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Gastronomie
Le jambon de Bayonne : une tradition millénaire !
Le jambon de Bayonne : une tradition millénaire !

| Alexandre de La Cerda 1153 mots

Le jambon de Bayonne : une tradition millénaire !

La Foire au jambon, une tradition séculaire 

Chaque famille rurale élevait son porc pour sa consommation personnelle, mais les jambons de Bayonne étaient également vendus, car ils représentaient une source de revenus non négligeable. On en trouvait dans les foires : depuis 1606 à Garris, 1656 à Saint-Palais. L’origine de la Foire au Jambon de Bayonne, la plus célèbre, qui se déroule tous les ans à Pâques, est mal connue. On sait que Louis XI concéda aux Bayonnais en 1462 deux grandes foires annuelles de quinze jours chacune, dont l’une avait lieu aux premiers jours du Carême. C’est sans doute celle-ci qui s’est déplacée peu avant Pâques, dans les derniers jours de la Semaine Sainte. 

Une gloire nationale

Successeur des « jambons des Tarbelli » déjà célèbres dans l’Antiquité et prisés des Romains, le jambon de « Bayonne » continuait d’être apprécié par un grand connaisseur comme le célèbre Curnonsky qui n’hésitait pas, lors de sa tournée dans la région au début des années vingt, à le sacrer «gloire nationale » ! Il n'aurait certes guère récusé le jambon que Jean-Claude Tellechea sert dans son merveilleux restaurant "Le Cheval Blanc" (près de l'église Saint-André, notre photo de couverture).

Au cours des deux mille ans qui se sont écoulés entre-temps, il a constitué un mets de choix pour toutes les grandes fêtes et un présent estimé. Bayonne en offrit à Louis XIV et à Marie-Thérèse à l’occasion de leurs noces royales à Saint-Jean-de-Luz ainsi qu’à leur petit fils le Duc d’Anjou qui séjournait dans la ville avant de prendre possession de son trône d’Espagne sous le nom de Philippe V - il s’agissait de « jambons de Lahontan ».

Car ce mets éminemment festif, sculpté dès 1120 sur le porche de la cathédrale Sainte-Marie d'Oloron, que Rabelais avait mis au menu de Grandgousier et dont Henri IV approvisionna la Cour de France provenait en réalité des proches collines du bassins de l’Adour - Pays Basque, Béarn et Chalosse - qui garantissaient son séchage. Il fut évidemment salé bien avant que la légende n’attribue à des chasseurs la découverte d’un sanglier blessé par Gaston Fébus plusieurs mois auparavant lors d'une battue: « L'animal, tombé dans une source d'eau salée à Salies de Béarn, était en parfait état de conservation ! C'est ainsi que serait née la salaison sur le bassin de l'Adour »... 
Le Jambon de Bayonne doit ainsi sa réputation en grande partie à la qualité du sel qui le conserve. Il y a deux cents millions d’années, la mer occupait une grande partie du sud de l’Aquitaine : ce long voyage à travers les siècles a donné naissance à un sel d’une exceptionnelle richesse minérale, extrait de saumures naturelles. 

Et on ne manquait pas de frotter de piment ces sacrés jambons afin d’assurer de meilleures conditions à leur exportation par navires, ce qui développa la culture de l’épice rapporté d’Amérique par les découvreurs basques, en particulier le fameux piment d’Espelette !

« Pane yambouns », les voleurs de jambon

Mais avant d’arriver à Bayonne, son lieu de commercialisation et d’expédition, le jambon était transporté sur les Gaves et l’Adour par les anciens gabariers qui avaient l'habitude de prélever une petite dîme, une pugnè ou poignée sur les vivres transportés vers la capitale labourdine. Cependant, devant la difficulté de soustraire un seul cuissot, aussi petit soit-il, dans la mesure où ces belles pièces étaient soigneusement comptées et pesées lors du chargement à Mugron, Hinx ou Dax et vérifiées à l'arrivée à Bayonne, les gabariers inventèrent donc de découper dans des jambons bien sélectionnés pour leur qualité (et ils s'y connaissaient, les ladres !) un beau talhuc (ou morceau) de plusieurs livres, en comblant aussitôt le vide par de la terre glaise soigneusement modelée. Ainsi le jambon reprenait-il sa forme et son poids primitif... Mais le subterfuge était inévitablement découvert par le malheureux destinataire qui ne manquait pas d'ester en justice, ce qui valut aux indélicats transporteurs le surnom peu honorable de pane yambouns (vole-jambon).

La Sent-Porc 

Or la pélère ou tue-cochon était tellement en honneur en ce temps-là que l’esprit gascon n’hésitait pas à l’insérer irrévérencieusement parmi les fêtes religieuses du calendrier sous le nom de « Sent-Porc ». Christian Parra en perpétuait admirablement dans son restaurant d’Urt les saveurs authentiques, particulièrement avec son boudin qui atteignit la quintessence de ce plat réputé rustique. C’est dès l’âge de sept ans qu’un matin, son grand-père vint le trouver et lui dit « d’une voix faussement bourrue : viens, tu lui tiendras la queue ! » Et notre chef de ce souvenir de ce grand jour : « Mamie eut beau s’insurger – ce n’est pas un spectacle pour un enfant -, mon grand-père n’en démordit pas et me fit signe de le suivre. Dans la cour des vapeurs d’eau enveloppaient l’animal qui se débattait sur un cuveau renversé. Les visages rougeauds des paysans, venus en voisins participer au rituel de la tue-cochon et à la grande fête qu’elle entraînait, ajoutaient encore à mon imagination en éveil… »

Le grand anthropologue Barandiaran qui parcourait le Pays Basque à la recherche de coutumes en voie de disparition avait déjà noté que « lorsqu’on tuait un porc à la maison, on faisait deux sortes de saucisses : tripota (le boudin) et la lukainka (sorte de cervelas fumé) avec du sang et de la chair de l’animal ainsi que l'enveloppe qui est une partie de son intestin. On en offrait un peu aux voisins, ainsi qu’un petit morceau de foie. Et on suspendait les lukainkak au plafond de la cuisine, afin qu'ils se fument et qu'ils sèchent « dilingran », soit pendant quatre ou cinq jours ». On les conservait ensuite avec de la graisse dans de grandes toupines (pots en terre).

La noblesse du jambon de Bayonne

Si le Roi-Soleil aimait le jambon de Bayonne cuit au four, piqué de clous de girofle, parfumé de cannelle et « glacé » au sucre, la tradition locale le faisait consommer depuis des lustres poêlé « à la navarraise » autour d’une truite, avec la Pipérade (œufs brouillés accompagnés d’une sauce tomate basquaise avec ail, oignon et piment) ou avec deux œufs frits : c’est « Xingar eta Arroltze », soit le traditionnel « casse-croûte de l’Agriculture » ; ces deux plats, emblématiques dans leur simplicité, que préparait merveilleusement à Espelette André Darraïdou. Sans oublier le Xamango, haut du jambon et ingrédient essentiel à toute bonne soupe à la campagne où les maîtresses de maison ne gaspillent jamais rien ! Or, la cuisine basque a acquis ses lettres de noblesse avec ses grands chefs, en particulier Jean-Claude Tellechea dans son auberge du « Cheval Blanc » à Bayonne. Je me souviens qu’à l’occasion du 10ème anniversaire de l’IGP fêté chez lui (il y a bien des années!), il avait préparé une daurade en julienne de jambon et son remarquable « Parmentier de xamango », jambonneau bouilli 5 à 6 fois pour lui ôter son sel et cuit dans un bouillon à basse température pendant 24 heures… et où il était question de finition gratinée à la salamandre, d’un jus de veau généreusement truffé et d’une fine couche de purée crémée !

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