En France, quelque part dans la campagne. Deux jeunes hommes cheminent côte à côte en dialoguant avec vivacité. David (Louis Garrel) explique nerveusement à son ami Willy (Raphaël Quenard) qu’il est harcelé sans répit par une jeune femme : Florence (Léa Seydoux). Son portable sonne : c’est encore elle ! Il ne prend pas l’appel. Il explique qu’il souhaiterait que Willy, lors de leur rencontre imminente, tente de la détourner de ses assiduités de toutes les manières possibles : à lui de choisir la stratégie. Willy ne comprend pas pourquoi il prendrait cette attitude : sur la photo que lui montre David, Florence blonde, apparait comme belle et désirable.
Florence, flanquée de son père Guillaume (Vincent Lindon) est en voiture pour se rendre au rendez vous avec les deux amis. Arrivée, elle présente David à son père, un comédien sur le retour. Les quatre personnes, après les salutations d’usage pénètrent dans une cafétéria plantée au milieu de nulle part : Le Deuxième Acte, sorte de « diner » à l’américaine. Le décor est très années 50 (fifties) marronnasse, orange et beige ; les tables sont en formica, matériaux très prisés durant cette décennie d’après-guerre. Derrière le comptoir, le tenancier, Stéphane (Manuel Guillot) attend la commande. Quelques clients silencieux, sont attablés dans l’établissement.
Une conversation s’engage entre les quatre commensaux ; d’abord urbaine, amicale, elle devient de plus en plus tendue … Autour de la table en formica la tension monte…
Quentin Dupieux est une sorte d’ovni (objet volant non identifié) dans le cinéma hexagonal. A 50 ans (né en 1974), il a traversé plusieurs vies : d’abord producteur et musicien (musique électronique) sous le pseudo de Mr Oizo dès 1999, il a réalisé et produit, des courts métrages (clips) de 1995 jusqu'en 2016. Après un premier essai dans l’univers du long métrage en 2007 (Steak), son étrange univers nous a été révélé avec Rubber (2010,) une fable sur un pneu psychokinétique, tueur sans raison dans le désert californien (son père était garagiste !).
Son modèle est Duel (1971), téléfilm de Stephen Spielberg dans lequel un camion fou, assassin, poursuit sans raison un automobiliste. Dans la même veine, le pneumatique succède au camion meurtrier. En 10 ans (2010 à 2020), Quentin Dupieux a tourné 8 longs métrages tout en poursuivant une carrière parallèle de producteur et de musicien ! En deux ans (2022 à 2024) il ne fabrique pas moins de cinq films : Incroyable mais vrai (2022), Fumer fait tousser (2022), Yannick (2023), Daaaaaali (2024) et enfin Le Deuxième Acte (2024).
Quelle est sa méthode ? Comment s’y prend-il pour produire une telle profusion de films ? La réponse est à la fois simple et étonnante dans l’univers cinématographique (y compris les films indépendants hors studios). Quentin Dupieux est un cumulard, à la fois scénariste (histoire et dialogues acérés), chef-opérateur (photographie), cadreur (image), et monteur (post-production).
Sa compagne, Joan Le Boru, est directrice artistique (look général du film) et cheffe décoratrice (décors intérieurs, mobiliers, objets, etc.). A eux deux, ils possèdent une sorte de vision globale de l’œuvre qu’ils s’apprêtent à réaliser. Un gain de temps et d’argent (les budgets de leurs premiers opus oscillent ente 1 millions d’euros et 1,6 millions d’euros. A titre de comparaison le budget moyen d’un long métrage en France est … de 4,2 millions d’euros – Source CNC).
Après le succès de leurs deux derniers opus, Yannick et Daaaaaali, (plus de 500.000 entrées France chacun), le couple s’est montré plus audacieux en termes de budget (6,7 millions d’euros) en engageant des acteurs « bankables » : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et le dernier, révélé dans Yannick, Raphaël Quenard. Ces derniers sont ravis d’interpréter des personnages qui sont à la fois fictionnel mais avec quelques résurgences, anicroches, de leur vie professionnelle ou privée. Dans Le Deuxième Acte nous assistons à une mise en abyme des personnages. La fiction et la réalité se mélangent : les acteurs disent leurs textes (très écrit, pas d’improvisations) mais émettent brusquement une réflexion sur le cadreur (Quentin Dupieux !), le preneur de son, etc.
Le réalisateur mêle avec un humour distancé, la vie réelle (le tournage), la vie courante (le passé des acteurs) : les deux sources du scénario.
Lors des longs échanges verbaux, Quentin Dupieux use de longs plans séquences en travellings latéraux lesquels dynamisent les séquences d’ouverture et de conclusion du film, toutes deux surprenantes et hilarantes. C’est du cinéma un peu potache mais réalisé avec une grande maitrise malgré la courte durée du tournage (12 jours !). C’est proprement stupéfiant (durée moyenne d’un tournage entre 30 et 60 jours).
Le Deuxième Acte est un film bavard à l’instar de ses précédents ouvrages mais il est aussi court (80’) comme ses précédentes comédies : Yannick (1h7 minutes) et Daaaaaali (1h8 minutes). D’une humeur maligne, le réalisateur affirme qu’ainsi ceux-ci bénéficieront de plus de projections (la durée moyenne des longs métrages actuels est de … 2 heures !).
Le Festival de Cannes 2024 a accueilli Le Deuxième Acte en ouverture et hors compétition. Quentin Dupieux déclare à ce sujet : « Aujourd’hui, alors que Le Deuxième Acte, mon sixième film en quatre ans s’apprête à ouvrir le festival de Cannes et a sortir en salles, j’ai envie de me taire … La parole est à vous ! ».