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Tradition
L’arrivée de Mgr Gieure en 1906 à Bayonne
L’arrivée de Mgr Gieure en 1906 à Bayonne

| François Xavier Esponde 1305 mots

L’arrivée de Mgr Gieure en 1906 à Bayonne

1 - Le passé a son histoire.

Le diocèse de Bayonne décline ses heures sombres et glorieuses au fil du centenaire passé. De 1902 à 1906, il n’y eut pas d’évêque titulaire dans le diocèse de Bayonne Lescar Oloron jusqu’à l’arrivée en 1906 d’un jeune prêtre landais, François Xavier Marie Jules Gieure, dont la première épreuve fut la confiscation du bâtiment historique de l’Evêché de Bayonne devenu il y a quelques décennies siège de la Bibliothèque municipale sise à deux pas de l’actuel évêché. L’année 1906 se remémorera tout le long de son épiscopat jusqu’en 1934. Par le Concordat de 1805, tous les Bâtiments religieux étaient gérés par les Etablissements Publics du Culte.
Il en sera en 1905 après la Séparation de l’Eglise et de l’Etat pour tous ces édifices, églises, maisons curales, et pour tous les bâtiments depuis cette date, placés sous le vocable  des Biens Nationaux comme par la suite les Oeuvres charitables et les Fabriques paroissiales. Par la création d’Associations Diocésaines, les établissements publics du culte disparaîtront dans leur forme originelle.

L’affectation des Bâtiments du culte relève désormais d’Associations cultuelles encore à devenir selon un Inventaire de biens religieux à gérer suite aux débats parlementaires qui donneront le mouvement de ces réformes administratives pour les cultes.
L’article 3 de la Nouvelle Loi statue sur le sujet.

Demeurait un sujet objet de débats : à qui reviendrait la charge des dettes contractées avant la réforme ?
Le 29 décembre 1905, le Décret Administratif décide des Inventaires des biens religieux. Un sujet polémique, envenimé, et qui causa les divisions au sein des cultes et dans la vie civile en France, particulièrement en Pays Basque.

Le 2 février 1906, par une Circulaire administrative, les Fonctionnaires des Domaines furent conviés à l’appliquer. Elle stipule l’ordre de réaliser ces inventaires que d’aucuns qualifieront de “confiscations en bonne et due forme” par les autorités publiques du pays.
Une mention de la consigne stipule l’ouverture des tabernacles des églises où seraient entreposés des biens destinés aux cultes, de toute évidence les calices, ostensoirs, croix précieuses, reliquaires, et bien des objets imaginaires qui attisent l’appétence et la curiosité des réformateurs.
Objet de litige potentiel, les mouvements politiques conservateurs du pays  s’engagent dans la brèche et les résistances voient le jour.

Le Gouvernement tente l’apaisement, et précise “qu’aucun inventaire ne verra le jour avant la date de l’interpellation fixée au 19 janvier.”
Le journal la Croix du 30 mars 1906 s’empare des nouvelles venues du Diocèse basque de Bayonne. La visite mouvementée de ces enquêteurs des églises alerte l’opinion française.
La population résiste et marque son indignation, et qualifie la méthode de vol, de cambriolage notoire, et l’opinion publique dit sa réprobation indignée selon le journal et ses informations.
On use de la force armée, face aux crocheteurs civils et militaires appelés en soutien des Agents des Domaines.
Les portes des églises sont verrouillées, gardées par des civils armés de fourches affrontant des hommes de loi armés de baïonnettes,
La population a pris soin avant la venue de la force publique de vider les églises des biens les plus précieux.
Le souvenir de la Révolution Française n’est jamais loin de la mémoire des autochtones.
L’expérience a servi de leçon, des honnêtes gens selon la formule du temps servent de protecteurs patentés des biens patrimoniaux des paroisses.
A Isturitz, Saint jean le vieux, Macaye, Louhossoa, Bidarray la charge de l’infanterie heurte la résistance passive des civils. 

La réalité dépasse la fiction. La défense de biens paroissiaux visités et pillés par des imposteurs notablement mandatés par le pouvoir pour le faire embrase les populations. La liste des villages où gronde la résistance s’amplifie : Irouleguy, Halsou, Les Aldudes, Mendionde, Lantabat, les églises sont barricadées par des stèles de cimetières déplacées, des croix servant d’obstacles, des amas de ronces et de bois accumulés pour empêcher la violation de l’édifice religieux.
A Halsou, disent les chroniqueurs, on ôte la coiffe du commandant de la garde, que l’on conserve comme un trophée de victoire..
A Banca, Ascain, Armendaritz, Ainhoa, Masparraute, Lekumberry, Anhaux, Jaxu, Arbouet, Souraide, Saint-Pée-sur-Nivelle, Biarritz, la population est aux prises avec l’autorité publique pour défendre ses biens paroissiaux .
Urrugne offrira le déroulé le plus saisissant à cette fronde populaire et le souvenir affligeant de la violence portée lors de ces inventaires où les portes de l’église furent éventrées par les sapeurs, hommes armés pour faire leur triste besogne.

On fait sonner le tocsin, 800 soldats sont dépêchés sur place, la population en son entier évaluée à 2000 en comptant femmes et enfants, est sur la place de l’église de la commune. Des gens postés sur le clocher assurent le gué, le maire refusant de signer le décret préfectoral pour autoriser les inventaires, la fermeture de l’église et du cimetière est ordonnée, privant la population des funérailles et du courant de la vie paroissiale habituelle.

Les enfants de Marie font nombre, on se rassemble pour prier, et témoigner de l’affliction d’un tel spectacle de dérision funeste, on dit le Credo en latin bien sûr, quelques chants liturgiques, et dit le chroniqueur non sans humour, ”la garde elle-même des soldats se joint à la population pour partager sa piété...”
Ordre est donné d’ouvrir la porte principale de l’église, les hommes répondront : "Non, jamais, ez sekulan ez" des sommations sont répétées, le corps de garde fait son travail. La porte est défoncée, un trou imposant marque la lacération profonde de l’édifice, l’inventaire a lieu mais les biens les plus précieux et les plus intéressants ont disparu, cachés dans et hors de l’église. La garde se retire.
Mgr Gieure, nouvel évêque de Bayonne est témoin de tels événements. Ses débuts sont accompagnés par cette haine vengeresse anticléricale et sauvage qui porte l’empreinte de cette année 1906 dans la mémoire diocésaine.
Le 28 décembre 1906, il sera prié de quitter son palais épiscopal sous bonne garde pour trouver refuge de toute évidence à l’institution Saint-Louis rue d’Espagne.
Sa voiture à cheval est détachée, guidée à main d’homme jusqu’à sa résidence provisoire.
Ce départ insolite est accompagné de milliers de fidèles fervents qui soutiennent l’évêque du diocèse jusqu’à la cathédrale où l’on célèbre le triste destin du diocèse en souffrance.
Les témoins de la scène crient "vive la liberté, vive la liberté", Bayonne s’enflamme quelques heures,
On tente de porter la réplique jusqu’à la maison préfectorale, gardée mais les choses étant ainsi, les esprits se défient de la paix et de toute concorde.
L’heure est aux animosités, aux violences, aux emprisonnements pour certains.
Les inventaires n’en ont pas encore fini avec ces événements de l’année. Les manuels scolaires seront vivement critiqués par Mgr Gieure en 1910. L’ouvrage visé est le fruit d’un auteur portant le nom de Devinat.
A Saint Pée-sur-Nivelle, ce différent prendra de l’ampleur dans une querelle publique entre l’instituteur et le curé. L’un, favorable à l’évêque, le second à la diffusion de l’ouvrage scolaire discuté.
Le journal "XIXème siècle" mentionnera un autre sujet polémique. La destination de l’ancien séminaire de Larressore, confisqué, qui deviendra un hôpital militaire de convalescence..
A Chéraute, les confrontations seront encore d'ordre épistolaire, entre le journal "Argitzaile" tenu par un député moderniste un tantinet anticlérical, et le journal "Euskualduna", d’obédience chrétienne proche de l’église. Un siècle après de tels événements, on sourit. On doute parfois que le sujet mènerait aujourd’hui à de telles confrontations. Les temps ont changé. L’histoire du XXème siècle naissant et la guerre de 1914-18 auront raison de bien des susceptibilités passées. Les inventaires de ces morts par milliers de la Grande Guerre détourneront le regard des plus irréfléchis vers d’autres priorités. Le triste destin d’une génération jeune sacrifiée sur les autels de la patrie modifiera les préventions et les défiances du curé et de l’instituteur. Une page d’histoire neuve s’écrivit pour le pays et l’Eglise basque dont on a peine à imaginer la profondeur du désarroi jusque dans les familles les plus modestes, qui payèrent le lourd tribut de la mort de leurs enfants sans en faire le deuil ni les oublier !

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