En guise d’avant-propos
Dans l’article qui suit, notre collaborateur F.-X. Esponde aborde un sujet très actuel et qui concerne non seulement les particuliers mais qui « interroge » également les collectivités locales dont on attend qu’elle prennent position sur cette délicate question des « nouvelles mœurs » funéraires qui tendent à se répandre, même dans une contrée de tradition chrétienne affirmée comme l’est le Pays Basque.
En tant que chrétien orthodoxe et croyant, je me contenterai de me référer à l’homélie prononcée après la lecture de l’Evangile par l’archevêque en charge des « paroisses orthodoxes de tradition russe » à l’église du cimetière de Sainte-Geneviève-des-bois il y a une douzaine d’années, lors de la Fête de la Dormition de la Mère de Dieu / à propos de cette fête, voyez mon article dans « La Lettre » du 27 août :
https://baskulture.com/article/dormition-chez-les-orthodoxes-assomption-chez-les-catholiques-4203
Rappelant toute l’humilité et le respect qu’eurent les apôtres pour le corps de la vierge Marie après sa mort, Mgr Gabriel insista sur le fait « qu’en aucune manière un chrétien orthodoxe (remarque également valable pour les catholiques, me semble-t-il, ndlr.) ne doit se faire incinérer après son décès, car tout homme sera amené à être ressuscité dans sa chair pour se présenter devant son Créateur lors du jugement dernier. L’âme quitte le corps après la mort et la tradition chrétienne veut que ce corps soit accompagné par ses proches durant les offices des obsèques, qu’il soit préparé et qu’il soit rendu à la terre d’où il est sorti, car Dieu créa l’homme à partir d’une poignée de terre ».
1 - Le profil des obsèques civiles
L’incinérarium a-t-il vocation à terme à devenir un temple civil « républicain » des obsèques ?La tendance en cours d’évolution notable d’un nombre de plus en plus élevé de crémations développe cette fonction auprès de nouvelles populations en demande de ce procédé funéraire contemporain.
Le Droit napoléonien traditionnel avait développé le cimetière en faveur “d’un conservatoire des disparus” éloigné des sépultures à même le pavement des églises, des porches et d’édifices religieux.
Pour des raisons sanitaires, le risque de propagation de pandémies, le manque d’hygiène et de propreté, les risques encourus par les vivants à proximité des cimetières, la préservation des eaux d’alimentation des sources dans les villes, les autorités publiques avaient adopté à partir du XVIIIème siècle des décisions majeures pour réguler les relations entre les vivants et les défunts dans la cité.
Pour sa part, le Droit napoléonien institua des cimetières à l’extérieur des cités, dans des lieux éloigné du monde des vivants, donnant sépulture individuelle aux trépassés, à leurs familles, et fermant de la sorte le nombre incalculable de “fosses communes” pour le commun des défunts privés d’une décente reconnaissance après leurmort.
Depuis lors, ce temps a-t-il désormais vécu ?
Verra-t-on une désaffection des jeunes générations à l’égard des cimetières, au bénéfice “des jardins du souvenir, de carrés de la mémoire dans la nature, de « cavurnes » hors cimetière”, lors d’une dispersion des résidus cinéraires humains, laissés à la décision souveraine des familles ?
Le droit public funéraire actuel ne le permet pour l’heure que selon des conditions draconiennes.
Mais la tendance en sa faveur va croissant si l’on juge la prédilection avouée de la part des plus jeunes générations en faveur de l’incinération écologique, verte et libre...
Deux groupes de pensée se démarquent l’une de l’autre.
Les adeptes de l’inhumation classique encore majoritaire en nos pays, et les nouvelles options préférentielles en faveur de la crémation et d’un retour environnemental à la dispersion des cendres après décès.
Un changement opératoire en cours s’effectue sans se méprendre, de l’église ou du temple, au crématorium qui devient pour un certain nombre de nos contemporains “le temple civil et républicain” agréé pour la célébration des funérailles au cours d’un recueillement calqué sur le modèle religieux, mais très souvent sans aucune référence religieuse.
Le terme usuel employé est “la célébration civile des obsèques”, réduite à un hommage au disparu, quelques témoignages ou choix de musiques adaptées aux goûts des trépassés, et un bref temps mémoriel de quelques minutes accordées au défunt dans le déroulé des programmations crématoires en cours, qui se succèdent à l’incinérarium tout au long de la journée.
Ce process désormais fréquent, voire codifié et réglementaire, correspond à la crémation des corps atomisés et passés au feu, pulvérisés par la flamme ardente et vive d’un procédé imparable qui, en quelques heures, consume en cendres tout reste humain.
Les ayant droits disposant de quelques heures pour reprendre les urnes cinéraires, les faire entreposer en sépulture ou les disperser à même la terre, ou en mer, selon la volonté des disparus, ou parfois vouloir les partager dans des reliquaires conservés dans les familles.
Une pratique en cours que le Droit funéraire admet comme possible depuis 2008, mais non toujours souhaitable selon les situations et les contextes que des morts brutales, accidentelles peuvent s’imposer aux familles en situation douloureuse.
La pratique cinéraire de facture encore récente ouvre ainsi un horizon après mort inédit pour les professionnels du funéraire et les familles invitées à gérer parfois d’elles mêmes ce temps mémoriel que jadis on confiait à l’espace réservé du cimetière et à ses rituels traditionnels de la mort.
Des questions inédites se posent désormais :
- Quel délai observer pour la reprise des urnes au crématorium ?
- Quelle destination adopter auprès des ayant droits, pas ou peu disposés à les reprendre ?
- Comment gérer l’après-crémation du point de vue mémoriel auprès des familles, dans les services des cimetières communaux en des circonstances particulières qui existent désormais, comme le statut de gens confiés à l’Autorité Publique, les Réquisitions judiciaires, la Solidarité départementale en faveur des démunis, les CCAS communaux, le statut légal des enfants morts nés, les vagabonds et les migrants ?
L’incinération développe une réponse technique circonstanciée aux attentes de nombre de contemporains ayant fait le choix de ce mode d’accompagnement funéraire de leur vivant par des volontés testamentaires écrites, ou par les familles à l’intention de leurs disparus, mais de toute évidence la célérité par laquelle s’opère ce suivi de la mort de nombre de personnes privées de sépultures, pose des questions nouvelles à la société des vivants qui les accompagnent.
Le temps du deuil après inhumation ou crémation relève dès lors d’une réflexion nécessaire entre élus, professionnels du funéraire et les familles. Il ne saurait faire fi de cette conjonction vitale et durable de la mémoire des disparus qui honore la dignité civile en cours à toute époque et selon toutes les péripéties de l’histoire humaine, faite du souvenir et du respect entretenu de leur vivant
2 – Le déficit de patrimoine cinéraire
La rapidité des mesures opératoires mises en cours pour relayer la crémation de l’après-crémation traduit l’état patent de déficit de monuments cinéraires existants pour qualifier la pratique et la mémoire du souvenir.
Les entreprises de “jardins verts du souvenir”, les colombariums limités au strict minimum d’un tapis de pierres et d’un puits percé à même le sol, les « cavurnes » imaginées pour individualiser l’espace funéraire, démontrent le caractère précipité d’un patrimoine funéraire pour la crémation, réduit et rudimentaire.
Face à la tradition séculaire des monuments historiques existant en certains cimetières, l’empressement à réaliser dans l’urgence des projets de dépannage momentané de lieux de mémoire, la proximité criante de styles exogènes en faveur de l’inhumation et de l’incinération neuve récente, créent des contrastes évidents de profils patrimoniaux a-typiques.
L’heure s’impose de véritables monuments cinéraires appropriés au feu, à la lumière et à l’atmosphère telle que qualifiée de l’éther par les anciens, au bénéfice d’une créativité originale en faveur de ce mode opératoire de la crémation par ses techniques, son art et ses monuments contemporains ?
Quel héritage culturel et physique laissera l’incinération par les cendres pour les générations prochaines, si ce bien patrimonial n’est que “poussière d’éternité” au milieu de monuments improvisés et pensés à minima par leurs auteurs ?
Le manque de sépultures dans les villes pour de nouvelles populations installées, le risque d’aversion de toute mort accentuée encore par la Covid, la presse observée de la gestion « crématoire » pour des professionnels peu préparés à ce faire, le changement brutal du logiciel mental d’une génération confrontée à l’incinération des leurs, créent des conditions impromptues de toute mort qui imposent à chaque génération des réponses significatives et durables pour la mémoire des disparus.
Le Maire, seule autorité habilitée à la gestion publique selon la législation funéraire française de ce dossier sensible actuel, connaît la complexité d’un problème qui embrasse les volets communal, privé et sociétal d’un sujet en pleine évolution au sein de la cité, pour ses présents, ses absents et ses disparus !
Notre photo de couverture : obsèques de Sabine Hua célébrées par l’Abbé Esponde au Funérarium de Bayonne (sur la photo entouré de la famille franco-vietnamienne de la défunte.