Carla Nowak (Leonie Benesch) d’origine polonaise, est professeure de mathématiques au collège Emmy Noether (célèbre mathématicienne allemande - 1882/1935). Dans sa classe de 5ème, elle est également éducatrice en sport (en Allemagne les enseignants ont deux matières obligatoires). C’est une trentenaire saine, rigoureuse qui aime son métier qu’elle exerce avec une autorité tranquille : face à sa classe elle n’élève jamais la voix, corrige à l’occasion les fautes de ses élèves, sans brusquerie.
Dans l’établissement scolaire, une salle est réservée aux professeurs. Carla est une collègue agréable, disponible, qui entretient de bons rapports avec tout le microcosme : Michael Klammer (Thomas Liebenwerda) un professeur au physique imposant, la directrice (Anne-Kathrin Gummich), le proviseur Milosz Dudek (Rafael Stachowiak) et Madame Kuhn (Eva Löbau) responsable de l’administration du collège.
Depuis quelques temps des vols ont lieu dans la salle des professeurs sans que le coupable soit démasqué. Lors d’un cours de Carla, la directrice et le proviseur font brusquement irruption dans la classe. Les filles sont sommées de partir et les garçons restants de mettre leurs affaires devant eux sur leur pupitre : « Toutes les filles sortez. Les garçons : mettez vos porte-monnaie sur la table ! »
Tous s’exécutent avec plus ou moins de célérité ; quelques-uns protestent. Carla est troublée par cette mise en scène qui s’achève par un échec : le coupable n’est pas démasqué.
La rumeur court : c’est Ali (Can Rodenbostel), un élève d’origine turque qui commettrai les larcins. Convoqués par la directrice, les parents démentent avec force le supposé comportement délictueux d’Ali. La directrice, le proviseur, Carla et les autres présents à l’entrevue ne savent que faire. La directrice réaffirme que dans son collège la doctrine est : « la tolérance zéro ».
Qui est alors coupable ? Perturbée par ces péripéties, Carla monte un habile stratagème afin de découvrir le pickpocket …
La Salle des profs est le cinquième long métrage du réalisateur, scénariste et producteur allemand Ilker Catak (39 ans). De nationalité allemande natif de Berlin-Ouest, mais d’origine turque, il a connu, suite à une péripétie familiale, les deux systèmes d’enseignement : l’allemand puis le turc et à nouveau l’allemand (obtention de son master cinéma a la Hamburg Média School). Avec son camarade de classe, Johannes Duncker, avec lequel il a coécrit plusieurs scénarios (courts et longs métrages) dont ce dernier opus : La Salle des profs.
C’est un récit haletant d’une jeune professeure idéaliste qui par rigidité, logique (elle enseigne les mathématiques), déclenche une série d’évènements qu’elle ne peut maitriser. Carla, sa hiérarchie, ses collègues, sont englués dans leur contradictions : trouver le coupable sans être inquisitorial. Ne pas tolérer des actes malfaisants d’origine discutable, puis ne pas en assumer la punition. Carla hésitante, est bouleversée par les conséquences sociales de sa découverte ; les autorités, prudentes, se défaussent.
Le déroulement implacable de La Salle des profs a lieu, à quelques plans extérieurs près, dans l’enceinte du collège avec ses salles de classes, ses bureaux, ses passerelles, ses couloirs interminables que Carla, de plus en plus oppressée, par les conséquences de son geste, arpente d’un pas pressé. L’espace du collège devient un labyrinthe aux multiples impasses : ce monde géométrique devient kafkaïen ; chaque porte poussée par Carla ouvre sur une nouvelle épreuve.
C’est un thriller paranoïaque à la manière d’Alfred Hitchcock (1899/1980) ou un fait anodin déclenche une cascade d’évènements (effet McGuffin). Dans ce récit haletant l’ombre du passé de ce pays affleure : la discipline, la dénonciation, la recherche d’un bouc émissaire. Carla libère, à son insu, un cataclysme social qui détruit les codes de bonne conduite.
La Salle des profs est en fin de compte un « thriller pédagogique » ne ménageant aucun des protagonistes associés, de près ou de loin, à cette histoire (les élèves, les professeurs, les autorités du collège, les parents d’élèves). Ainsi, ce long métrage tourné avec virtuosité, en images carrées (format 1.37 :1), au plus près des personnages (gros plans, caméra mobile), lesquelles accentuent le sentiment de malaise par identification (Carla).
Léonie Benesch (Carla Nowak), actrice confirmée (Le Ruban Blanc de Michael Haneke, Palme d’or au festival de Cannes 2009) est en tout point remarquable : elle est la poutre maîtresse de La Salle des profs par son interprétation à la fois complexe et intense. A la Deustscher Filmpreis 2023 le film a obtenu cinq récompenses : meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario, meilleure actrice pour Leonie Benesch et meilleur montage. Il a représenté l’Allemagne aux Oscars.
La Salle des profs est un film passionnant qui, sous couvert d’une histoire somme toute banale, dévide nombre d’interrogations sur « le vivre ensemble » sous le double diktat de la « transparence » et de la « tolérance zéro ».