Comme beaucoup d’édifices religieux basques, l’église Saint-Pierre de Béguios en Amikuze (Basse-Navarre) présente un magnifique retable en bois sculpté polychrome et doré. Inscrit il y a une vingtaine d’années à l’inventaire supplémentaire des objets classés, on peut le dater de la fin du XVIIème siècle en raison de ses colonnes torses parcourues, pour quatre d'entre-elles, par des angelots, « putti » quelque peu païens dont l’usage a été interdit dès 1705 par Mgr Révol, évêque d’Oloron. Des anges paraissant gratter des instruments à cordes disparus somment les colonnes centrales et, de part et d'autre du tabernacle, des panneaux sculptés en plein relief représentent des scènes de l'Ancien Testament alors que d’autres, portant un ange à chaque extrémité, font alterner des motifs floraux et les évangélistes. Au premier registre, dans des niches à beaux socles, statues de Saint-Pierre et de la Crucifixion.
L'occasion pour M. l’Abbé François-Xavier Esponde de revenir sur cet élément patrimonial essentiel de nos églises :
Les retables d'une histoire controversée
On imagine leur présence statique et continue dans le chœur d’une église, d’une chapelle de couvent ou d’un hospice comme une réalité artistique sans histoire.
Nombre d’entre eux révèlent l’origine de l’édifice sacré, la confection de cet ajout esthétique et religieux et le cours du temps où ils furent les parents pauvres ou adulés des fidèles qui se disputaient parfois leur présence ou de leur utilité !
"En arrière d’autel" ou retable est bien la partie ajoutée et décorée de l’autel qui le surmonte verticalement.
La pluralité des retables est telle que chaque époque de son histoire révèle selon les cas les intentions artistiques des auteurs et des styles recherchés pour les réaliser.
Les historiens de l’art sacré soulignent “leur origine à partir du XIVème siècle”, et le retable de Matthias Grünewald en Alsace représente pour l’iconographie religieuse la référence du genre réalisé entre 1512 et 1515.
Leur production suivra davantage le temps du Concile de Trente 1545-1563, plaçant derrière l’autel le retable dont la fonction fut de le mettre en valeur dans le sanctuaire.
Les commentaires suivent, fallait-il ainsi mettre en valeur le rôle clérical du célébrant surexposé au temps du culte célébré ?
L’attention à ce plan de décor théâtral n’aurait-il pas fait passer au second plan l’autel du saint sacrifice par ce fait ?
Les querelles passées des iconoclastes, réticents au culte des images religieuses à profusion dans les églises, ne semble avoir encore disparu du paysage commenté de ces esthétiques renaissantes.
Des uns on souligne leur récurrence classique, clonique diront les contemporains, de figures statufiées et immobiles, d’autres de formes imagées extrapolant le mode religieux en créativité moderniste, qualifiant méprisant emprunté jadis par des détracteurs de la modernité de l’art et de la création artistique ?
De l’image et du sacré, le débat suit à chaque époque. L’enjeu majeur de sa raison d’être ou de ses utilités pour exposer par l’image le propos des écritures que certains jugent suffisantes à leur compréhension par l’esprit, d’autres préjugeant comme destinées à des groupes sélectifs et peu disposés à les partager avec le plus grand nombre !
Les historiens de l’art parlent à leur sujet de rôle de médiation entre les fidèles et l’Eternel, leur beauté magnifiant la liturgie et concentrant le regard sur l’eucharistie.
Tel est bien l’objet constant de la chose déjà contenue dans le temps jadis de la Réforme dans l’église et qui causa bien des disputes théologiques et ecclésiales sur la fonction de l’image dans un espace sacré.
Le thème religieux de l’eucharistie étant ambitieux par lui même, il fallait sans cesse ajouter au tableau majeur de la célébration des saints, des figurants, des témoins, des visages familiers de la vie, et l’on ne résista à faire de “la com”, excusez la grossièreté du propos, pour attirer par le regard l’intérêt des visiteurs de ces édifices.
Le retable devenant le premier support religieux publicitaire du passé, l’idée de toucher, de voir et de rejoindre le passant fut totalement inédit.
Le sanctuaire somme toute austère dans ses murs et dans ses arcanes sans autre éclairage que celui de quelques cierges ou de lanternes d’huile de sacristie, s’enrichissait de figures vivantes et lumineuses de tant de personnages admis au saint sacrifice comme des acteurs de plein pouvoir et de postérité assurée !
On se prêta du mieux encore au jeu de retables fermés ou à “ guichets ouverts”, une pratique particulièrement assurée par les jésuites lors des liturgies, pour en élargir le spectacle au peuple en son entier, selon une pédagogie calculée, comme le diraient les spécialistes du marketing publicitaire aujourd’hui, par des sondeurs d’opinions et de panels planifiés !
Ces volets s’ouvraient pendant la liturgie pour le bonheur des fidèles qui attendaient cet instant !
On en oublierait l’origine.
Les commanditaires ou mécènes de “ces retables artistiques” furent les congrégations religieuses, telles les Antonins en Alsace, les Récollets, les Jésuites, des congrégations féminines radieuses de représenter sur le fond du tableau architectural de leurs chapelles, les fondatrices des communautés, des évêques, des prêtres et des notables soucieux de passer à la postérité le jour venu, ad vitam eternam !
Comme en des vitraux lumineux, en ces boiseries de couleurs.
Garantir le salut en payant de la sorte le prix de ce salut avec des espèces sonnantes, ne paraissait troubler le contentement de leurs auteurs.
Ne sourions pas ! Il en est de même aujourd’hui encore quand un riche milliardaire décide dans sa divine largesse de consacrer un peu de son argent à la restauration d’une abbaye, d’un choeur de cathédrale ou la réhabilitation de peintures abandonnées au triste sort de leur couvent !
L’art baroque dans un élan religieux et sans doute généreux en faveur des artistes et de leurs créations, permit d’enrichir les espaces sacrés d’une telle densité créative que l’ on en tire bénéfice encore à présent.
Splendeurs d’images et luxuriance de couleurs flamboyantes, les auteurs de ce temps que l’on appela la Contre Réforme avaient mesuré l’effet immédiat de leur singularité sur les populations bien souvent contraintes à une respiration liturgique répétitive et ennuyeuse...
Une récente conférence en la cathédrale de Bayonne de Philippe Beitia évoqua le sujet et ses controverses.
En France, les périodes révolutionnaires ayant fait le vide assuré de ces retables en nombre élevé, les pays voisins tels la Belgique comptent 150 retables réalisés dans les Flandres entre le XVI et le XVIII ème siècle !
L’incroyable théâtralité de ces retables se retrouve encore en Espagne, où la population au demeurant divisée sur le sort des édifices religieux, prit soin de ne les brûler en totalité, laissant une chance à ces sanctuaires splendides contenant des retables immatériels !
Chaque région ayant son empreinte propre de retables spécifiques, l’influence italienne, dans l’est du pays, et en pays méditerranéen se laisse observer dans cette expression artistique.
Chez nous, gens des Pyrénées, un modèle architectural religieux emprunte au néo gothique, plus ancien dans la structure monumentale des églises, les retables demeurent en Lapurdum une singulière spécificité locale, où le Seigneur, la vierge, ou quelques saints du calendrier agricole figurent en médaillon, et le travail de dorure réalisé ces dernières décennies pour redonner lustre et beauté à ce patrimoine a permis de restaurer ce bien communal de plusieurs centaines de siècles .
On prétendit cependant que l’avènement du dernier concile Vatican 2 fit placer l’autel au cœur de l’assemblée priante et détourna de la sorte le regard des fidèles du retable.
Question de sens, d’interprétation, et de contestation parfois, les avis divergèrent une fois encore.
Mais la réalisation de retables modernisés à cet usage continuait. On remeublait le chœur du sanctuaire avec des essences contemporaines.
Les mobiliers du maître-autel permettaient d’ajouter des symboles inédits.
Convenez cependant, le lieu dit n’étant pas convertible comme au théâtre à la demande, une certaine convention d’usage habitué resta la règle.
L’art pouvait encore s’y confronter avec l’artiste créatif lui-même qui n’a encore jamais dit le dernier mot sur le sens du retable !