De concert avec la remarquable « Lettre des Amis du Lac d' Hossegor » de notre ami Eric Gildard, il nous a semblé utile de revenir sur la publication par Stéphane Barsacq, il y a quelques mois, de ces très intéressantes lettres inédites de Paul Morand à Pierre Benoit, les deux écrivains étant liés à des degrés divers avec notre région, et Pierre Benoit assumant même depuis 1958 la présidence d'honneur du Prix littéraire des Trois Couronnes dont il assure la remise à Hendaye en 1961.
Auteur d'une remarquable et très documentée préface, Stéphane Barsacq avait relaté les conditions de cette édition chez Albin Michel dont le président, Francis Esménard, lui avait nommé les clefs d'une remise afin d'y trouver éventuellement quelque document intéressant.
En ouvrant un gros cahier vert, Stéphane Barsacq a reconnu l'écriture de Paul Morand : « une lettre, puis deux, puis trois – 180 en tout » ! Il s'agissait de lettres de Paul Morand au parrain de Francis Esménard, le romancier Pierre Benoit.
Emportant cette correspondance afin de l'annoter dans son havre de l'île d'Oléron à l'occasion du troisième confinement, Stéphane Barsacq avait d'abord emprunté un train qui fut attaqué à mi-chemin de la gare de Surgères par des tirs de mortier : « Pour qui ? Pour quoi ? Je ne le saurai jamais ! » , avant d'arriver en retard à destination et rater sa correspondance avec le bus.
Et de confier qu'il avait alors remarqué « la présence d 'un jeune homme d'origine chinoise sur le parking, qui venait de déposer sa fiancée. Je lui ai demandé s'il pouvait m'emmener sur l'île d'Oléron. Il a aussitôt accepté et j'ai pu déposer les 180 lettres de Paul Morand dans le coffre de sa décapotable. Nous nous sommes installés dans sa Ferrari ; le jeune homme a alors mis le pied sur l'accélérateur, et j'ai été pris d'un fou rire inextinguible. Comme nous roulions à toute allure à travers les Charentes, j'ai pensé que l'ultime voyage des manuscrits de l'auteur de « Bouddha vivant » était conforme à ce qu'avait été son existence ! »
Les lettres de Paul Morand publiées par Stéphane Barsacq visées trente ans d'une amitié entre les deux écrivains, débutante sous le signe de relations d'abord cordiales « au fait de leur gloire » , au point d'être associés dans une chanson, « Un amour comme le nôtre » , interprétée par Lucienne Boyer en 1935 : « Pourquoi lis-tu tant de romans ? / Pierre Benoit ou Paul Morand ? / Penses-tu trouver dans leurs livres / De quoi rêver des nuits des jours... »
Mais une amitié qui s'enracine à partir des années cinquante, lorsque « les deux hommes, marqués par la fin de la guerre, se retrouvent » : Pierre Benoit avait fait de la prison et Paul Morand s'était exilé.
Étudiant leurs débuts littéraires qui différaient, bien qu'étant tous deux poètes et « marqués par Balzac » , mais Pierre Benoit, issu d'un milieu militaire et « tendant la lyre pour composer des vers à l'imitation d'André Chénier et de Victor Hugo » , alors que Paul Morand, dont le père, au sein d'un univers « d'artistes bohèmes, conversait avec Oscar Wilde et dînait avec Alfred Douglas » , se révélant « captif de l'influence de Cocteau, son mentor » , Stéphane Barsacq rappelle « la vie professionnelle difficile du premier, après un échec à l'agrégation » , quand le second, reçu premier au concours des ambassades et nommé à Londres, « faisaient ses gammes littéraires et mondaines ». Ainsi, Pierre Benoit se battait pendant la bataille de la Marne tandis que Paul Morand volait de bal en bal !
En connaisseur érudit du monde littéraire et artistique, Stéphane Barsacq de comparer les itinéraires divergents des deux écrivains et grands voyageurs pendant l'entre-deux-guerres : Pierre Benoit en tant que « grand reporter » pour « France-Soir » et « L' Intransigeant » jusqu'en Extrême-Orient et en Amérique du Sud, et Paul Morand poursuivant sa carrière au Quai d'Orsay, à l'ambassade de France à Madrid, puis « chef de la section littéraire aux œuvres françaises à l'étranger » avant de « faire le tour du monde et habiter au Japon chez Claudel »…
De ces voyages, note Stéphane Barsacq, « chacun des deux écrivains ramène des œuvres qui permettent au lecteur de faire le tour du monde assis dans son fauteuil. Ils sont la preuve de la vitalité française, de son goût du risque, de son attrait de l' ailleurs » .
Si l’on ignore quand précisément eut lieu leur rencontre, Stéphane Barsacq note que les premières lettres datent de 1930 : en fait, tous deux « voisinaient » avenue Charles Floquet, Paul Morand habitant au 3, et la maîtresse de Pierre Benoit au 41 : il s’agissait de l'actrice Andrée Spinelly, rencontrée lors de l'adaptation cinématographique de « La Châtelaine du Liban », puis retirée au Pays Basque en 1948 et décédée à Bidart en 1966 ; sa tombe porte cette inscription : « Leku eder maitatu huntan /ama / Nahi naiz pausatu zure oinetan » (Aimez ce bel endroit / mère / Je veux reposer à vos pieds).
Benoit, président de la Société des Gens de Lettres, sera élu à l’Académie française en 1931. Or, c’est le VIIème Art qui les « apparentera étonnamment », tous deux siégeant au comité littéraire de Paramount France et voyant leurs œuvres adaptées au cinéma par le réalisateur autrichien Georg Wilhelm Pabst, « l’Atlantide » de Pierre Benoit précédant un « Don Quichotte » au scénario dû à Paul Morand.
C’est alors que Paul Morand songe à rejoindre son ami - qui l’encourage dans ce sens - sous la « Coupole »… Mais c’est l’échec !
La « Libération » après la guerre de 39-45 ne fera pas de quartier dans le monde littéraire : ayant poursuivi sa carrière diplomatique sous le Maréchal Pétain, Paul Morand devra s’exiler (en Suisse, car il était ambassadeur à Berne en 1944) alors que Pierre Benoit, qui s’était pourtant « retiré » - il avait décliné la proposition de diriger la « Comédie-Française » et refusé que l’on adapte ses films en Allemagne -, sera arrêté le 15 septembre 1944 à Bayonne par un groupe de maquisards qui le conduira en détention à la prison de Dax. Finalement, l’année d’après, Louis Aragon le fera libérer…
Quant à Paul Morand, le décret de sa révocation étant annulé en 1953, Stéphane Barsacq relate que « les deux écrivains se retrouvent bientôt avec un plan de bataille commun : obtenir l’Académie française pour Paul Morand ». Et d’en décrire tous les épisodes, jusqu’à un nouvel échec et la démission de Pierre Benoit qui fit grand bruit ! La basse politique avait prévalu sur l’élection littéraire. Stéphane Barsacq cite le bel album « De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain » que Sacha Guitry avait consacré en 1942 à toutes les gloires artistiques et littéraires de la France et dans lequel il a trouvé mentionnés les deux écrivains ; j’y ajouterai « 60 jours de prison », le récit autobiographique de Guitry, également inquiété à la « Libération », l’ouvrage ayant été récemment adapté pour le théâtre.
A propos de ces refus répétés de l’Académie – le dernier à cause du veto opposé par le général De Gaulle -, parmi cette passionnante correspondance publiée par Stéphane Barsacq, on trouve une lettre de Morand à Jacques Chardonne où il écrit : « il sera dit que Pierre Benoit et moi étions voués aux iconoclastes ! »
Et de citer le couplet de la fameuse chanson de Lucienne Boyer où leurs noms avaient été remplacés par « Francis Carco et Mac Orlan »…
Morand sera finalement élu à l'Académie en 1968, avec la non-opposition implicite de De Gaulle, mais bien après la mort de Benoit.
C’est le grand mérite de Stéphane Barsacq d’avoir publié ces lettres de Paul Morand à Pierre Benoit découvertes il y a une dizaine d’années dans une remise des éditions Albin Michel. Notre lauréat du Prix des Trois Couronnes (en 2019) voit dans cette correspondance « un symbole » qui « ressuscite une autre Atlantide, ce monde d’écrivains et de savants trop vite oubliés et dont les mérites ont été grands ».
En témoigne le refus de la municipalité socialiste de Saint-Paul-les-Dax d’attribuer le nom de Pierre Benoit à la nouvelle médiathèque de la ville.
En effet, sa sœur cadette Renée Benoit, connue pour ses illustrations, s’était chargée de conserver les documents et de transformer en musée la résidence dacquoise de l’écrivain, « La Pelouse ».
Elle la vendit ensuite Groupe Gascogne avec une clause qui les engageait à perpétuer le souvenir de Pierre Benoît.
Or, la médiathèque de Saint-Paul-lès-Dax, installée l’année dernière précisément dans les anciens locaux construits sur la propriété des Benoit, à deux pas de l’avenue Pierre-Benoît et de la Pelouse devenue musée, porte désormais le nom… de Louise Michel, au grand dam de l’association des Amis de Pierre Benoit !
A la a sulfureuse et révolutionnaire égérie de la "Commune", Pierre Benoit préférait sans nul doute le "profil" de l'écrivain Edmond Rostand qu'il avait rencontré à deux reprises comme il le relata lors de son discours d'inauguration de la statue d’Edmond Rostand à Cambo le 17 août 1952 (voyez l'article suivant).
« Dax, berceau des miens »… et la côte basque
Dans un discours lors de l’apposition d’une plaque commémorative sur la demeure parisienne de Pierre Benoit, le Duc de Castries avait rappelé que par son ascendance paternelle, Pierre Benoit était issu d’une famille lyonnaise, les Benoit, alliée à une famille de magistrats béarnais, les Casebonne, dont l’un fut procureur du Roi à Pau, l’autre procureur impérial à Bayonne.
Gabriel Benoit, père de Pierre, naquit à Bayonne en 1852 ; orphelin de père à l’âge de deux ans, il fut élevé par sa mère et par son grand-oncle, le procureur impérial.
Marié à Claire-Eugénie Fraisse, une dacquoise, qui séjournait souvent à Bayonne et à Biarritz, leur fils et futur écrivain Pierre, « las des aventures tempétueuses », épousera en 1947 une jeune femme de la société dacquoise, Marcelle Malet (1909-1960), née Milliès-Lacroix, fille de l'homme politique dacquois Eugène Milliès-Lacroix.
Malade pendant des années, l’épouse de Pierre Benoit, meurt en 1960, trois ans avant la disparition de son mari, à la « villa Allegria », autrefois la maison de vacances de Pierre Benoit, celle où il finit ses jours le 3 mars 1962, miné par le décès de Marcelle : selon les écrits de Paul Morand, l’auteur de l’« Atlantide » vivait « dans son petit bureau, pareil à la cabine d’un navire à l’ancre, regardant parmi les monceaux de sa correspondance, l’Atlantique bleu pâle comme ses yeux, où les larmes ne séchaient jamais (…) s’il aimait Allegria, sa villa, c’est parce que celle qui l’avait si joliment aménagée reposait tout auprès : « Cette maison est mon abri momentané, amie de l’autre, celle qui s’apprête déjà à m’accueillir ; elles ne sont pas si éloignées ; elle mettent un peu d’unité dans une vie qui en aura eu si peu. »
Située chemin d'Achotarreta, le nom de cette maison provenait de l’héroïne du roman de Pierre Benoit, lui-même de convictions carlistes, « Pour Don Carlos ».
Pierre Benoit, accablé, ne parvient pas à se remettre de la disparition de son épouse : il écrivit un roman à sa mémoire, Les Amours mortes (1961, le dernier livre qu'il ait achevé), avant de mourir à son tour le 3 mars 1962 à Ciboure dans sa villa baptisée Allegria comme l'héroïne de son roman « Pour don Carlos » (1920).
La sépulture de Pierre Benoit se trouve au cimetière de Socoa, dit « cimetière marin » à Ciboure, dominant la baie de Saint-Jean-de-Luz. Lors de ses funérailles, son ami Marcel Pagnol avait lu un discours d'hommage au nom de l'Académie française et sur sa tombe, Pierre Benoit avait fait graver, à côté d’un petit réceptacle sculpté dans la pierre tombale : « L’eau de la pluie se rassemble au fond de cette coupe et sert à désaltérer l’oiseau du ciel ».
Paul Morand, de Biarritz à Hossegor
Quant à la « Lettre des Amis du Lac d’Hossegor », Eric Gildard y rappelle fort opportunément les liens qui liaient Paul Morand à notre région.
Comme relaté dans son livre « Bains de mer », en 1910, Paul Morand était venu à Hossegor rencontrer les écrivains de la villégiature landaise, Rosny jeune et Charles Derennes :
« … En descendant par l'autre route, c'est-à-dire de Paris par Bordeaux, qu'il est plaisant de faire la sieste au cap Ferret, sieste bien méritée lorsqu'on a quitté Paris à quatre heures du matin.
La plage d'Arcachon est trop tiède, trop lointaine, trop élégante, trop casquette de yachting. Le Moulleau, Pyla-sur-Mer, Pilat-Plage dominé par les plus hautes dunes d'Europe, ont des courants dangereux ; depuis que, quittant, de force - une force centrifuge - mon hors-bord, je faillis un jour ne plus pouvoir reprendre pied sur le rivage, tant j'étais aspiré par le reflux, je préfère pousser jusqu'à Mimizan-Plage, ou jusqu'à celle d'Huchet (où aboutissent les barques utilisées pour cette extraordinaire exploration semi-tropicale, le Courant d'Huchet) ; parfois je m'élance jusqu'au Vieux-Boucau ou à Hossegor ; Hossegor, que j'ai connue déserte, en 1910, lorsque seuls y habitaient Rosny jeune et Charles Derennes, était alors un coin ravissant, caché dans un ancien lit de l'Adour.
S'il fait trop chaud je m'avance jusqu'à cap Breton où l'air est exquis, digne récompense d'une randonnée brûlante. Je ne reviendrai pas sur Biarritz, Guéthary, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, où j'ai vécu des mois et des mois. Je fuis désormais ces endroits comme la peste, malgré mille détails séduisants, un pastis au port des pêcheurs, un tour en barque à l'anse du Port-Vieux, une promenade sur la falaise de Guéthary ou sur celle du château d'Abbadie. Je ne jette qu'un regard, en passant le pont, sur la bleue flottille de pêche de Saint-Jean-de-Luz et, après un dernier arrêt à Hendaye-Plage, où je voyais Courteline prendre son pernod, en 1919, et où je passais des mois à l'Eskualduna - les meilleurs mois de ma vie je prends un ultime bain français devant le pont international de la Bidassoa… »