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Pays Basque, terre de Golf (I) : Chiberta
Pays Basque, terre de Golf (I) : Chiberta

| Roland Machenaud 2850 mots

Pays Basque, terre de Golf (I) : Chiberta

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Le golf de Chiberta ©
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Le golf de Chiberta ©
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Nous débutons cette semaine la publication de la première partie d'une série d'articles de Roland Machenaud, bien connu dans notre région pour avoir été le fondateur en 1994 de l'hebdomadaire régional, mais également pour son érudite connaissance du golf, auteur - entre autres - du livre "Pays Basque, terre de golf" (Atlantica) et fondateur du média digital "Golf Planète", leader en France :   https://www.golfplanete.com/

Au début, il y avait la mer, le sable, la dune, les pins et la terre basque. Puis, il y eut Tom Simpson. Le grand architecte de golf, attaché à l’aspect naturel des parcours dans la lignée des grands clubs britanniques, allait construire à Chiberta « un des meilleurs et des plus beaux golfs du monde ». C’était exactement les termes du contrat signé en décembre 1924 par cet excentrique élégant, collectionneur de vins, de cigares, de tapis, d’œuvres d’art et … de dentelles qu’il réalisait lui-même avec réussite. Simpson avait quelques règles simples : les bunkers sont là pour indiquer aux joueurs la bonne conduite de jeu et non pas pour les pénaliser (« Les mauvais joueurs transportent leur bunkers avec eux », aimait-t-il répéter), le golf est un sport qui se gagne plus au mental qu’au physique, le seul exemple à suivre est le Old Course, un dessin de parcours doit répondre aux attentes des joueurs de handicap 12 qui est le classement moyen des joueurs d’un club… Ses plus belles réalisations en France brillent encore de leur éclat original : Chantilly, Morfontaine, Hardelot, Fontainebleau. À Chiberta, il a rempli pleinement son contrat.

Une belle ballade emblématique

Comme le souligne Jean Lamaison, le pro actuel, fils et petit fils de pros à Chiberta, « ce parcours est, sans conteste, le parcours le plus emblématique de cette terre de golf qu’est le Pays Basque. D’abord, parce qu’il est le seul links du sud de l’Europe. Ensuite, parce que le vent et la pluie lui donnent ici toutes ses lettres de noblesse. Pluie qui n’affecte pas du tout le terrain, essentiellement sableux ». Jimmy Dulout qui prit les commandes du club après la guerre avant de diriger Vichy et surtout Morfontaine pendant 35 ans, rappelle que pour Tom Simpson, « le golf était une belle ballade dans la nature », améliorant ainsi sans la dénaturer l’image ancienne et rustique des premiers parcours. Il convient ainsi de respecter précisément l’état naturel du lieu, de le préserver, de se laisser guider par lui : « moins c’est artificiel, mieux c’est ! ». Exception faite pour les greens que l’architecte britannique voulait très grands et souvent à plusieurs pentes ». Ce qui fait dire à Jean Lamaison, qu’à Chiberta, parcours à l’ancienne, « on croit avoir fait le plus dur en ayant facilement atteint le green, alors que souvent, tout commence alors ! ».

Encore qu’atteindre le green facilement signifie souvent ici de rester concentré, de ne pas se tromper de clubs, de bien apprécier les éléments en jeu.

Les trous 3 ½

Ainsi, le trou numéro 1, par 5 de 437 mètres, ne présente pas de difficulté particulière … sauf que 9 fois sur 10, un vent de face gêne la mise en jeu et qu’un bosquet central peut réceptionner les longs drives. Alors, un conseil : choisissez le petit goulet à droite comme objectif de votre premier coup et essayez de garder les pieds les plus à plat possible pour choisir la bonne trajectoire. Si vous échappez aux bunkers très accueillants bien installés de chaque côté du green, un green de 32 mètres de long vous attend. Trou d’échauffement dans l’esprit de Simpson qu’on retrouve à Hardelot.

Le trou 2 est, sans doute, un des plus beaux. Blind hole qui oblige à viser à gauche de la mire, le vent favorisant une sortie hors limite sur la droite. On est alors à 120 mètres du green et le terrain est en pente. La découverte d’une vue éblouissante sur la dune, la mer et la montagne lointaine, satisfait les esthètes mais nuit à la concentration d’autant que le bunker d’entrée de green doit être évité à tout prix et que les deux derniers tiers du green sont en pente sérieuse.

Au trou numéro 3, le vent donne tout son sens à l’architecture choisie par Simpson : les frappeurs se raisonneront et iront gentiment poser la balle sur le plateau droit, sinon gare d’abord au sable qui reprend possession d’une terre ajoutée puis aux bunkers placés alors dans l’alignement.

Pas de difficulté particulière au trou 4, un par 3 de 135 mètres: ne pas hésiter à choisir un club supérieur pour éviter les deux grand bunkers de front. Suivant le vent, on peut jouer un fer 9 ou un fer 2 ! Green en descente quand on est derrière le drapeau.

Le trou 5, un par 5 de 437 mètres paraît plus long, la mer ayant mangé une partie du trou et l’ayant déformé. Au drive, ne pas être trop gourmand : hors-limite à droite et à gauche. Il faut jouer à toucher le green en 3. Et quand on est en 3 sur le green, le travail ne fait que commencer ! À la stratégie, il faut ajouter un bon wedging et un bon putting. Un mauvais bon conseil : au milieu du trou, admirez l’échancrure délicate des Trois Couronnes qui d’Espagne, surveillent le phare de Biarritz… Inoubliable, tant pis pour la perte éventuelle de concentration !

Au trou 6, par 3 de 147 mètres, si le vent souffle, viser la villa sur la gauche … en espérant qu’une rafale ramènera la balle vers le green. Peu de birdies à attendre.

Les 338 mètres du trou 7 sont en descente : trou simple quand il n’y a pas de vent mais attention, les bunkers vous accueilleront à tous les coups s’il y a du vent. Et puis il y a un hors limite à droite…

Le trou 8 est représentatif du fameux par 3 ½ tel que le propose un parcours à l’ancienne, type Simpson : ses 207 mètres font sourire les jeunes joueurs d’aujourd’hui. Il faut savoir que le green n’est pas fait pour réceptionner un coup de départ. Alors soyez performant au wedging ! On peut s’appuyer sur une petite bosse qui borde le green sur la gauche : on évitera ainsi le bunker de droite.

Quant au trou 9, un ancien par 5 ramené en par 4 de 398 mètres, il impose un joli drive au dessus des arbres qui restera à 160 mètres du drapeau. Un grand green possède un double plateau bien défendu par un bunker court à droite, un long bunker à gauche (à éviter absolument) et de l’eau à droite. Tout se jouera sur le second coup.

Au trou 10, un par 3 de 140 mètres, on ne sent jamais le vent parce qu’on est protégé par l’hôtel : il y a pourtant presque toujours, trente mètres avant le green, un énorme goulet d’air : le bunker de droite réceptionne ainsi souvent les tee-shots. Le green surélevé est très bien défendu sur les côtés.

Le merveilleux 11

Les quatre prochains trous ont été repensés, au printemps 2012, par un architecte de golf anglais installé à Moliets, Stuart Hallett. Formé à la célèbre Université d’Edimbourg, installé depuis quelques années dans les Landes, Stuart a travaillé pour plusieurs golfs français comme Saint-Cloud, Saint-Germain, Monaco, Bethemont, Chantaco, Biarritz, le Golf Bordelais, Granville, Beauvallon… Ce talentueux professionnel a principalement travaillé les départs et les bunkers des quatre trous dans l’esprit de Simpson et d’après des dessins d’origine retrouvés sur place. Ces trous de bord de mer qui ont ainsi retrouvé leur lustre d’antan commencent par l’un des plus beaux trous du parcours : le trou 11. Sa longueur n’est pas exceptionnelle, 362 mètres, mais ce trou typiquement écossais possède deux magnifiques bunkers qui attendent les drives à 210 mètres et qui peuvent empêcher d’être en deux sur le green surélevé. Ne pas hésiter à s’appuyer sur la bosse de la gauche du green ; soyez attentif, un effet d’illusion fait qu’on est souvent court !

Le trou 12, par 5 de 465 mètres, peut être considéré comme un tour de repos à ne pas rater. Pour cela, il conviendra d’être en deux à 60 mètres du green.

Le trou 13 est un autre 3 ½ qui a été rallongé de 30 mètres : la difficulté vient de la réception sur le green : une pente terrible ramène impitoyablement les balles vers le bunker de droite.

Et nous voilà alors arrivés au trou 14 inaugurant les finishing holes qui obligent à tenir pour rester dans la partie : le départ de ce par 3 de 171 mètres est surélevé. Le green est pentu, délicat et bien défendu par cinq bunkers. Le vent emporte les balles et les espoirs de birdies.

Quant au trou 15 où l’on revient dans la forêt de pins, c’est un ancien par 5 de 411 mètres qui oblige à toujours s’appuyer sur la partie gauche du fairway. Pour atteindre le green assez plat, les coups roulés sont interdits. Trou sérieux, handicap 2.

Le trou 16  donne l’impression qu’on peut se reposer : pas tout à fait faux … à la condition de faire deux très bons coups ! Petite butte du milieu à survoler et green surélevé qui conduit à choisir un club de plus.

Trou 17 : encore un 3 ½ de l’époque qui peut paraître facile. Il faut cependant passer les arbres et ne pas être trop gourmand, les bunkers du green ou le hors limite étant en jeu. Un trou simple à respecter doté d’un long green de 36 mètres, avec une belle pente qui ramène les balles vers le bunker du fond.

Et voilà le trou 18, dogleg gauche, un dernier trou, pur et beau, qui nécessite un bon drive suivi d’un bon deuxième coup. Il faudra éviter les arbres de gauche et s’appuyer sur le milieu droit du fairway, quitte à rallonger la distance. Le green légèrement surélevé et pentu est un énorme double plateau de 36 m de largeur que l’on joue par la droite. La belle ballade dans la nature de la Côte basque, moitié au bord de la mer et moitié en forêt, est alors terminée. Merci M. Simpson !

Une place particulière

Soyons clairs : si la lutte contre un parcours a toujours la signification qu’elle mérite, soit la première des raisons, Chiberta gardera une place particulière dans la tête des joueurs qui auront eu la chance de se battre contre les éléments naturels de ce défi sportif.

Non pas à cause de la longueur du parcours, vous l’avez compris, mais plutôt à cause de l’attention permanente qu’il requiert et qui est souvent perturbée par des éléments extérieurs. Écoutez plutôt le champion français Alexis Godillot : « Le parcours de Chiberta m’a fait découvrir ce qu’est le vrai golf. Celui où la technique doit se marier à la force de caractère pour maîtriser les éléments naturels qui décuplent les obstacles golfiques… Il faut jouer juste, être courageux et garder toute la sérénité nécessaire pour pouvoir réciter son meilleur jeu de golf du moment ! ».

On ne peut pas dire mieux. Il faut le répéter : Tom Simpson voulait que ses golfs aient l’air aussi naturels que possible : or qu’ils sortent du sable ou des sous-sols de la forêt, les fairways et les links de Chiberta semblent être là depuis toujours, comme gentiment offerts par un dieu écossais de passage.

Ajoutons simplement que si, sous les coups de boutoir d’un parcours requérant un « fighting spirit », la carte de score s’alourdit plus que de raison, on se consolera vite en respirant parfums boisés ou rafales iodées. Chiberta, c’est aussi une balade dans un environnement rare qu’Anglet conserve jalousement, entre Biarritz et Bayonne. Même si la fièvre immobilière alliée à l’attraction jamais freinée du Pays Basque peut parfois poser problème.

Pourtant, l’histoire de Chiberta fut longue et sinusoïdale pour arriver à la satisfaction reconnue du parcours actuel ! Le triste souvenir de la guerre est encore dans les mémoires : villas réquisitionnées et terrain dédié à un utopique mur de l’atlantique par les armées allemandes d’occupation ayant parsemé le paysage de blockhaus encore visibles. Les tempêtes aussi, comme celles qui balayent le rocher de Gibraltar qui lui aurait donné son nom. Ou les déboires financiers qui ont failli lui coûter la vie au début des années 50. Grâce aux directeurs Blanchy, Dulout, Ellisalde, Miura et à sa directrice actuelle, Estelle Nocera, le golf de Chiberta a retrouvé la place qui lui revient : un des plus beaux golfs français.

Aujourd’hui, l’évolution du golf continue : le dernier investissement salué par de nombreux golfeurs débutants ou seniors est la création d’un 9 trous, intelligemment dessiné par Pierre Thévenin et inauguré le 4 juin 2002. Ce « Parcours de l’Impératrice » d’une longueur de 1 424 mètres et d’un par 29 présente « un tracé varié dans un espace varié, entre anciennes dunes de sable boisées, champs de maïs et pâtures ».

Jean Alsuguren, Monsieur le professeur

Quant aux pros de Chiberta, Jean Alsuguren en fut un des plus célèbres. Ses frères étaient à la Nivelle, Raymond Garaialde à Chantaco, Pierre Hirigoyen à Biarritz, les Hausséguy à Hossegor. Lui, est entré à Chiberta en 1936 : Jean Alsuguren y reviendra durant les vacances alors que les sirènes de l’enseignement l’avaient conduit à La Boulie.
Patrice Galitzine le remercia longtemps de lui avoir appris « à fouetter la balle et à armer les poignets ». Henri de Lamaze était un élève régulier et appliqué. Beaucoup de joueurs expérimentés ou débutants se souviennent de ses cours recherchés.

La famille Lamaison a aussi marqué la vie du golf : Jean-Baptiste y enseigna dès 1928 et son fils Albert lui succéda au début des années 60. Joseph, frère de Jean-Baptiste, enseignait lui à Biarritz et Jean, le petit-fils, est aujourd’hui pro à Ilbarritz et à Chiberta, of course !

Parmi les autres personnalités de Chiberta, il faut retenir le tout premier pro, Jean Gassiat, père d’une dynastie basque, et Marcel Chassagny, acteur important de l’industrie de l’automobile et de l’aviation, qui fut président du club au début des années 1960, et qui, souvent sur ses deniers personnels, accéléra la qualité de l’évolution du parcours. On lui doit notamment l’introduction de l’arrosage automatique. Son nom est aujourd’hui associé à la plus importante compétition nationale entre clubs français.

Sans oublier un de ses prédécesseurs, Alfred Loewenstein, un financier astucieux qui acheta le domaine de Chiberta en 1928 pour l’offrir à sa femme, une amoureuse inconditionnelle du Pays Basque : il possédait deux aéroplanes et un hydravion qu’il aimait poser sur la mer à Biarritz, face à sa villa Bégonia. Il disparut mystérieusement dans un accident d’avion en juillet de la même année au-dessus de la Manche. Le roi de la soie artificielle et du nylon avant l’heure avait confondu la porte des toilettes et la porte de sortie qu’une main mal intentionnée lui aurait aidé à franchir…

Enfin, il conviendra de s’arrêter à l’hôtel du Golf et de Chiberta de style néo-basque (tendance navarraise) conçu en 1927 pour devenir un rendez-vous mondain : un adjectif qui ne convient pas au Pays Basque, ce qui explique peut-être que le club-house quitta ses murs pour s’installer de l’autre côté du putting-green. En emportant un palmarès et un esprit sportifs exemplaires et en laissant derrière lui un brin de nostalgie et un souffle de parfum féminin oublié.

www.golfchiberta.com

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Anglet/Chiberta, la villa Prinkipo ©
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« Prinkipo », une énigmatique villa

Beaucoup de constructions qui jalonnent le parcours de Chiberta sont autant de références architecturales appréciées des connaisseurs. Ainsi, les villas Bagheera, Allaecana, Rêverie ou San Miguel.
La plus énigmatique reste la construction qui clôt le trou numéro 1, d’un rose inoubliable, de style arabo-bandes dessinées, massive et dotée d’une tour carrée, gardée par une armée d’hortensias généreux. Il s’agit, en fait, de la copie d’un fort ottoman « situé dans une île du Bosphore, Büyükada ou Île des Princes, que l’on peut voir de tous les endroits d’Istanbul ». C’est Robert Poole, un citoyen américain, membre du club, qui fit construire cette villa dans les années 20.

Golf et corrida

Cela se passe en 1956 : France-Espagne en demi-finale de la coupe Royal Blackheath. Henri de Lamaze, aficionado de toros, demande qu’on avance la rencontre afin qu’il puisse se rendre à temps à la corrida donnée ce jour-là aux arènes de Bayonne. Refus espagnol. Réponse immédiate du champion français : festival d’agressivité positive dans les neuf premiers trous. Il rentre deux sorties de bunker et un plein coup de fer cinq. Et galope vers une victoire précoce pour arriver à l’heure aux arènes … en souliers de golf !

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Chiberta : le Ballet du marquis de Cuevas ©
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L’historique soirée du Marquis de Cuevas

La journée avait été magnifique, la soirée allait être inoubliable. Le 1er septembre 1953, le Marquis et la Marquise de Cuevas reçoivent, dans les jardins du Country Club du golf de Chiberta, 2 350 invités triés sur le volet. Laquais en habit rouge et perruque blanche, vélum bleu ciel, des rois et des princesses, des ambassadeurs et des comédiennes, des envoyés spéciaux d’Italie, des Indes ou des Antilles … Un monde bigarré, inhabituel sur la Côte Basque, qui applaudit à tout rompre quand les étoiles du ballet du Marquis commencent à danser sur un radeau lumineux tiré par douze cygnes blancs. À l’aube naissante, Guy d’Arcangues qui avait commencé le golf à Chiberta à l’age de sept ans dans les années 30, alors membre de l’équipe de France, quittait heureux cette fête inoubliable dont il parlera longtemps.

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