C'est le 4 mars 1921 - il y a exactement un siècle - que Michel Labéguerie naissait à Ustaritz où s'était établi comme forgeron son père Léon, originaire de la maison "Attorena" (ou "Ithurraldea") à Bardos. Au séminaire d'Ustaritz, le jeune Michel connut comme professeur le futur chanoine Pierre Lafitte, fondateur (entre autres) en 1942 de la revue en basque "Aintzina", dans laquelle il écrivit également - voyez mon article :
https://baskulture.com/article/le-chanoine-lafitte-une-figure-marquante-de-la-langue-et-de-la-culture-basques-3722
ainsi que le Père Donostia, le renommé musicologue, et le père Hilario Olazarán d'Estella en Navarre, avec qui il apprit à jouer du txistu. Ces personnalités allaient être décisives dans sa vie, ainsi que l'arrivée de réfugiés de la péninsule basque dans nos provinces d'Iparralde (Pays Basque de France) pendant la guerre civile espagnole. Son amitié avec le Dr Ciáurriz l'engagea à étudier la médecine à Bordeaux où il obtint son doctorat dans la spécialité de pneumo-physiologie.
Michel Labéguerie participera ainsi activement à la formation des groupes de danse des étudiants basques de Bordeaux après ceux d'Ustaritz. Et dans le cadre du cycle de conférences de jeunes au Musée basque de Bayonne, il prononcera une conférence sur les danses basques le 21 février 1944. Auparavant, en 1942-43, Labéguerie aura réalisé un important travail de collectage de chants dans la région d'Ustaritz.
Il gardera d'ailleurs par la suite des liens avec le Dr Burucoa et son groupe des étudiants basques de Bordeaux ainsi qu'à Ustaritz avec son ami l'historien Eugène Goihenetche.
Un de ses amis se souvenait l'avoir vu, dans les années soixante, "tenir l'orgue de l'église de Cambo afin d'accompagner l'office dominical. Mais pour les jeunes de ma génération, le docteur Labéguerie eut incontestablement une très grande influence. Il démontra en outre qu'un député pouvait avoir plusieurs cordes à son arc... et à sa guitare. C'est ainsi que j'ai eu maintes fois l'occasion de chanter ses chansons écrites dans un euskara remarquable. Souvenons-nous de l'immortelle "Nafarroa", de "Bakearen Urtxoa", de "Parisen eta Madrilen", "Xorieri mintzo zen", sans oublier "Gazteri Berria" qui sont des refrains aujourd'hui sur toutes les lèvres. Dans ces chansons pleines d'espoir, Michel Labéguerie avait incontestablement réussi un tour de force : pour la première fois, la chanson au Pays basque dépassait son cadre initial qui était celui du folklore, mettant en vers et en musique les aspirations et les préoccupations d'une nouvelle génération. (...) D'ailleurs quelques jours avant de mourir - en 1980 - Michel Labéguerie m'avait confié : "Conscient du fait qu'il n'y avait pas encore de chanteur basque s'accompagnant à la guitare, j'ai voulu faire tout simplement comme Georges Brassens pour lequel j'avais une grande admiration. J'ai lancé effectivement la chanson d'inspiration abertzale sans présager d'ailleurs qu'elle aurait tant de succès aujourd'hui. Après avoir appris quatre accords de guitare, j'ai chanté un refrain de ma composition le lundi de Pentecôte 1961 au trinquet d'Amotz qui depuis a fait tache d'huile comme vous le savez" :
« Gazteri berria
Aita zer egin duzu gure lur maitea ?
Kanpokoari saldu, oi dohakabea !
Arrotzez betea da Euskadi guzia
Euskalduna etxean, ez dago nausia.
Gu gira Euskadiko gazteri berria,
Euskadi bakarra da gure aberria. [etc.] »
Et comme président d'Eskualzaleen Biltzarra, il fut très actif pour promouvoir le bertsolarisme, les kantaldi et le bilinguisme. C'est lui qui m'encouragea à présenter en basque devant son association (et un aréopage particulièrement intimidant composé entre autres des chanoines Lafitte et Salaberry) la station de radio "Adour-Navarre" que je venais de créer... Et combien de fois aurais-je moi-même fredonné "Nafarroa, Euskadi lehena"...
Précisément, les bertsularis (improvisateurs en basque) constituèrent la deuxième source d'inspiration de Michel Labéguerie : d'après une biographie de l'ICB, "les notes sur le concours d'improvisation de Sare de 1948, particulièrement en ce qui concerne les aspects mélodiques des bertsu, prouvent la force de cette filiation. Président d'Euskalzaleen Biltzarra, Michel Labéguerie continuera d'organiser régulièrement des rencontres de bertsulari, avec en prime l'opportunité historique de côtoyer des Xalbador et des Mattin, alors à l'apogée de leur art".
Une carrière politique très active au service du Pays Basque
Après ses études bordelaises, Michel Labéguerie s'était installé à Cambo pour y ouvrit son cabinet.
Son engagement et son rayonnement social le firent se présenter aux élections législatives de 1962 dans la troisième circonscription des Basses-Pyrénées (Mauléon), remportant le siège sur le député sortant Alexandre Camino, maire de Cambo. A l'Assemblée nationale, il s'inscrit au groupe du Centre démocrate. Il siège au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Médecin, il intervient d'abord sur des sujets relevant de sa spécialité, particulièrement en 1964 sur la vaccination antipoliomyélitique et l'usage des stimulants lors de compétitions sportives. Il prend également la parole sur des sujets aussi variés que la radiodiffusion, les forêts françaises, la taxe intérieure sur l'essence (1963), l'aménagement de l'espace rural (1964) ou les problèmes de l'hôtellerie et du tourisme (1965).
Battu aux élections législatives de 1967 par Michel Inchauspe - représentant la fraction gaulliste qui se partageait l'électorat basque avec les démocrates-chrétiens auxquels adhérait Michel Labéguerie -, maire de Cambo et conseiller général du canton d'Espelette, il sera élu comme sénateur en 1974. Et c'est en cette qualité que je l'accueillis un jour à la gare de Bayonne, à l'arrivée du train de nuit de Paris, afin d'apprendre le résultat de ses contacts ministériels à propos de quelque "affaire basque" d'intérêt, à l'époque où l'on chantait "Baionako suprefeta... biak gabe"...
Membre de la commission sénatoriale des affaires sociales, il s'occupera particulièrement des problèmes de la famille. Rapporteur des textes sur l'institution du complément familial (1977), sur l'institution du congé parental d'éducation (1979) et sur l'amélioration de la situation des familles nombreuses (1980), vice-président de la délégation parlementaire pour les problèmes démographiques, il ne cessera de déplorer la dénatalité française, plaidant inlassablement pour que les femmes aient les possibilités de choisir entre l'activité professionnelle et la vie au foyer, et intervenant souvent au sujet des conditions de travail des femmes enceintes salariées. En 1974, il votera contre la loi Veil relative à l'interruption volontaire de grossesse.
Défenseur de tout ce qui améliore la situation des plus défavorisés, il rapporte en 1979 le projet de loi sur l'aide aux travailleurs privés d'emploi. Il intervient également au sujet de la prévention des accidents du travail, du bilan sanitaire des déportés du travail, des pensions de retraite des anciens prisonniers de guerre ou de la représentation du quart-monde. Il est d'ailleurs élu en 1980 président du nouveau groupe sénatorial d'études des problèmes du quart-monde. Et en qualité de médecin, il se préoccupera des questions qu'il connaît bien : équipements sanitaires, vaccinations, études médicales ou auxiliaires médicaux.
Constamment renouvelé dans ces fonctions jusqu'à sa disparition, il s'emploie activement à relancer le thermalisme à Cambo en assurant la reconversion des soins des maladies d'origine tuberculeuse vers ceux des maladies cardiaques. Il s'attachera également à développer le tourisme et la culture en faisant rénover "Arnaga", l'ancienne demeure d'Edmond Rostand rachetée par la ville.
Victime d'un grave malaise cardiaque au début du mois de juillet 1980, Michel Labéguerie sera transporté en urgence par hélicoptère à Toulouse mais il ne survivra pas hélas à l'intervention chirurgicale subie : il s'éteindra à l'âge de cinquante-neuf ans et sera inhumé dans le petit cimetière d'Ustaritz, sa ville natale. Depuis lors, une place de Bilbao porte son nom et lors du 25ème anniversaire de sa disparition, l'Institut culturel basque ainsi que la municipalité de Cambo présidée par Vincent Bru avaient décidé d'honorer la mémoire de Michel Labéguerie, en tant que « père de la nouvelle chanson basque », en créant un Prix qui portait son nom.
Et sa deuxième épouse, Rita Labéguerie, poursuivra plus tard son action - en particulier dans le domaine culturel - à la tête de la mairie de Cambo.