Constatant « l’irrespect de l’histoire architecturale luzienne et un manque total de considération des centres historiques luzien et ziburutar (Ciboure) malgré les dispositifs de protection existants », l’historien de l’Art et auteur de nombreux ouvrages d’art & patrimoine Jean-François Larralde lance un appel pressant pour demander leur classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Et de citer la démolition « à l’entrée du Parc Ducontenia de la villa Stella où résidait le maître de Chapelle Charles Lebout qui œuvra pendant une quarantaine d’années pour la beauté de l’orgue et du chant choral à l’église Saint-Jean-Baptiste, ainsi que son épouse Hélène Elissague, dite Elizaga (pseudonyme dont elle signait ses tableaux), auteur d’innombrables paysages et portraits, amie de Ramiro Arrue et épouse d’Henry de La Tourasse lequel « maniant le pastel, le fusain et le crayon », avait restauré les tableaux de l'église… Une façon de lobotomiser notre histoire », ajouteJean-François Larralde qui regrette la cession de ses maisons à des promoteurs « alors qu’un particulier ne les démolit pas ». La malheureuse transformation du Casino « La Pergola » constitue une autre perte irréparable alors que « le bâtiment originel de Mallet-Stevens attirait le monde entier en route vers l’exposition Universelle de Barcelone en 1929 ». Avec les photos et cartes postales de l’édifice acquises par Kandinsky à Saint-Jean-de-Luz qu’il a retrouvées, l’historien d’Art basque publiera prochainement un livre consacré à la « Pergola ».
L’appel au classement de l’UNESCO de Jean-François Larralde
« Les centres historiques des deux cités de Saint-Jean-de-Luz/Donibane Lohizun et Ciboure/Ziburu se sont développés autour du port et de la baie aux XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles. Ils se caractérisent par un ensemble architectural de palais urbains et maisons à pans de bois de style labourdin édifiés par des armateurs, corsaires et négociants utilisant l'architecture comme un outil de leur pouvoir économique et politique fondé sur l'essor de l'industrie de la pêche et du commerce maritime. A partir de la fin du XIXe siècle et jusqu'à la fin des années 1930, l'urbanisme des dunes dominant les deux cités basques connaît une nouvelle floraison architecturale liée à leur conversion en stations balnéaires où les architectes de renom rivalisent d'inventivité pour proposer à leur commanditaire des villas-jardins de style régionaliste ou moderniste qui constituent encore de nos jours un des témoignages les plus forts du patrimoine bâti, végétal et paysager des deux villes.
Face à l'âpreté d'appétits spéculatifs, il incombe à nos générations d'observer ces architectures encore vivantes, d'écouter les histoires qu'elles nous racontent (crises, drames, rêves, utopies...), de les valoriser pour qu'elles continuent à vivre dans le monde actuel et à venir. Avec les habitants et amateurs de patrimoine qui les occupent, les aiment, les portent, selon la définition du mot patrimoine : ce qui est transmis, que ce soit le patrimoine immatériel (la culture) ou le bien tangible (le bâti). Le patrimoine historique luzien et cibourien, que l'on ne voit nulle part ailleurs, n'est pas un objet inerte conservé dans un sanctuaire, mis sous cloche ou destiné à être détruit pour construire ce que l'on voit partout. Les femmes et les hommes qui vivent et travaillent dans ces maisons ont droit à un confort de vie et travail, mais dans le respect du geste initial et de l'histoire des lieux.
Adaptons en restant nous-mêmes, sans nier l'idée qu'habiter puisse avoir de l'importance et sans réduire la ville à un mécanisme, une image.
Réhabilitons, agrandissons, isolons mieux l'existant en nous appuyant sur le développement durable et l'écologie.
Rénovons avec une écriture contemporaine en dialogue avec l'architecture ancienne.
Réinventons des solutions autres que l'abattage préalable, notamment de végétaux remarquables. Restaurons le bien historique qui pourra ainsi expliquer par sa présence et son histoire sensible sa place et sa communauté.
La restauration patrimoniale représente des emplois, des savoir-faire, des artisans, des compagnons, une tradition en évolution permanente pour laquelle il faut se battre en termes de transmission et d'apprentissage.
Réfléchissons à un nouvel usage de nos bâtiments anciens, de nos biens en série, de l'espace vital ouvert à la lumière, l'air, l'horizon, qui sont la mémoire vivante de nos communautés luzienne et cibourienne qui ont façonné pendant des siècles notre cadre de vie et une manière de vivre, de se côtoyer qui pourraient disparaître sous les bulldozers de la mauvaise conscience.
Combien de témoins en tous genres ont été abattus ou irrémédiablement dénaturés (Chibau Enea, le casino La Pergola et l'Atlantic Hôtel de W.Marcel et R. Mallet-Stevens la villa Stella, etc.) pour souvent laisser place à des bâtiments disproportionnés, interchangeables, bâtards, des décors de carton-pâte, du fait de la spéculation immobilière, l'ignorance, un mauvais conseil, voire le goût opportuniste du moment.
Évitons la violence du choc de la démolition et ses dégâts collatéraux, favorisons le geste qui s'exprime pour valoriser, protéger, magnifier nos centres historiques et sites remarquables, en réhabilitant l'écrin dans les règles de l'art tout en permettant à l'architecte d'aujourd'hui de s'exprimer avec une écriture contemporaine, parfois d'une grande rigueur.
Depuis des décennies, démolir pour reconstruire constitue trop souvent une hérésie financière et environnementale. L'industrie du bâtiment est une grosse consommatrice d'énergies fossiles, productrice de gaz à effet de serre et génèrent des milliers de tonnes de déchets qui chaque jour nous éloignent davantage de l'ambition affichée par le gouvernement du « zéro carbone en 2050 ». Tous les acteurs de l'aménagement doivent s'allier en faveur d'un changement de paradigme qui intègre la transition écologique afin de ne plus envisager une politique de la ville dont la philosophie et l'équilibre économique reposent trop souvent sur la démolition-reconstruction pour régler le problème du logement en spéculant sur le foncier et en favorisant les majors du bâtiment et des travaux publics.
Démolir est un triple échec. Social, culturel, car le bâti fait partie de notre patrimoine. Et écologique, avec tous les gravats et déchets inertes qu'il faut ensuite évacuer, stocker, abandonner.
La ville de demain, incluant la préoccupation de densité urbaine, se fera d'abord avec le bâti qui existe déjà en le réhabilitant, l'aérant, le surélevant, le revitalisant, l'embellissant, l'agrandissant aussi par l'extérieur.
Les chantiers peuvent se faire en site occupé, sans déloger les habitants qui gardent leurs habitudes et leur logement avec, à l'arrivée, une surface d'habitation augmentée et une facture d'énergie divisée par deux. C'est l'économie même de tels projets qui devraient surtout intéresser élus et urbanistes. Si l'on prend en compte l'ensemble des travaux effectués dans un tel contexte, ces réalisations coûtent plusieurs millions de moins que ce qu'aurait nécessité une démolition-reconstruction. Sans parler d'économie circulaire, de réemploi et d'action rapide.
Aujourd'hui, au vu de dispositifs en vigueur, seule l'inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco pourrait arrêter le péril irréversible qui menace ces deux centres historiques et leur extension urbaine de villas construites par des architectes de talent (Henri Godbarge, André Pavlovsky, Hippolyte Kamenka, Joseph Hiriart, François-Joseph Cazalis, Henri Tétard, Pierre Saint-Germier, Amédée Aragon, Louis et Benjamin Gomez...) qui agissent comme autant de vigies dans le paysage vivant des deux cités.
L'inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco permettrait l'application de nouveaux critères qui éviteraient la brutalité du choc des destructions abusives, abattages fâcheux et bétonisations invasives, dans la mesure où les habitants et amateurs de patrimoine architectural, végétal et paysager, en s'appropriant l'idée de valorisation et sauvegarde de ces témoins irremplaçables de notre histoire et culture, y trouveraient un sens, et les deux cités, une personnalité et une urbanité renouvelées. Jean-François Larralde ».