Julius Robert Oppenheimer, surnommé le « père de la bombe atomique » est né à New York en 1904 dans une famille juive, aisée. Il fait de brillantes études secondaires durant lesquelles il se passionne pour la chimie et les mathématiques. C’est également un lecteur des auteurs grecs Homère (VIII siècle avant J.C) et Platon (482/347 avant J.C) dans leur langue ainsi que de Virgile (70/19 avant J.C) et Horace (65/8 avant J.C) en latin.
En 1921, à 17 ans, Il découvre le Nouveau Mexique où il rencontre la femme de sa vie, Katherine Chaves Pages (« Katty) », une femme mariée de 28 ans qui gère un ranch l’été et enseigne, le reste de l’année, à New York. En septembre 1922, il entre à la prestigieuse université d’Harvard où, en plus de son cursus en chimie, il suit des cours de littérature française, de mathématiques, de sanskrit, etc.
A l’université d’Harvard son professeur Percy Bridgman (1882/1961, prix Nobel 1946), un prestigieux physicien, lui fait découvrir la physique expérimentale. Au sein de l’université, il est membre d’un club ou sont discutées les grandes questions de géopolitique : le Traité de Versailles, la révolution bolchevique, la renaissance du Ku Klux Klan aux États-Unis, etc.
A la fin de ses études, il fait une demande pour travailler à l’université de Cambridge en Angleterre. Elle est acceptée. En 1925, Robert part en Angleterre. Dans ce milieu de haut niveau scientifique il délaisse la chimie (trop maladroit dans les travaux pratiques) pour la physique. A Cambridge, Oppenheimer échange avec le physicien danois Niels Bohr (1885/1962, prix Nobel 1922) qui lui apprend l’existence d’un scientifique allemand Werner Heisenberg (1901/1976, prix Nobel 1932) « découvreur » de la mécanique quantique. Il s’enthousiasme pour cette nouvelle physique non newtonienne.
En 1926, à Leyde aux Pays Bas, il rencontre Max Born (1882/1970, prix Nobel 1954) qui percevant son potentiel intellectuel, l’invite à Göttingen pour y faire son doctorat. Robert accepte sans hésiter. En Allemagne, sous la poussée du parti nazi, l’antisémitisme s’est généralisé mais affecte peu les milieux universitaires car ces plus éminents scientifiques sont juifs : Philippe Franck (1884/1966), Born, Courant, etc. Robert Oppenheimer travaille d’arrache pieds et publie plusieurs articles innovants. En 1927, Max Born donne la mention « très bien » à sa thèse de doctorat.
Robert Oppenheimer retourne aux États-Unis où il enseigne dans deux universités : l’université d’Harvard à Boston sur la côte est, et la Caltech (California Institude of Technology) à Pasadena sur la côte ouest. En 1928, de nouveau sollicité, il abandonne l’université d’Harvard et il accepte d’enseigner à l’Université de Californie à Berkeley, état dont il apprécie le climat. L’unique enseignant en physique théorique est un ancien militaire autodidacte Lewis Strauss (1896/1974) heureux d’accueillir un scientifique à la renommée grandissante ; plus tard, après la Seconde Guerre Mondiale (1939/1945), il sera son irréductible ennemi. Ayant négocié un voyage en Europe avant sa prise de fonction, Robert Oppenheimer sillonne la Hollande, la Suisse et multiplie les contacts. Passionné par la recherche théorique, il affirme à son frère cadet Frank (1912/1985) : « La physique m’est plus nécessaire que des amis ».
En 1929, de retour aux États Unis, Robert Oppenheimer se fixe un but : fonder une école de physique théorique sur le sol américain. Cependant, les meilleurs théoriciens travaillent en Europe. En Allemagne à partir des années 1930, sous la pression du nazisme, Albert Einstein (1879/1955, prix Nobel 1921), Enrico Fermi (1901/1954, prix Nobel 1938), Hans Bethe (1906/2005, prix Nobel 1967), Eugene Wigner (1902/1995, prix Nobel 1963), Edward Teller (1908/2003), Samuel Goudsmit (1902/1978), George Uhlenbeck (1900/1988) et tant d’autres savants s’exilent aux Etats-Unis.
Grâce à ses voyages en Europe conjugués à la vague de scientifiques de haut vol refugiés, Robert Oppenheimer consolide un important réseau social : il lui sera très utile dans l’avenir. A l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en janvier 1933, une nouvelle vague de scientifiques allemands, de confession juive, émigrent aux États-Unis.
En 1936, Robert Oppenheimer est reconnu par la communauté scientifique comme : « l’un des premiers physiciens américains ». En septembre 1936, il rencontre Jean Tatlock (1914/1944) une militante communiste ; il établit avec elle une relation au « caractère passionnel, orageux et intermittent ». Elle lui fait rencontrer des amis qui défendent la cause des républicains espagnols (guerre d’Espagne 1936/1939). En dépit de sa sympathie et de son engagement (collectes de fonds pour des organisations humanitaires) il ne sera jamais membre du Parti Communiste des États Unis (PCEUA).
Le pacte germano-soviétique en août 1939 renforcera sa méfiance envers l’Union Soviétique qui n’est à ses yeux qu’un régime autoritaire. La Seconde Guerre Mondiale démarre le 1er septembre 1939 par l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht (armée du III Reich). La guerre s’installe dans toute l’Europe. Aux États Unis l’opinion publique est majoritairement isolationniste. Alerté par ses fréquentations, le FBI (Fédéral Bureau of Investigation) ouvre un dossier à son nom en mars 1941. Le 7 décembre 1941 les japonais attaquent, sans déclaration de guerre, la base navale de Pearl Harbour (Hawaï). L’Amérique entre en guerre …
Le Président des Etats-Unis Franklin Delano Roosevelt (1882/1945) est mis au courant des recherches nucléaires en Allemagne qui pourront conduire, à court terme, à la fabrication d’une arme de destruction massive basée sur la fission nucléaire. Ces travaux sont menés sous la responsabilité du théoricien Werner Heisenberg. Ce dernier a rendu visite à Niels Bohr à Copenhague et lui a confié que ses services éprouvent des difficultés techniques dans la réalisation d’une bombe atomique. Niels Bohr « terrifié des conséquences » transmet l’information aux services secrets britanniques qui à leur tour la transmette aux services américains.
En 1942, avec trois ans de retard sur les allemands, l’armée américaine reçoit comme mission de s’engager dans la création d’une bombe atomique : le projet Manhattan. Ce dernier sera piloté par un soldat énergique, le général Leslie Richard Groves (1896/1970). Ce militaire engage, en févier 1943, Robert Oppenheimer comme directeur scientifique du projet Manhattan en dépit de ses sympathies à gauche et de la réprobation du comité d’accréditation.
Robert Oppenheimer réussit à imposer au bouillant général ses idées afin de combler, le plus rapidement possible, les trois ans de retard sur les chercheurs allemands. D’abord créer un village isolé au Nouveau Mexique où il pourra grâce à son entregent rassembler, avec leur famille (!), les meilleurs scientifiques des États-Unis (américains, réfugiés, migrants, etc.). Le lieu choisi Los Alamos devra être tenu secret et gardé par l’armée.
Robert Oppenheimer est soumis à une triple pression constante : lancement du laboratoire, recrutement du personnel qualifié, harcèlement des services de sécurité qui craignent les fuites. Le « village » à la fin de la guerre comptera 1.100 chercheurs et plus de 5.000 habitants.
Le 16 juillet 1945 au Nouveau Mexique sur un champ de tir, explose au premier essai, la première bombe atomique « Gadget » fabriquée dans le cadre du projet Manhattan. Le 6 août 1945 le bombardier B29 Enola Gay largue « Little Boy » au-dessus d’Hiroshima tuant sur le coup 130.000 habitants. Le 9 août 1945 le bombardier B29 Bockscar largue au-dessus de Nagasaki « Fat Man » tuant 70.000 habitants. Le 2 septembre 1945, l’Empire du Soleil Levant capitule. La guerre est finie … Robert Oppenheimer est ravagé par l’hécatombe. Il est affirme-t-il « avec du sang sur les mains ».
Oppenheimer est un biopic produit et réalisé par le cinéaste britannique/américain Christopher Nolan (43 ans). Ce long métrage de trois heures (181’) tout aussi ambitieux que son précédent opus (Tenet, 2020) est son douzième. Comme pour ses films précédents, le réalisateur a rédigé le scénario, ici complexe, à partir de l’ouvrage américain paru en 2005 : American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer de Kai Bird et Martin J. Sherwin (traduction française en 2023 au Cherche midi – 900 pages !).
Le récit de la vie de Robert Oppenheimer, non linéaire, est en trois temps : primo, fin du cycle d’études à la faculté de Harvard, ses voyages en Europe et ses propres recherches, puis son rôle d’enseignant à Berkeley où il rencontre pour la première fois Lewis Strauss. Secundo, son ascension lorsqu’il est choisi comme directeur du projet Manhattan jusqu'au premier essai, réussi, de la bombe atomique (code Trinity). Tercio, avec la conséquence des deux bombes atomiques (Little Boy, Fat Man) larguées sur le Japon, ses doutes, ses questionnements, ses angoisses, sur le devenir d’un monde post-atomique (prolifération des armes atomiques).
Cette structure ternaire est sans cesse « dérangée » par l’intrusion d’un personnage avide de gloire et jaloux, Lewis Strauss, auditionné par une commission sénatoriale en 1959 en espérant être confirmé au poste de Secrétaire au Commerce des États Unis sous l’administration du président Dwight D. Eisenhower (1890/1969). Ces inserts brutaux, au cœur de la narration ternaire, soulignent la haine inextinguible de Lewis Strauss ; ils sont les seuls tournés en noir et blanc.
Christopher Nolan démontre à nouveau toute la puissance de l’art cinématographique en « exacerbant » ses composantes : une image somptueuse (directeur de la photographie : Hoyte Van Hoytema) en couleur et noir et blanc – IMAX 65 mm (pellicule !) ; un son très travaillé (musiques de Ludwig Göransson) en Dolby Atmos ; un montage nerveux avec de soudaines interruptions qui laissent le spectateur en suspens, en manque. Les narrations sont imbriquées (le public et le privé) et les montages parallèles (Oppenheimer et Lewis Strauss son ombre maléfique). Robert Oppenheimer est décrit comme un scientifique d’une intelligence exceptionnelle, d’une grande puissance de travail, mais émotionnellement instable, tour à tour détaché ou/et angoissé.
La complexité psychique de ce physicien hors pair, « manager » d’un groupe de scientifiques aux egos développés est incarné avec conviction par l’acteur irlandais Cillian Murphy (sixième collaboration avec le réalisateur).
Tous les acteurs seraient à citer pour leur implication dans ce long métrage : Emily Blunt (Katerine Oppenheimer), Florence Pugh (Jean Tatlock) ; et chez les hommes : Matt Damon (le lieutenant général Leslie Groves), Robert Downey Jr. (Lewis Strauss), etc. Le théoricien et critique de cinéma David Bordwell déclare : « il est rare de trouver un réalisateur grand public qui se concentre avec autant d’acharnement sur l’exploration d’un lot particulier de techniques de narrations ». Christopher Nolan nous propose des possibles inattendus.
Christopher Nolan malgré de gros budgets pour ses films (Oppenheimer : 100 millions de € !), maintient son « point de vue » car il garde la maitrise artistique et économique de ses œuvres. Ainsi, il privilégie les décors naturels, la prise de son direct, plutôt que des effets spéciaux numériques et des doublages en studio. Ses œuvres ne sont pas artificielles comme désincarnée, à l’instar de nombreux « blockbuster » américain ou autre. Dans ses ouvrages (citons pour exemple la trilogie sur Batman : Batman Begins (2005), The Dark Knight (2008), The Dark Knight Rises (2012) ou son avant dernier opus Tenet (2020), le personnage principal est en crise confronté à ses démons : la peur, l’angoisse, la solitude, la culpabilité, la jalousie, etc.
Christopher Nolan est un réalisateur singulier qui poursuit à travers ses films une quête du « film subjectif parfait » susceptible de nous captiver en mixant les temporalités psychiques/physiques créatrices d’émotions et de réflexions. Ainsi postule-t-il sur l’intelligence des spectateurs. Oppenheimer est de cette veine !