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Histoire
Le chanoine Lafitte, une figure marquante de la langue et de la culture basques
Le chanoine Lafitte, une figure marquante de la langue et de la culture basques

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Le chanoine Lafitte, une figure marquante de la langue et de la culture basques

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Le chanoine Lafitte corrigeant Herria à l'imprimerie des Cordeliers ©
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Le chanoine Lafitte, Paul Dutournier, le chanoine Salaberry, Eskutik et son épouse ©
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Il y a trente-cinq ans, le 23 février 1985, s’éteignait le chanoine Pierre Lafitte, une des figures les plus marquantes du monde basque. Prêtre profondément attaché à l’Eglise et ancré au cœur du Pays Basque, linguiste dont les recherches grammaticales et les publications en matière linguistique lui avaient valu une reconnaissance internationale, critique littéraire, professeur qui savait enthousiasmer ses jeunes disciples, ses mérites intellectuels ne le cédaient qu’à ses qualités de cœur, son humour, son humilité, sa bonté.

Comme le soulignait l’historien Eugène Goyheneche, il ne fut pourtant pas gâté par la vie, le jeune Pierre Lafitte, né en 1901 à Louhossoa : confié d’abord à une nourrice à cause de la maladie « poitrinaire » de sa mère, Marie Viela d’Ustaritz, il perdit également – à l’âge de huit ans - son père, le douanier Joseph Lafitte, « xuri » (blanc) et, donc, suspect à la République qui l’avait muté dans le Nord pour « avoir gratuitement rempli les fonctions de chantre dans l’enterrement d’un paroissien trop pauvre »… Lui-même de santé précaire, il avait été recueilli à Ithorrots chez des parents de sa mère qui ne parlaient que le béarnais, et il faillit perdre son euskera maternel. En 1912, obéissant à sa vocation, il entra au Petit Séminaire installé à l’abbaye de Belloc à la suite de la confiscation par l’Etat de celui de Larressorre, puis au Grand Séminaire où le futur Mgr Saint-Pierre réveilla sa « vocation basque ». Après sa licence ès lettres classiques à l’Université catholique de Toulouse (où se manifesta son ardent désir d’apostolat), il sera nommé en 1926 à Saint François Xavier d’Ustaritz où il enseigna les « Humanités » de la 6ème à la Première, la religion en classe de philosophie et le grec en propédeutique. Nommé chanoine, académicien basque, attaché au CNRS et Docteur Honoris Causa de l’Université du Pays Basque, c’est bien « le sens religieux qui fut la base et la clef de voûte de son action et de son comportement ». Ainsi que son patriotisme basque, véritable apostolat d’un « euskaldun-fededun », depuis le lancement du mouvement eskualerriste (rejoint par des jeunes, tel Eugène Goyheneche) dont la devise « Jainkoa eta Lege zaharra » (Dieu et vieille constitution) préconisait « une large décentralisation politique et administrative ainsi que l'agrément de la langue basque dans l'administration, les tribunaux et les écoles ». La rebasquisation des villes et des villages devait s'effectuer par le livre, le chant, la danse, le théâtre et l'usage courant de la langue ; avec pour centre d’intérêt comme pour tout vrai Basque, la maison (etxea), ce programme était essentiellement « familial, combattant tout ce qui peut diviser le patrimoine et appuyant toutes les initiatives favorables à la famille, tel que le vote des femmes et l'exercice pour elles du droit d'aînesse ». Jusqu’à la création de plusieurs journaux, dont « Herria », fondé en 1944, reste à ce jour le seul hebdomadaire publié entièrement en euskera au Pays Basque Nord.

Les mardis de « Herria »

A part les leçons de grammaire basque que le chanoine Lafitte m’avait administrées avec une patience infinie afin de parfaire mon « hésitant » euskara de l’enfance qu’il convenait de tirer d’une longue somnolence durant mes études parisiennes, j’appréciais encore sa lumineuse figure pétrie d’humanité grâce à la fréquentation assidue de ce qui m’est apparu avec le temps comme l’un des cénacles les plus exceptionnels rencontrés au cours d’une vie de publiciste. L’expression même de « cénacle » pourrait prêter à sourire eu égard à la modestie, à l’humilité des circonstances et du lieu qui nous rassemblaient. Et pourtant, quelle réunion d’intelligences, de savoir et, par-dessus tout, de caractères humains bien trempés lors de ces déjeuners des mardis de Herria, pris sur une très commune toile cirée dans une humble auberge du bas-Mouguerre ! 

C’était à la fin des années soixante-dix, et je venais de fonder Radio Adour-Navarre avec pour objectif avéré de donner la parole à une région et à une culture qui en étaient singulièrement dépourvus, en particulier des moyens modernes d’expression telle la radio : ma participation à ce déjeuner qui faisait suite aux corrections des épreuves de l’hebdomadaire basque précédant sa parution le jeudi - je revois le chanoine, chaussé de lunettes à verres épais et armé encore d'une grosse loupe qu'il promenait au-dessus des morasses du journal à l'Imprimerie des Cordeliers - devait me permettre d’enregistrer une chronique en basque, elle aussi, hebdomadaire, assurée par l’abbé Emile Larre en relation avec les sujets traités dans « Herria » ; s’y ajoutaient parfois d’autres sujets « quémandés » au chanoine, qui participait à l’occasion, et de bonne grâce, à des émissions beaucoup plus longues. Malgré son âge déjà avancé, il faisait toujours preuve d’une mémoire très alerte et ne manquait pas d’émailler ses récits d’anecdotes et de mots certes plaisants, mais jamais empreints d’une quelconque vulgarité. C’est bien là qu’apparaissaient les qualités humaines incommensurables du chanoine, toujours le cœur sur la main. Toujours disponible, également, pour fournir le renseignement demandé et, dans son invraisemblable « chambre-archive-bibliothèque » au collège Saint François-Xavier - Petit Séminaire d'Ustaritz -, extirper d’une main sûre et savante, avec la fulgurante précision d’un ordinateur, la brochure idoine de dessous une montagne de dossiers et de livres. Cette bonhomie naturelle n’excluait aucunement le jugement acéré et vif, un peu à la manière du vieux dicton ornant la cheminée de la salle à manger du château d’Arcangues : la langue était douce pour ceux qui se trouvaient autour de la table, mais la dent savait se faire dure – toutefois, sans méchanceté aucune - à l’encontre de ceux dont l’attitude ou les écrits lui déplaisaient fortement. Je me souviens en particulier de quelques remarques bien senties concernant des publications auxquelles il n'aurait certes pas délivré son « imprimatur » moral ou des analyses qu'il estimait erronées - par exemple la psychologie de l'euskarien réinterprétée par Pierre Loti ou celle d'Etxahun « le malchanceux » romancée et poétisée par Pierre Espil. Il n'hésitait pas, non plus, à fustiger certaines excitations militantes ne paraissant pas s'appuyer sur des connaissances historiques ou linguistiques sérieuses. Et le rappel de quelques attitudes troubles ou ambiguës pendant l'Occupation avait le don de déclencher sa réprobation.

D'éminentes personnalités du monde linguistique ou historique, ainsi que des élus s'associaient à notre petit noyau dans le but de rencontrer le chanoine Lafitte en partageant l'humble repas. Ainsi, aux professeurs Haritschelhar et Allières, se joignaient à l'occasion Paul Dutournier, alors maire de Sare et président des maires du Labourd, des universitaires américains, tchèques, et le directeur de l'Institut Ethnologique de Tokyo avec une équipe de chercheurs et de cameramen, en quête d'analogies entre les Basques et les Aïnous. Je fus d'ailleurs chargé de piloter ces derniers auprès de l'Abbé Barandiaran, dans sa villa « Sara » à Ataun en Guipuzcoa. Le chanoine Lafitte recevait avec courtoisie et écoutait attentivement ses hôtes, sans pour autant partager toutes leurs vues, entre autres Louis Charpentier quand il écrivait son « Mystère basque ». II n'hésitait pas à exprimer clairement ses réserves, voire même des mises en garde devant quelque excessive « fantaisie ». On a peine à s'imaginer l'intérêt des conversations échangées autour de cette table, l'élévation des propos, ce qui n'empêchait nullement le regard perçant du chanoine de s'animer soudain d'un éclat vif et coloré de malice : une bonne plaisanterie, délivrée au moment le plus inattendu, avec cet accent rocailleux que l'on soupçonnait parfois d'être cultivé par plaisir, détendait une atmosphère chargée de gravité. 

Le chanoine au Biltzar des Ecrivains de Sare

C'est lors d'une visite au Salon de la Bande dessinée d'Angoulême que Jean-Michel Garat, qui partageait de tout temps l'amour du pays natal avec sa passion des livres, conçut l'idée de mettre en présence de leurs lecteurs les écrivains ayant consacré des ouvrages au Pays Basque. En entrant au Syndicat d'initiative de Sare, Jean-Michel Garat put réaliser son idée de « contacter un écrivain par jour » en commençant par l'historien Eugène Goyhenetche, l’académicien Jean Haritschelhar et le chanoine Lafitte qui l'honora même d'une réponse écrite.

Les organisateurs tenaient ainsi entre leurs mains une carte rédigée de cette microscopique écriture que permettaient à l'illustre linguiste et bascologue ses gros verres pour myope ; écriture au demeurant parfaitement illisible pour les non-initiés !

Persuadé d’avoir la confirmation (sans plus) de sa présence au biltzar, Jean-Michel Garat s'alarma-t-il de ne pas voir Pierre Lafitte, le jour dit, au milieu de ses ouvrages... Vers midi arriva l'explication : le chanoine, fondant littéralement au soleil - car il faisait très chaud ce jour-là - attendait avec ses paquets de livres qu'on voulût bien venir le chercher au bas du « petit séminaire » d'Ustaritz, où il résidait... et c'est ce que n'avaient pas bien lu les destinataires de sa carte-réponse ! La méprise réparée, le chanoine fut convoyé à bon port pour signer et distribuer de bonne grâce les nombreuses plaquettes dont il était l’auteur, sur les sujets les plus divers – essentiellement littéraires et linguistiques -.

Ce sont ainsi des moments particulièrement privilégiés que j'avais eu l'honneur et la chance de partager avec le chanoine Lafitte, dans un cénacle dont on espère qu'il n'était pas formé de penseurs - ou de poètes - amenés à disparaître car, si la plupart ne sont plus présents, on attend la relève pour l'avenir des Lettres et des Etudes basques. Du moins, tel semblait avoir été le vœu le plus ardent du Chanoine Lafitte, et l'objet de ses incessants efforts durant toute sa vie.

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Pierre Lafitte, soldat ©
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La lecture du journal au Biltzar ©
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