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Musique
Mel Bonis : portrait d’une compositrice privée de musique et d’amour
Mel Bonis : portrait d’une compositrice privée de musique et d’amour

| Yves Bouillier 1154 mots

Mel Bonis : portrait d’une compositrice privée de musique et d’amour

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Mel Bonis joue en quatuor, salon de la rue de Monceau (Paris, 1908) ©
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Pieuse, talentueuse et sensible, Mélanie Bonis, compositrice française dit Mel Bonis aurait pu consacrer sa vie entière à la musique, s'il elle n'était pas née au XIXème siècle. Sa vie remplie de souffrances, de privations et d'immenses frustrations fut néanmoins pour sa trajectoire compositionnelle, une profonde source d'inspiration.

Mélanie Bonis est née en 1858 dans une famille de la petite bourgeoisie parisienne. Avec sa sœur, elle est élevée dans le respect des valeurs morales catholiques et éduquée dans le but de faire un jour "un beau mariage".

 Professionnellement, ses parents la destinent à la couture. Or, un piano se trouve malgré lui dans le séjour de la maison et la petite Mélanie alors âgée de 12 ans apprend seule la musique. Elle reproduit au piano avec une étonnante facilité des chansons qu'elle connaît et improvise formidablement bien.

Ses parents sont plutôt hostiles à ce qu'elle apprenne la musique jusqu'à ce qu'un ami proche de la famille arrive à convaincre le père de Mélanie de lui permettre de suivre un enseignement musical. 

Exceptionnellement douée et travailleuse, à 18 ans elle est présentée à César Franck et entre au Conservatoire de Paris dans les classes d 'harmonie, d'accompagnement au piano et de composition au côté de camarades comme classe Claude Debussy et Gabriel Pierné.

Quelques années plus tard, elle tombe amoureuse d'un jeune chanteur et poète  Amadée Landely Hettich qui est également critique musical au journal l'Art musical. Ses parents s'opposent fermement au mariage et obligent Mélanie à quitter le conservatoire pour la séparer de lui. Venant d 'obtenir un 1er prix en harmonie, élève prometteuse en composition, en pleine trajectoire ascendante, Mélanie est contrainte de démissionner, alors qu'elle venait d'envisager de se présenter au concours du Prix de Rome, ce qui aurait provoqué d'ailleurs une controverse puisque le concours n'était à l'époque ouvert qu'aux hommes, mais son arrêt des études l'empêcha de poursuivre sa démarche. Le concours du Prix de Rome ne s'ouvrit aux femmes qu'en 1903.

En 1883, alors âgée de 25 ans, ses parents l'obligent à épouser Albert Domange, un industriel, deux fois veuf, de 22 ans son aîné et ayant cinq garçons. Elle se consacre à ses devoirs familiaux, élevant ses beaux enfants ainsi que les 3 enfants qu'elle aura avec lui. Elle doit mettre entre parenthèse ce qu'elle aime par-dessus tout, et ce qui la fait vibrer : la musique et la composition. 

Les circonstances de vie font qu'elle retrouve son premier amour Landely Hettich qui l'encourage à composer et l'introduit peu à peu dans le milieu musical parisien. Elle reprend la composition en secret et choisit le diminutif Mel, nettement moins féminin ; ainsi pense t 'elle également éviter les jugements qui pourraient s'exercer sur des partitions composées par une femme.  Toujours éprise de Landely Hettich, Mélanie va souffrir un conflit intérieur entre ses sentiments et ses convictions religieuses, épreuve longue et douloureuse et une culpabilité qui aura un impact sur la sensibilité et la profondeur de son geste compositionnel. Elle aura avec lui un enfant, un enfant qu'elle aura en secret, une petite fille Madeleine qu'elle ne pourra jamais reconnaitre. Elle tentera de survivre à cette situation dramatique par la prière et la composition.

Mel Bonis composera environ 200 œuvres dont l'essentiel entre 1892 et 1914. On retrouve de nombreuses pièces pour piano, pour 2 pianos et 4 mains, des pièces pour orgue, une trentaine de mélodies, une dizaine de pièces orchestrales. Bonis composera également une quinzaine de pièces de musique de chambre.

De style post-romantique, sa musique se caractérise par sa force d'inspiration que nourrit un psychisme hypersensible, une âme mystique et passionnée. Elle est teintée d'impressionnisme et d 'orientalisme. Bonis travaille en profondeur tout ce qu'elle compose, corrige inlassablement malgré la facilité et la vivacité de son inspiration. Certaines œuvres sont écrites sur la durée et on sait qu'elle menait souvent de front l'écriture d'une œuvre importante et des pièces plus courtes et plus légères. Elle mit par exemple cinq ans à composer son 1er quatuor avec piano dont je vous propose d 'écouter ici son superbe 3eme mouvement : 

https://www.youtube.com/watch?v=jqIlrtockcY

A partir de 1900, Bonis adhère à la Société des concerts dont elle deviendra la secrétaire, fait unique pour une femme à cette époque.  Mel Bonis cherche à faire connaitre et diffuser ses œuvres mais personne ne l'aide à promouvoir sa musique. Elle sera jouée trop peu de fois dans des salles parisiennes et n'arrivera pas à atteindre la notoriété qu'elle mérite. Pourtant de nombreuses correspondances témoignent de l'estime que vouent les interprètes et compositeurs de son temps.

Autre fait marquant, Edouard, le dernier fils de Mel Bonis, revenu de la guerre, tombe amoureux de Madeleine, sa demi-sœur, et veut l'épouser. Mélanie n'a pas d'autre choix que d'avouer la vérité, sous le plus absolu secret.

 Après la mort de son mari, en 1918, elle invite sa fille Madeleine à passer les vacances dans sa villa d'Etretat avant de l'accueillir chez elle au titre de filleule de guerre. Après la fin de la guerre, Bonis se réfugie pleinement dans la religion qui la protège de l'angoisse et donne un sens à sa vie.

Souffrante, elle s'isole de plus en plus et doit restera allongée plusieurs années ; elle continuera à composer de la musique avec autant de passion et d'énergie ; musique qui ne sera ni jouée ni éditée. Elle écrit dans son journal : "ma grande tristesse, ne jamais entendre ma musique".

Mel Bonis s'éteint en 1937. Elle tombera complètement dans l'oubli, subissant indirectement les différentes évolutions musicales qui étouffèrent le répertoire post- romantique.

Pourtant, à partir de la fin de la 2de guerre, ses descendants se sont attachés à faire exister la musique de Mel Bonis, en dressant le catalogue de ses œuvres, et en inscrivants tous ses inédits à la SACEM, mais ils ont eu énormément de difficultés à éditer son travail. Ils ont également organisé en 1958, deux concerts en hommage à Bonis pour le centenaire de sa naissance. On peut dire que ses enfants se sont heurtés à de nombreux refus. 

Notons par exemple cette lettre incroyable du critique musical Bernard Gavoty en 1967 à Jeanne Brochot qui lui avait envoyé des œuvres de sa mère : " j'ai eu tout le temps de lire la musique que vous m'avez confiée : le la trouve en vérité excellente. Mais, puisque vous me demandez d'être tout à fait sincère, je suis obligé de vous dire que je vois mal, compte tenu du désastreux "progrès" intervenu dans les arts en général et dans la musique en particulier, le moyen dont vous pourriez disposer pour remettre en lumière cette musique fort agréable, souvent émouvante mais que nos jeunes Turcs trouveront assurément dépassée."

Depuis peu la musique de Bonis commence doucement à être jouée et éditée. Et heureusement certains interprètes se spécialisent dans les compositeurs rares et les chefs d 'œuvres introuvables. Souhaitons que l'avenir nous permette de découvrir régulièrement du répertoire de Mel Bonis. Ecoutons le flamboyant final du quatuor avec piano : 

https://www.youtube.com/watch?v=V_iuuYOmzFs

 

zMusique1 1905 Mel Bonis compose son Quatuor pour piano et cordes n°1.jpg
1905 : Mel Bonis compose son Quatuor pour piano et cordes n°1 ©
zMusique1 1905 Mel Bonis compose son Quatuor pour piano et cordes n°1.jpg

Répondre à () :

AURNAGUE | 20/03/2021 07:12

Ah ! Mel Bonis ! Quel chemin intérieur parcouru ,dans le reflet de ses œuvres ...écoutez donc entre autres ,carillons mystiques ?

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