vénération des saints, chaque Église ne reconnaissant pas ceux de l’autre », avant d’évoquer quelque unité, il s’agirait de « mettre enfin un terme à la situation de concurrence et d’hostilité qui a existé pendant des siècles ».

En guise de conclusion

En septembre 2013, lors du colloque « Europe d’hier et de demain » organisé par la Communauté Saint Martin, le Père Siniakov avait émis des propositions sur l’apport de la spiritualité orthodoxe à la culture européenne : 
- le sens de la beauté, car la spiritualité orthodoxe lie intimement la religion à l’art, et à la beauté, depuis le prince Wladimir séduit par la beauté du culte byzantin qui lui fera choisir la religion chrétienne en 988, et la Russie deviendra ainsi chrétienne, jusqu’à Dostoïevski annonçant que « la beauté sauvera le monde » et Hans Urs von Balthasar qui développera quant à lui cette « mission » de la beauté.... 
- la proximité avec la création, la beauté du cosmos conduisant à la connaissance de Dieu, et inversement, la connaissance de Dieu permettant de découvrir la vraie beauté du monde, comme révélation, selon de grands saints tel Séraphin de Sarov : cet apport de l’orthodoxie ouvre des perspectives intéressantes pour une réflexion chrétienne sur l’environnement. 
- le souci de la communauté ou « sobornost » décrivant le rassemblement du peuple chrétien qui forme en quelque sorte un « concile implicite permanent » et met ainsi en évidence l’unité dans la pluralité. 

Le Pape François n’avait-il pas souligné l’apport des orthodoxes, dans le cadre de cet « échange de dons » qui ouvre une voie sur le chemin de l’unité, celui de de la synodalité : « de nos frères orthodoxes, nous pouvons en apprendre davantage sur le sens de la collégialité épiscopale et sur la tradition de la synodalité. L’effort de réflexion commune, qui prend en considération la manière dont l’Église était gouvernée dans les premiers siècles, avant la rupture entre l’Orient et l’Occident, portera du fruit en son temps. Ceci est important pour les relations œcuméniques : non seulement mieux se connaître, mais aussi reconnaître ce que l’Esprit a semé dans l’autre comme un don qui nous est aussi destiné ». 

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Le P. Siniakov et Alexandre de La Cerda chez le Card. Etchegaray à Espelette ©
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Le card. Etchegaray et le P. Siniakov au séminaire russe ©
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