1 – La cuisine française des origines.
Par les jours confinés qui s’imposent aux métiers de bouche les plus prisés de la société, il est charmant de retrouver aux Presses Universitaires François-Rabelais le récit documenté de Bruno Laurioux du Modèle culinaire français, à savourer avec précaution.
A l’occasion de la Grande Exposition consacrée à la Cité des Sciences de Paris sur ce sujet, les curieux de savoir culinaire pourront y découvrir les objets de leur désir et de leur propre connaissance.
“Dans ces banquets royaux, il y a foule de gens de prestige, d’invités, et de figurants pour qui la proximité de l’instant est gage de reconnaissance. Il y faut organiser la promiscuité de chacun sans confusion des rôles ni des fonctions”, indique l’auteur.
Au début du Moyen Age, pas de vaisselle, il n’existe pas d’assiette, on dépose les aliments sur une tranche de pain elle même posée sur une planche en bois ou en métal portant le nom de tailloir.
Rustique pour le moins, la planche et le pain sont mis en commun entre voisins de même que la coupe de vin pour y boire communément.
Précaution sanitaire inconnue, l’assiette individuelle n’arrivera en Occident qu’au XVIème siècle.
Quant à la fourchette, il faudra attendre la Renaissance en Italie avant que les élites françaises ne l’adoptent à leur usage au XVIIIème siècle.
On utilisera ainsi la fourchette pour piquer le morceau de viande, l’extraire du plat commun et renoncer à manger avec ses doigts qui serviront de couverts des millénaires durant ou d’accessoire du repas quotidien.
On imagine aujourd’hui ces nobles gens, les extrémités grasses, s’alimentant au plat directement, dans un décor hygiénique peu adapté à leurs usages.
Côté belle vaisselle, il faudra attendre, de leur fonction postérieure au repas servi aux invités.
Affaire de prestige, elle s’exhibe à la curiosité, s’expose comme gage de fortune, et se développera comme démonstration du travail d’orfèvre des artisans de métaux rares et du savoir faire des compagnons de ce temps.
Dès le XIIIème siècle apparaissent “des nefs de table”, selon les récits d’époque. Comme des reproductions en miniature de bateaux, ouvragées et invitant au voyage du repas qui les accompagne, elles pouvaient contenir les couverts du roi ou les épices précieuses de la cuisine raffinée du temps.
Les épices rares y seront réservés aux hôtes prestigieux, car venues d’Orient, objets d’élection pour cuisine princière, ils seront peu disponible aux modestes gens, les « manants » de la société.
Le banquet a donc fonction de mise en scène et de parade festive pour impressionner les invités choisis, de nobles provenances étrangères, qui feront la réputation de la France de la bonne fourchette et des mets succulents des banquets prestigieux.
“Le service à la française” consistera à mettre tous les plats sur la table en même temps, même si certains de ces plats ne sont pas attribués à tous les convives.
En 1378, on cite le banquet fastueux offert le 6 janvier par le roi Charles V de France lors d’une réception en l’honneur de son oncle Charles IV, empereur de Bohême, et de son fils Venceslas, roi de Bohême,
Les menus préparés par Taillevent, cuisinier du roi, comptaient 40 plats différents.
De quoi impressionner ses invités, les abreuver à satiété et les combler à les engorger !
Cependant, précise le commentaire, tous les plats n’étant pas destinés à tous les invités, on présume que quelques resquilleurs aient pu être tentés de piquer dans le plat avec ou sans fourchette, pour satisfaire un plaisir caché de félicité du palais !
Mais comment distraire ces assemblées numériques sur des heures de présence à table sinon par des entremets, qui ne se consommaient pas comme aujourd’hui mais étaient des interludes de divertissement, par des jeux, des danses, des musiques de troubadours et des chants.
L’alcool aidant qui pouvait dériver vers des horizons moins policés en ces lieux de prestige et de libation royale !
Les entremets étaient servis entre les entrées de fruits de saison, les potages et le ragoût, et enfin le rôti.
Soit de la viande ou du poisson grillé, mais pas toute l’année en raison des jeûnes religieux, de l’Avent et du Carême,
A présent on ferait référence au menu diététique lorsque jadis on s’obligeait aux rites cultuels du temps.
Après l’entremet, place à la desserte, et au sucré comme la prestigieuse poire à la française rôtie au vin alcoolisé qui ne laissait d’amertume de fin de repas à des estomacs copieusement garnis par les plats précédents.
Et pour digérer le tout, il était courant de distribuer à ces gens de robe, rompu à satiété par ce repas garni, “des boutehors”, comprenez des épices, du vin ou des pâtes de fruit à consommation privée en chambre pour accélérer la digestion.
Le légendaire nous apprenait dans nos récits scolaires d’histoire que le gibier faisait partie du quotidien de nos rois, princes et gens de robe provinciaux. Il ne représenterait selon les chroniqueurs du sujet qu’une infime partie de la viande consommée et préparée par “des écuyers tranchants” du château, chargés de les découper.
On en oublierait que la volaille et le porc étaient au Moyen Age des viandes de prestige, qui se sont vulgarisées depuis lors.
Le porc ne pouvait servir que pour l’alimentation, mais sur cet animal sur pied, on ne retirait ni le poil, ni le cuir, ni le lait.
Les charcutiers de ce temps n’en ont pas retenu le sens, probablement religieux, d’un animal qui dans la Bible, semblait impropre à consommer et à fréquenter !
Il était élevé en nombre dans les fermes royales pour nourrir à la table princière des invités qui en appréciaient la généreuse densité de cholestérol que depuis on a cherché à contenir dans une alimentation diétique plus contemporaine.
Si le récit de ces repas semble réservé à des élites choisies et recrutées entre elles, il faut rapporter que les restes de ces banquets majestueux étaient revendus auprès des personnels associés à la charge de ces nobles tables, et qu’au fil du temps, ces menus prestigieux se diffusant dans toutes les strates de la population, on y verra un accès « vulgarisateur » permettant de se rapprocher du modèle royal traditionnel.
Les mets et les restes n’étant jamais perdus, ils étaient récupérés par “les regrattiers” qui les revendaient à leur propre usage en y trouvant leur bénéfice.
L’histoire de France passant par sa table et sa cuisine, on devine l’intérêt d’une telle Exposition parisienne destinée aux visiteurs nationaux et étrangers qui pour leur dividende auraient le goût d’en apprécier toutes les saveurs qui, en ce pays, demeurent universelles !
2 – Manger couché ou assis ?
L’histoire nous apprend que dans l’Antiquité, manger assis constituait un comportement barbare !
Les Grecs et les Romains faisaient bombance, à moitié allongé sur le coude, sur “des kliné”, comprenez des banquettes. Il fallait se servir avec la main droite, une tradition venue de la Mésopotamie et répandue dans le monde antique pour des nourritures découpées pour les ingurgiter sans difficulté.
Chez les Grecs, le repas se faisait en deux temps. L’alimentaire et le symposion où l’on boit et discute des affaires. On chante, on joue et l’on lit des poèmes.
Chez les Romains, on fait les deux à la fois après avoir endossé une tunique pour le repas, une sorte de tablier de service pour la propreté de la consommation.
Affaire de gens aisés, car il n’y avait ni salle à manger ni cuisine et l’on apportait les aliments en une salle commune et communautaire.
Quand en Orient, ce furent des tentes montées pour le repas qui servirent d’accessoire pour la convivialité.
Le caractère sacré du moment prévoit le temps des offrandes aux divinités, et l’on se plaît à découvrir le menu de ces repas romains.
Après “le gustatio” ou les hors-d’oeuvre chez nous composés d’oeufs, d’huîtres, d’escargots ou de laitues vinaigrées, assorties de médications basiques pour la digestion.
Puis venaient les viandes et les poissons, aliment commun et partagé dans l’antiquité par toutes les populations suivi par les légumes et les desserts au miel. Les découvertes archéologiques et de rares ouvrages de cuisine existants permettent de le confirmer.
Les tablettes mésopotamiennes en donnent le gage avéré, comme pour les Romains dans l’ouvrage « L’art culinaire » attribué à un gastronome du nom d’Apicius.
Traversant les montagnes, on découvre chez les Gaulois - et de toute évidence, nos populations étaient concernées, l’usage du mouton et du boeuf, car les fruits de la chasse étaient réservés à des gens de robe équipés de chevaux et de personnel qualifié.
Le sanglier d’Astérix fut plus disert que les archives culinaires et demeure un déroulé de bande dessinée accessible au plus grand nombre et sans doute quelque peu éloigné de la réalité du sujet.
En Gaule et chez les Vascons on devait manger assis, et la coutume confortée par le christianisme comme étant plus digne, devait avoir son importance lors des libations festives importantes.
Ainsi donc les habitudes du mode de prendre les repas épousaient des coutumes particulières selon le propre de chaque peuple et de leurs traditions de la table.