Le roi d'Espagne Philippe VI vient de rappeler le rôle essentiel joué par son père le roi Juan Carlos lors de la tentative de coup d'État du 23-F (23 février 1981, il y a exactement quarante ans), appelant à «défendre, protéger et préserver notre coexistence démocratique et la liberté » . Philippe VI a souligné que "la fermeté et l'autorité de Don Juan Carlos ont été décisives pour la défense et le triomphe de la démocratie".
Je me souviens combien ces événements avaient alors marqué l'opinion en Pays Basque, et je n'avais pas manqué d'évoquer ces événements lors d'un entretien avec mon vieil ami Ignacio Arregui lors du renoncement de Juan Carlos en faveur de son fils Felipe :
Ignacio Arregui : entre émotion et scepticisme
Le Père jésuite Ignacio Arregui est un témoin particulièrement précieux de cette décennie tourmentée et porteuses d'espérance autant que de dangers – particulièrement au Pays Basque - qui suivit la mort du Général Franco en 1975.
Ce Guipuzcoan né à Oñate, cité chocolatière entre toutes, riche en monuments et en traditions médiévales et de la Renaissance, était passé par l'Université catholique de Milan où il fut diplômé en sciences de la Communication avant de prendre en 1978 la direction de la nouvellement créée Radio Popular de Loyola qui appartenait à la Compagnie de Jésus où il était entré après son ordination. Une des premières stations à diffuser la langue basque sur les ondes et « réceptacle » des émissions de Radio-Adour-Navarre pour les provinces basques de France. Plus tard, la remarquable expérience d'Ignacio Arregui le fit nommer à la tête de Radio Euskadi, la radiodiffusion publique que le Gouvernement basque institua dans le fil du statut d'autonomie défini par la nouvelle constitution espagnole, avant de diriger les services en espagnol de Radio Vatican et d'enseigner à l'Université Pontificale Grégorienne de Rome.
Il avait abordé la quarantaine lorsque le roi Juan Carlos succéda au Caudillo... Comment avait-il accueilli les changements qui s'amorçaient alors ?
- « J'étais très partagé au moment du référendum constitutionnel (le 6 décembre 1978, ndlr) ; sans être enthousiaste pour cette consultation et ce projet, je n'étais pas d'accord, pour autant, avec le Parti nationaliste basque qui avait alors opté pour l'abstention car, sans constitution, on ne pouvait rien enclencher, ni l'autonomie, ni rien... Je décidai donc de voter en faveur de cette constitution, base première, nécessaire et indispensable pour les développements ultérieurs.
Et comment Ignacio Arregui avait-il ressenti la tentative de « coup d'État du 23-F » qui vit des putschistes dirigés par le colonel Antonio Tejero prendre d'assaut le Congrès des députés à Madrid le 23 février 1981, à une époque où le gouvernement central affrontait une crise profonde, que les attentats – notamment de l'ETA – se multipliaient et que l’armée grondait ?
- « J'étais alors directeur de Radio Loyola. Il était neuf heures du soir et je rentrais d'une réunion de travail à Eibar lorsque j'entendis parler à la radio de proclamation de l'état d'exception, de soulèvement du général Milans del Bosch à Valence, sans bien saisir à quoi faisaient référence ces inquiétantes nouvelles... Plongé dans l'incertitude devant ce qui ressemblait à un coup d'Etat, je craignis même que la police ne m'arrêtât en route ; je ressentais l'extrême gravité des événements qui étaient en train de se produire et le temps me parut très long pendant les quelques heures qui s'écoulèrent avant l'intervention télévisée du roi Juan Carlos qui rétablit la légalité constitutionnelle. J'étais également inquiet sur le sort que les militaires pourraient réserver à notre radio qui était privée. Il est vrai qu'elle était déjà tolérée sous Franco qui ne voulait pas s'opposer à l'Eglise, propriétaire de la chaîne Radio Popular, ni aux importants intérêts économiques investis dans d'autres chaînes comme la SER...
Enfin, grâce au Roi, la démocratie était restaurée ! Le dirigeant communiste Santiago Carrillo n'avait-il pas déclaré que si, à ce moment, il y avait eu un président de la république à la place du monarque, sans doute les militaires se seraient-ils emparés du gouvernement de la nation ? D'où la faveur dont jouira dès lors le roi Juan Carlos de la part des partis de gauche, socialistes et communistes ».
Quant à l'avenir des institutions, Ignacio Arregui estime que « la tâche de Felipe sera beaucoup plus ardue que pour son père qui pouvait arguer de mérites reconnus, car le jeune prince a encore tout à prouver : on le jugera sur son action, comment il sera accepté par les Forces armées, etc. On n'est plus dans l'enthousiasme qui entourait le début du règne de Juan Carlos... Actuellement, on se partage entre un certain scepticisme et la sincère émotion occasionnée par le renoncement du Roi ».
Cependant, conclut Ignacio Arregui, « le référendum sur l'avenir de la monarchie réclamé par des manifestants ne ferait qu'accentuer les divergences et engendrer des luttes plus sévères, provoquant un désastre et un gaspillage des énergies ; cela n'en vaut vraiment pas la peine alors qu'en réalité, une enquête récente - menée avant l'abdication royale - montre que ce n'est pas un sujet de préoccupation pour une majorité de la population » ! Des paroles que l'on ferait bien de méditer de nos jours...