Il n’y a plus de « poilus » au Pays Basque, mais les commémorations du 11 novembre pour rappeler leur sacrifice ont retrouvé leur public cette année, après les restrictions dues précédemment aux coronavirus, confinement, etc. Nous avions en particulier rappelé le lourd tribut payé par la famille d’Elbée de Guéthary / voyez mon article : https://baskulture.com/article/la-saigne-de-14-18-en-pays-basque-3498
Parmi les autres figures de notre région qui se sont particulièrement illustré pendant le conflit, il convient d’évoquer celle du pilotari kanboar (de Cambo) Joseph Apesteguy. Il était né le 20 mai 1881 à la maison « Harambidia », dans le quartier du Bas-Cambo. À dix-sept ans, avec une carrure d’athlète, il défia d’abord le champion du monde en titre, un Bidartar du nom d'Arrué, dans une partie restée célèbre, durant laquelle le jeune homme domina et battit nettement son aîné. Puis il se fit remarquer au fronton du Brun, construit en 1899 dans la propriété du conseiller municipal angloy Bernard Danglade, où il eut l’occasion de jouer devant le roi Léopold de Belgique, la Reine Nathalie de Serbie - laquelle avait déjà été initiée à la pelote par Otharré, grâce à l’entremise de Pierre Loti -, le roi d'Espagne Alphonse XIII et Edouard VII d'Angleterre.
En 1914, alors que son frère cadet Bernard Apestéguy était parti avec le 49e Régiment d’Infanterie pour la frontière de l’Est, celui qui était déjà connu comme « Chiquito de Cambo », champion du monde à chistera depuis 1900 et réserviste dans l’armée, sera mobilisé à son tour en obtenant d’aller rejoindre son frère. Mais Bernard Apestéguy, qui serait peut-être devenu, lui aussi, un pelotari fameux car il promettait, tomba dès les premières batailles et Chiquito jura de le venger.
Après la retentissante victoire de la Marne, l’armée française buta contre les positions de repli organisées par le grand état-major allemand sur la ligne de l’Aisne et les coteaux de la Somme.
La longue période des tranchées et de la guerre d’usure commença.
Le secteur du 49e (composé essentiellement de militaires de la région) fut fixé, pour un temps, sur l’arête sud du plateau de Craonne. Il engloba les bâtiments d’une exploitation agricole importante, appelée la ferme d’Hurtebise, tenue par les Français, et le moulin de Vauclercq, où se tint pendant quelque temps un observatoire ennemi. Mais bientôt, il ne resta de la ferme et du moulin, sans cesse pilonnés par les deux artilleries, que deux monceaux de décombres , si épars qu’on ne les distingua plus des parapets qui, de plus en plus, boursouflèrent les deux positions.
Cependant, les combats changèrent vite de caractère : ils furent marqués par la mise en service des explosifs lancés, soit par bouches à feu, soit à la main. Bien que les Allemands eussent pris l’initiative de l’emploi de ces engins, les Français ne tardèrent pas à leur donner une réplique rigoureuse et bien souvent triomphante… grâce à Chiquito.
Ce n’était pas que les états-majors eussent prévu le genre de ces escarmouches. Ils ne firent qu’en prendre prétexte pour utiliser de vieux stocks d’armes périmées que l’Administration du Génie avait conservés dans les arsenaux avec le même soin jaloux que les arrière-grand-mères mettaient à garder en réserve leurs pots de confitures.
C’est ainsi qu’avec ses mortiers frappés aux armoiries de Charles X et de Louis-Philippe (quand ils ne portaient pas les abeilles impériales) des quantités de grenades, dites « d’artillerie », affluèrent dans les secteurs du front.
Un peu plus grosses que les balles de tennis, elles se composaient, tout simplement, de sphères de fonte évidées et bourrées de poudre noire. Elles portaient un bouchon hermétique d’où saillait un anneau.
Deux méthodes étaient préconisées pour les lancer.
L’une consistait à les déboucher, comme de vulgaires bouteilles ; mais alors elles risquaient d’échapper à la main qui les tenait et d’éclater avant d’être ramassées, l’allumage intervenant après un délai théorique de huit secondes. La seconde, moins dangereuse, était basée sur l’emploi d’une lanière fixée au poignet du lanceur par un bracelet et terminée par un crochet.
C’est là qu’intervint l’ingéniosité de notre pilotari : Chiquito de Cambo augmenta l’ouverture des chisteras et du gant pour que les projectiles sphériques pussent s’y mouvoir comme des pelotes. Son travail achevé, il alla se munir de grenades d’exercice avec lesquelles il partit au bas de la pente couronnée par notre première ligne. Et là, il procéda à son expérience, avec sa lanière à crochet. Lorsqu’il eut obtenu des résultats qui l’eurent satisfait, il remonta sur la position et se rendit au dépôt d’explosifs où il fit provision de lourdes boules de fonte. Des vraies, cette fois.
Et tout ceci, sans même prévenir ses chefs : Chiquito se dirigea vers l’emplacement où il avait déjà opéré à bras francs. Il disposa ses engins sur le parapet, devant lui et assujettit son gant de yoko-garbi qui lui avait paru le plus effectif. Alors, il se dressa, le corps exposé plus qu’à moitié au-dessus de la levée de terre et, pour son compte personnel, il entreprit un bombardement rapide et précis qui surprit autant les soldats bleus (les Français étaient encore en capotes bleues et pantalons rouges, ces derniers cachés par des enveloppes de toile bleue), que les Allemands en vert-de-gris.
Toute la ligne allemande s’alluma d’un tir intense de mousqueterie, comme pour répondre à une attaque subite.
Et sans doute, l’ennemi crut-il à une attaque en entendant ces explosions qui démolissaient ses tranchées sans que le moindre sifflement annonciateur d’obus ne les eût précédées. Des balles claquèrent autour de Chiquito et des ricochets l’environnèrent de toutes parts avec leurs miaulements sinistres…
Or, si Chiquito de Cambo bombardait d’un tir rapide et précis de grenades envoyées au moyen de son gant de joko-garbi les lignes allemandes, ces dernières répliquèrent en exposant à son tour notre pilotari à un tir nourri…
Descends !, lui criaient, tout aussi surpris que les Allemands, ses collègues français. Mais le champion du monde, imperturbable, continuait la tâche qu’il s’était assignée, jusqu’à l’épuisement total de ses munitions.
Alors, seulement, il sauta dans le boyau avec un grand rire, comme après une partie triomphale et il écouta la fusillade qui crépitait un peu partout, maintenant, comme il écoutait les bravos sur les gradins. Dans tout le secteur, la nouvelle de la prouesse se répandit comme une traînée de poudre…
Notre champion de pelote basque revint avec la Croix de Guerre et la Légion d’Honneur !
Indiquons encore que dans ses souvenirs d’enfance, Francis Michelena évoque son grand-père Martin « Apitxi » et ce fameux épisode du lancer de grenades à joko-garbi (« Apitxi mon héros ! - Du Front aux frontons », collection "Carnets d'Histoires" de l’éditeur Kilika).
Les aviateurs ne furent pas de reste...
Dans notre région, cette guerre de 14-18 réveilla ainsi la vocation d’autres héros, cette fois dans les airs.
Ainsi, le biarrot Charles Alfred Louis Boulant (de la famille d’Alfred Boulant, le patron des casinos de Biarritz et des Arènes de Bayonne), appelé le 3 octobre 1910 – à l’âge de 21 ans - au 7éme Dragons, passé à l’aviation le 25 janvier 1916 en qualité d’élève pilote et breveté le 16 mai 1916, périra à bord de son Nieuport 17, un avion de chasse biplan français en méritant cette citation : « Pilote d’une audace et d’un allant remarquable, le 20 décembre 1916 au cours d’une croisière a attaqué à l’Est de Bapaume (Pas-de-Calais), un avion ennemi de si près que, l’ayant abattu, il a été entraîné dans sa chute ».
Plus connu, Georges Guynemer dont les parents s’étaient installés à Anglet afin d’améliorer sa santé et pour que l'air de l'océan lui apporte quelques couleurs. Au printemps 1914, avec son père, sa mère et ses deux sœurs, ils louent la villa Delphine à Chiberta dans l’actuelle avenue Guynemer, juste au-dessus de la plage.
Lorsque la 1ère guerre mondiale éclate, le jeune Guynemer se rend à Bayonne pour s'engager, mais les médecins militaires le trouvent trop chétif et le déclarent inapte. Il est désespéré ; même les relations de son père n'y font rien.
C’est en observant, sur les dunes, d’audacieux aviateurs faire décoller leurs drôles de machines depuis la plage de la Chambre d’Amour que s’affirmera sa fibre aéronautique. Un matin, en voyant des avions militaires se poser dans une zone délimitée de la plage de la Chambre d’Amour angloye qui servait d’escale aux aviateurs de l’école de Pau, Georges Guynemer demandera à un des pilotes comment s'engager dans l'aviation : il faut aller à l'école de Pau.
Le 22 novembre 1914, Guynemer est engagé au titre du service auxiliaire comme élève mécanicien à Pau.
Il y approfondit sa connaissance des avions. Il veut devenir élève pilote, mais le personnel du service auxiliaire n'a pas le droit de voler. Le capitaine finit par accepter de le prendre en situation irrégulière. Le 21 janvier 1915, Guynemer devient élève pilote. Il casse beaucoup d'avions à l'atterrissage mais, avec l’appui de son instructeur Jules Védrines, il reçoit son brevet de l'Aéro-Club et celui de pilote militaire avant d’être affecté le 8 juin à l'escadrille dans laquelle il servira pendant la guerre.
Il récupère un Morane-Saulnier Type L, surnommé le « Vieux Charles », ayant appartenu à Charles Bonnard, parti combattre en Serbie. En juin 1915, il est promu au grade de sergent et est décoré de la croix de Guerre. Ce sera le célèbre capitaine de l’escadrille des Cigognes aux cinquante-trois victoires et à qui l’école de l’Air doit sa devise “Faire face”.
Pendant ce temps, l’aviation ne disparaît pas d’Anglet en temps de guerre : non loin des installations actuelles de chargement du soufre, sur les bords de l’Adour, un centre d’aviation maritime était opérationnel dès 1917. Une décision prise après l’attaque par un sous-marin allemand des Forges de Boucau cette même année. Ce centre était chargé de l’escorte des convois, de la reconnaissance et de la lutte anti-sous-marine. Douze hydravions du type Donnet-Denhaut y seront basés pendant la guerre. Nous y reviendrons une autre fois…
Notre photo de couverture : la pelote basque à l'Ecole Normale Militaire de Joinville-le-Pont