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Spiritualité
Novembre, et des vivants et des morts
Novembre, et des vivants et des morts

| François-Xavier Esponde 2805 mots

Novembre, et des vivants et des morts

A - Le culte  de tous les humains

En ce temps automnal vient chaque année ce souvenir de la présence et des vivants et des morts à notre mémoire. Et s'y souvenant les questions fusent. de  l'histoire de nos origines  incandescentes à l'esprit. Comment, avec qui et pourquoi nos ancêtres se conduisaient ils avec leurs disparus selon des pratiques bien récentes de notre savoir du sujet. Les cimetières dans le meilleur des cas n'ont que quelques 400 ans d'existence pour la plupart et sont de facture contemporaine au regard d'un long passé de longévité de vie de nos histoires personnelles.
Les études archéologiques de ces cinquante dernières années donnent des informations intéressantes sur de tels sujets. A savoir distinguer le temps des mérovingiens jusqu'au VIIIème siècle et suivi des carolingiens, où depuis Clovis et suivant les us et coutumes funéraires ont évolué au prorata d'une christianisation globale de la société en Gaule, dans les Pays anglo-saxons et nordiques. Avec pour ces derniers une appartenance à la forêt et aux grands espaces dans le choix de leur cimetière.

Les historiens soulignent le peu d'archives disponibles en ce cas sur "le cimiterium" latin à propos de mausolée, de nécropole évoluant au gré du temps vers une culture chrétienne du royaume des morts et des vivants associés sans l'être totalement, selon les époques proches ou distendues .

Au temps de la mémoire reculée de cet espace funéraire , on évoque selon les chroniques d'époque une multiplicité de lieux en pleine nature correspondant au temps mérovingien au préalable. Chacun étant à la découverte de ces lieux dispersés au milieu des champs, s'interrogeant, pourquoi en ces endroits ciblés par les témoins d'époque, pour qui, et pour quelle fonction ? Selon quelques sources des espaces en bois qui ont disparu mais préfiguraient des lieux mémoriels des vivants.

L'archéologie funéraire, une science relativement récente apporte son ajout de techniques scientifiques sur les matériaux trouvés outre le minéral en ces lieux lors de fouilles passées. Au milieu d'armes, de lumignons, de lampes à huile, de céramiques, d'objets fétiches, de nourriture ou d'ustensiles pour ces usages, on s'interroge sans cesse pour connaitre les conduites des autochtones avec leurs disparus, en plein champ ou suivant des rangées ordonnées de corps gisants allongés côte à côte ? Mais pour quoi ? Pour quel message de la part des vivants ? Vers quels horizons ?

Pendant des millénaires faute de lieu de culte attaché à ces lieux mémoriels de la mort reconnus   comme en Dordogne, ou en Gironde,  on s'est interrogé par quelle intention on avait prévu pour quelque sujet de rang social reconnu de réserver ces espaces sacrés ou rendus comme tels loin des habitations, en clairière de forêts, et conservés par la dévotion populaire comme des zones protégées.

On les pillait régulièrement se faisant de leur patrimoine funéraire car il était de tradition d'accompagner le trépassé en sa dernière demeure des attributs de son rang, de faveurs de sa qualité et d'objets de valeur lui ayant appartenu, bijoux, décorations, ou gratifications objets de convoitise inassouvie des envieux.

Les anthropologues n'ont eu de cesse de comprendre les assises familiales de ces disparus, le sort réservé aux gens de condition modeste, aux nomades et vagabonds qui fréquentaient assidument les quelques lieux de villégiature existants dans les villes d'où ils pouvaient être chassés comme importuns. L'ethnie, le degré de notoriété, la fortune avaient en ce temps leur lot de gratification à l'heure de la mort tarifé diversement selon les sujets.

Nobles et belles gens disposaient de leurs espaces funéraires bien avant leurs castels ou maisons de maitres, familiales ou de terres agraires. L'anthropologie sociale et biologique s'intéressaient désormais à l'origine de leurs population et à leurs conduites à l'heure de la mort de leurs proches par les mentalités d'époque autour de la mort. Parmi les auteurs de ce thème, on doit citer Philippe Ariès historien médiéval, Pierre Chaunu, et des études de thèses spécifiquement attachées à ces questions funéraires en moulte régions françaises. Pour ces auteurs le cimetière devient objet de recherche archéologique, au fur et à mesure que des champs funéraires les plus primitifs inspirent le courant sous influence religieuse qui va se replier vers l'église au temps carolingien dès le VIIIème siècle et autour de l'an Mil où les premiers cimetières les plus anciens vont se juxtaposer au lieu des cultes des morts dans le cimetière et l'oratoire attenante au premier.

Pour ces témoins La Table des douze Lois ordonnait dans l'empire romain de la distance entre le royaume des vivants et des morts, des habitations des premiers et des seconds, La proximité du vicus avait du sens comme celui des barbares ou des nomades surnuméraires en ces temps médiévaux .marginalisés des mieux lotis.

On imagine aujourd'hui avec peine la distance entretenue par les entourages au sujet des morts et des traditions véhiculées autour de l'église par les gens des villages ou bourgs en constitution. Barbares tenus à distance des habitations, ou néophytes ambulants sans domicile. Plus tard ces populations viendront chercher refuge dans les couvents et les congrégations religieuses dont certaines acquerront la vocation funéraire par le nombre des morts constatés dans leurs monastères de par ces itinérants sans domicile fixe.

Le transport de nécropoles vers l'église se faisant sur plusieurs siècles, le culte rendu à de nombreux saints chrétiens des campagnes dans ces nouveaux espaces cultuels et mémoriels de leurs disparus développeront cette proximité et promiscuité entre ces deux mondes peu préparés à s'unir dans le même espace rural d'un lieu communal en cours de réalisation.

Le culte aux morts rendus parfois dans des chapelles sises en les cimetières eux mêmes pour les gens les mieux pourvus, des hommes de foi rendant le service possible, l'âme du village se fondait dans cet espace sacré et par l'église, ses liturgies autour des disparus, et le lieu présentiel des morts alentour.

Il fallut du temps pour unifier ces horizons mémoriels, sachant que pendant des siècles l'église elle même servit de cimetière sous ses dalles du pavement et du porche attenant, jusqu'aux restrictions sanitaires passées. La lèpre, le choléra, la tuberculose provoquant de nombreux morts il fallut pourvoir aux urgences en reléguant le royaume des morts de celui des vivants, aux périphéries urbaines.

Des livres comme Naissance du cimetière chrétien verront le jour en 1999 inspirés et enrichis des méthodes scientifiques modernes telles l'archéo thanatologie qui analyse l'état des gisants lors de leurs enquêtes en cimetières ou espaces de recherches  sur les vestiges microscopiques de biens ayant appartenu aux disparus, et des éléments de connaissances possibles à l'aide de ces techniques contemporaines.

Les cimetières avaient ils les mêmes usages pour toutes les populations ? Chacun avait il les mêmes droits d'y accéder ? On apprend dés lors que des populations entières, tels les juifs, les nomades, les prisonniers, les malades atteints d'épidémies multiples, ne disposaient de tels droits. Ajoutant à ces disparités le cas d'excommunications des Réformés indociles à la suite de l'Edit de Nantes, de juifs morts au cours d'un séjour dans une ville habitée par des catholiques issus d'un autre culte, de musulmans du Midi de la France pour lesquels on fit ajouter par exemple dans un cimetière marseillais un carré musulman. Espace des vivants et des morts les sujets de débats ne manquaient pas mais on obtenait solution par le dialogue nécessaire en ce cas.

A Bayonne c'est le curé de Saint-Etienne, qui fit obtenir aux juifs sépharades de la ville le premier cimetière pour leurs fidèles.

Paris disposait de 200 cimetières, comprenez des espaces funéraires distincts selon les populations, les religions et les secteurs d'habitation. La question demeurait cependant à qui étaient destinés ces lieux de mémoire, à quelques bénéficiaires du lieu, des étrangers ou des autochtones ? Qui disposait de ce pouvoir de décider l'us et la disponibilité des espaces du cimetière ?

La révolution française et le Droit napoléon suivant modifièrent bien des articles de ces règles droit en vigueur. On s'appliqua désormais à renoncer aux inhumations en ville autour des lieux de culte, églises ou temples, pour un espace à la périphérie ou hors des zones d'habitations communales. Ces espaces rejoints depuis par l'extension des communes se sont retrouvés enserrés dans l'habitat communal par défaut de terre constructible dans les villes.

Ces dernières décennies une autre pratique dite de l'incinérarium a modifié quelque peu la pratique funéraire et l'accès direct des corps dans les cimetières. Le manque de disponibilité de sépultures ayant aggravé l'usage, on retrouver comme en ce temps mérovingien comme jadis de multiples lieux mémoriels, en sus des cimetières, propriétés personnelles, lieux de villégiature ou de loisir où les cendres humaines, sont dispersées, ajoutant de la sorte au conventionnel du funéraire cette disparité de moyens et de choix personnels à propos de l'après crémation.

De tels lieux de sobriété spartiate et de peu d'esthétique créative sont rivés à des colonnes d'urnes ou colombarium répondant à l'urgence de la demande mais en quête d'originalité mémorielle faute de quoi leur postérité ressemblera en un entrepôt remisé à l'utilitaire faute de mieux.

La croissance des villes, une population inversement proportionnée à la baisse des populations rurales, impose désormais de nouvelles initiatives en faveur des familles dépourvues de disponibilité de sépultures, permettant en des régions comme la nôtre sur la côte basque d'assoir l'habitat des vivants et des morts dans la durée et la fidélité des survivants.

B - Aux origines de l'Eglise

Les chroniqueurs rapportent, dans la mentalité de ces temps, "on admettait tout le monde dans l'assemblée chrétienne. Il n'y avait plus ni juif, ni grec, ni esclave ni homme libre, il n'y a plus l'homme et la femme car tous vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus" Gal 3,28 ( On se serait bien éloigné désormais de ce temps prophétique )

A la différence des parties compartimentées de l'empire romain où les barrières sociales étaient tenues, chez les chrétiens tous célébraient ensemble quelle que soit l'origine ou la condition. C'est une observation donnée par Pline l'écrivain romain, alors gouverneur de Bithynie dans une lettre à l'Empereur Trajan, vers 110 en ces termes en latin "vulgum et promiscuum" mélangé avec le vulgaire !

Les Gaulois nos ancêtres le rapportent autour des Martyrs de Lyon, Blandine l'esclave est arrêtée avec sa maitresse en 177, comme à Carthage en 203 où Perpétue de noble origine est un frère pour sa servante Félicité. le pape Sixte III fit graver vers 432 sur le baptistère du Latran  "Entre tous ceux qui renaissent de la fontaine du baptême , il n'y a pas de différence : ils ont un"!

Dans une assemblée de fidèles comme à Toussaint aujourd'hui ils viennent de toutes catégories baptisés ou non, distincts "des fidèles" dont le titre est réservé aux chrétiens. On n' oserait aujourd'hui pratiquer le tri sélectif de l'assemblée sur cette appartenance fidèle, passagère, intermittente.

Au 1er siècle sur un graffiti on trouve "Anaxamenos fidelis", fidelis exfidelibus, fidèle né de fidèles". Pour un catéchumène comme rappelé vers 150 à propos de l'eucharistie par saint Justin. Puis le nombre s'ajoutant on fera participer les catéchumènes à la liturgie de la Parole jusqu'à l'offertoire, et même avant les intentions de prières comme dit désormais des intentions universelles ou prières des fidèles car seuls les prières y prenaient part. Les curieux dispensés étaient priés de se retirer. "Si quelqu'un est catéchumène qu'il s'en aille" disait-on !

Si quelqu'un est païen ou non baptisé qu'il s'en aille, ou si quelqu'un n'a rien à faire ici qu'il se retire, disait le diacre chargé du service d'ordre. Le ferait-on aujourd'hui ? Je n'ai pas la réponse.

Quand les formes de la célébration prendront forme, vers les IVème et Vème siècles, la porte voix !

La participation liturgique semblait mince, si les chants étaient repris par les scholas, les lectures par les lecteurs désignés capables de lire, la foule illettrée on entendait des AMEN bien assurés qui ponctuaient cette prière.

Saint Jérôme parle de ces amen bien sentis, comme des coups de tonnerre. Autre participation des fidèles, les offrandes rituelles de vin et de pain azyme, en choisissant ceux des dons les plus présentables, La foule se manifestait librement et vox populi spontanément. On cite la lecture de la Passion à Jérusalem, le récit de la mise en croix semblerait théâtrale pour nous aujourd'hui mais non en Orient, les fidèles criaient leur douleur et s'identifiaient comme en Espagne au sud autour des passions de rue. 
On n'aurait sans doute pas restauré le silence, peu envisageable en ces communautés aimant la démonstration scénique et religieuse, entendue et portée librement.

Saint Augustin pouvait parfois s'en plaindre ou le regretter, mais était-il pour autant entendu ?

Priver de ce ressort émotionnel tout rite religieux de tous les temps le rendrait insipide, conformiste, ou ennuyeux, tel semble la critique que nous font des fidèles autour de ces exhibitions de visites papales dans des pays du sud global. Mais pourquoi donc y renoncer, pour quel bénéfice !

C- Des appartenances distinctes au cimetière.

Les archéologues et les études radio biologiques apportent leur lot de connaissances sur un domaine en cours d'étude. Le carbone utilisé pour ces recherches des corps et la nature des sols du cimetière apprennent ainsi que la communauté chrétienne préservait son identité en distinguant et séparant des espaces cinéraires selon des raisons particulières. Ainsi donc des individus étaient privés de sépulture pour leur état de mauvais chrétiens, d'excommuniés de l'église, d'auteurs de tueries en duel, de mort violente telle le suicide, ou le jugement de la justice.

Privés de cérémonie religieuse et de sépulture commune, des buttes ou des haies entretenues depuis des siècles illustraient les zones licites et les zones interdites aux dévotions les concernant avant puis après leur inhumation. Le statut de mauvais morts après celui de mauvais vivants les condamnaient à la double peine d'être jeté dehors après trépas, recueillis ou livrés à la nature sans égard, on imagine peu le destin peu enviable de ces êtres à la mort infamante. illustrée par des canonistes, des Xème au XIIème siècles, et les éloigner du reste des vivants. Un parchemin de Carpentras présente en enluminure ces croyances ancrées et entretenues dans les esprits.

Des terrains juxtaposées en nécropole prouvent et attestent leur conformité aux règles en vigueur. L'évêque de Saintes au XIIIème siècle, Geoffroy de Saint Brice donne des instructions funéraires à observer pour placer en surfaces périphériques ces mauvais morts dans sa cathédrale. Le carré chrétien et le profane ou paien sont cités par les autorités religieuses, promues et imposées non sans peine car le sol meuble pouvait permettre le transfert vers le carré d'à coté, en faisait intervenir les services d'ordre d'époque pour respecter les consignes.

Les archéologues du cimetière observent trois niveaux au cimetière, le plus bas aux fonds pour les gueux ou la plèbe selon le langage d'époque, le second plus élevé pour les croyants fidèles mais irréguliers dans leurs pratiques particulièrement de la confession lors de leur mort, et au dessus des précédents celui du carré vertueux observant et obéissant aux consignes religieuses.

Le langage au carbone et la radio biologie confortent les consignes de l'église à ce sujet. Dans un propos plus sociétal , les chroniqueurs parlent des classes sociales de l'époque, clergé, noblesse et le peuple.  Mais ici s'agissant de constater ces espaces funéraires différents, dans le sol meuble d'origine, on se doit de se confier aux preuves matérielles des techniques de l'investigation.

L'espace "ad tempus" - pour le temps - avait donc une perspective pédagogique dissuasive pour tout vivant jusque le cimetière où la promiscuité des trépassés exigeait des interdits qui semblent aujourd'hui sectaires, mais en ces temps exposés  on les pratiquait comme des barrières de prévoyance entre des classes sociales dont il était difficile de ne pas reconnaitre leur existence.

Un devoir d'inhumer les morts ou besoin de les inhumer, quand la sépulture n'est pas nécessaire au salut de l'âme humaine se semblait une subtilité canonique peu réclamée pour le cas. Le cimetière en ces débuts voyait le recrutement s'ajouter d'année en année, de la part de ceux qui renonçaient à leurs sépultures à travers champs ou leurs rangées de mort à la clairière de leurs terres. 

Les temps d'hostilité religieuse comme au temps de la Réforme accentuèrent ces difficultés, il fallut donc réglementer la discipline au cimetière devenu un enjeu de dispute comme l'église elle même catholique puis temple jusqu'à le retour aux pratiques plus anciennes.

le domaine du cimetière toujours proche de celui des vivants entretenait les tensions religieuses de ces époques où les fidèles chrétiens disposeraient désormais de ce dernier carré de promiscuité après une vie de séparation effective. Autour de quelques bottes de terre, séparées d'une haie rudimentaire, sans barrière sinon quelques limites marquées de planches de bois, la nécropole demeurait l'extension des habitats d'époque où la pierre était encore rare et la construction bien à venir pour "le vicus", comprenez les espaces de vie et "le cimiterium" l'espace du repos sans limite !

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