En novembre dernier s’achevait l’exposition d’un échantillon des chefs-d’œuvre du Musée Bonnat-Helleu parmi lesquels figurait l’autoportrait de Francisco de Goya (1746-1828) daté de 1800. Le regard inquiet et mélancolique du sujet dévoilait la maladie qui l’avait frappée de surdité sept ans plutôt.
Né en 1746 au village aragonais de Fuendetodos, non loin du Pays Basque d’oùétaient originaires ses grands-parents (Guipuzcoa), il fut admis à l'Académie de Dessin de José Luzàn à Saragosse, puis débuta une carrière de peintre à Madrid. Remarqué, l’artiste fut nommé en1786 peintre du roi d'Espagne Charles III. Bien que touché par une forme de méningite depuis 1793, sourd et à moitié paralysé, il sera désigné premier peintre de la Chambre à l’époque du roi Charles IV.
Cependant, son caractère indépendant, imprégné des idées du siècle des Lumières, fit s’opposer Goya au clergé et à la société espagnole qu’il attaqua par la publication d’eaux-fortes cinglantes. Aussitôt interdites pour la plus part quand il s’agissait de critiquer le pouvoir de l’église, ces quatre séries eaux-fortes comprenaient les "Caprices", les "Désastres" avec l’invasion napoléonienne de 1808 qu’accentuaient la cruauté et le réalisme des scènes goyesques.
En 1812, quand Wellington arriva en Espagne, auréolé de ses victoires sur les Français, l’artiste réalisa un portrait à sa gloire. Ainsi, après la déroute des armées napoléoniennes et l'expulsion de Joseph Bonaparte, Ferdinand VII récupéra son trône d'Espagne.
Atteint de surdité et veuf depuis 1812, l’artiste s’était progressivement retiré de la société madrilène pour se réfugier dans sa demeure du quartier Carabanchel où il y réalisa d’autres séries sur "la tauromachie", suivie des "Absurdités" achevées en 1819.
En 1824, l’artiste aux idées libérales s'opposant au pouvoir absolutiste de Ferdinand VII, bien que déjà très malade, préférait vivre ses dernières années en France sous Charles X, à Bordeaux. Quatre ans plus tard, on lui diagnostiquera une tumeur. Une chute dans les escaliers aggrava considérablement son état. Goya meurt le 16 avril 1828, accompagné par sa famille et ses amis.
Il est enterré au cimetière bordelais de la Chartreuse, dans le mausolée de la famille Muguiro e Iribarren aux côtés de son bon ami et père de sa bru, Martín Miguel de Goicoechea, mort trois ans plus tôt.
Cependant l’histoire se complique en 1880, lorsque le protagoniste initial de l’affaire, le consul d'Espagne à Bordeaux Joaquín Pereyra, nota l'existence de la double sépulture de Goicoechea et Goya. Après de multiples efforts, le consul Pereyra réussit, huit ans plus tard, à faire enlever le corps de Goya pour son retour en Espagne.
En 1888, lors de l’exhumation en présence des autorités judiciaires, le consul hispanique relata ainsi l'événement à son ami Ángel Nieto:
"... après avoir procédéà l'exhumation et à la reconnaissance des restes mortels du distingué peintre Don Francisco de Goya avec les formalités requises devant le commissaire de police des délégations judiciaires, l'inspecteur du cimetière, le directeur des Pompes funéraires, le chancelier du consulat d'Espagne, deux témoins et moi-même, nous avons observé que le tombeau était ouvert, nous étions en présence de deux boîtes, dont l'une était recouverte de zinc, et l'autre en bois simple sans plaque ni inscription extérieure, les deux étaient de la même longueur . Les deux ont été ouverts. Dans la doublure de zinc, nous avons trouvé les os complets d'une personne, et dans l'autre, tous les os d'un corps humain, à l'exception de la tête qui manquait complètement, qui n'a cessé de surprendre toutes les personnes présentes. Et justement tout nous porte à croire que les os enfermés dans cette dernière boîte sont ceux de Goya, puisque les os des tibias sont beaucoup plus gros que ceux contenus dans la boîte de zinc, et aussi que des restes de tissu de soie marron ont été retrouvés, qui doit être ceux du chapeau avec lequel Goya est présumé avoir été enterré, ainsi que plus proche de l'entrée du "caveau", ce doit être le dernier qui y a été placé ".
Le second cercueil en bois, plus près de l'entrée, abritait bien le squelette de Goya, sans tête. A la demande donc du consul d’Espagne, les restes de Goya furent rapatriés en Espagne en 1899, d'abord à la cathédrale de San Isidro, et plus tard, en 1919, à la chapelle de San Antonio de la Florida à Madrid.
Mais où donc avait disparu le crâne de Goya?
En 1849, commanditée par le marquis espagnol San Adrian (qui avait posé pour Goya), apparut une vanité signée en bas à droite par le peintre Fierros(1827-1894) . En 1918, on retrouve la trace de l’œuvre qui fut achetée par un collectionneur Hilarión Gimeno chez un antiquaire de Saragosse. Lors du centenaire de la mort de Goya, Hilarion Gimeno l’offrit en grande pompe au musée de Saragosse. Ainsi au dos de la vanité, à même le cadre, à l'encre sépia, les lettres arrondies du marquis indiquent ceci: "Le crâne de Goya peint par Fierros". Or, selon un expert du travail de Fierros, les inscriptions portées sur le cadre n'impliquent pas que le crâne peint par Fierros était celui de Goya.
Il y a peu de temps, le musée d'Aquitaine à Bordeaux crut avoir trouvé dans ses caves les restes de l'écrivain français Michel de Montaigne (1533-1592). À côté du cercueil de ce dernier, ils ont trouvé un crâne et une mâchoire d'origine inconnues. S'agirait-t-il de Goya, décédéà Bordeaux le 16 avril 1828 ?
L'historienne Anne-Marie Cocula, membre du comité scientifique qui étudia les restes de Montaigne, expliqua que puisque Goya - dont le cercueil avait été profané - fut enterré au cimetière de La Chartreuse, il était peut être probable qu’il s’agisse du crâne de l’artiste. Celui-ci aurait été volé par de faux experts [phrénologues] qui voulaient examiner sa boîte crânienne.
L’anthropologue Hélène Réveillas, responsable de l'enquête Montaigne, assura que le crâne et la mâchoire « seraient soumis à une analyse ADN afin de fournir des informations supplémentaires sur cette énigme ».
Le tombeau profané, le crâne de Goya a-t-il été volé par des phrénologues, des collectionneurs ou des romantiques ? A moins que Francisco de Goya aurait fait don de sa tête de son vivant, par l'intermédiaire de son ami le Dr Jules Laffargue, afin qu’elle puisse être étudiée à l'asile Saint-Jean de Bordeaux puis à la faculté de médecine de Paris. Cependant, on aurait dû en garder des traces écrites signées de Goya!
Si tel avait été le cas, on aurait pu effectivement imaginer que la tête avait finalement été apportée au musée d'Aquitaine à Bordeaux, Goya placé dans une cave à côté des restes d'un autre génie nommé Michel de Montaigne. Des tests ADN seront effectués en
Le mystère du crâne de Goya reste donc entier jusqu’à présent. L’ADN pourra peut être aider à lever le voile sur cette incroyable affaire.
Légendes :
1 Vanité par Dioniso Fierros (1849), collection Musée de Saragosse
2 Autoportrait par Goya (1800), collection Musée Bonnat-Helleu