L’abbé François-Xavier Esponde nous rappelle que lundi dernier 27 mai, le cardinal Roger Etchegaray, ordonné évêque depuis le 27 mai 1969 - il y a cinquante ans -, a célébré cet anniversaire en la maison Arditeya de Cambo où il s’est retiré. Evêque auxiliaire de Paris tout d’abord, ordonné par le cardinal Marty à Notre-Dame, son parcours continuera à Marseille et Rome où le prélat accomplira une mission de nombreuses années auprès du pape Jean-Paul II. Ses amis se réjouissent de ce parcours glorieux du Cardinal basque originaire d’Espelette : ils ont partagé ce temps festif dans l’intimité de sa famille le 27 mai dernier.
Le cardinal est né le 25 septembre 1922 à Espelette où il est revenu, pendant des années, passer le mois d’août avant de retrouver son appartement à Rome. Car, son village natal d’Espelette lui a toujours tenu à cœur, bien qu’actuellement il jouisse du calme - mérité – d’une maison de repos à Cambo
Je me souviens qu’il y a encore quelques années, beaucoup d’Ezpeletar avaient profité, comme à l’accoutumée, du traditionnel séjour estival du cardinal Etchegaray dans sa maison « Choko maitea » pour lui rendre visite ou le voir présider le Forum annuel à l’église Saint-Etienne d’Espelette et le retrouver lors du pot convivial qui avait suivi au restaurant d’Euskadi, chez ses amis Darraïdou.
Aussi, lorsque j’avais échangé quelques mots avec lui, la veille, au téléphone, c’est en priorité à ses compatriotes ezpeletar et basques qu’il avait voulu adresser ses saluts les plus chaleureux à travers ma chronique dans la presse locale : « Izarra kopetan, selon la formule paternelle, au nom de cette étoile d’espérance qui a guidé les Mages, qui indiquait le chemin, en signe de fraternité et d’amitié » (sa sœur Maïté m’avait indiqué que leur père Jean-Baptiste les embrassait, enfants, chaque soir sur le front en utilisant cette image de l’étoile, izarra, en guise de baiser).
Pourtant, ce jour-là, le cardinal ne suivait-il pas encore à la télévision – avec une attention soutenue – les échanges de discours entre le président américain et le pape François qu’il recevait alors à la Maison Blanche : « un sentiment de fraternité se dégageait de cette rencontre avec le pape, ambassadeur de la tendresse humaine - nous sommes tous humains et Dieu le Père nous aime - et de la Foi qui doit s’affirmer », me commentait au téléphone celui qui s’affirmait « un vieux cardinal bien enraciné, tel le bon piment »… Pensait-il, notre cardinal « euskaldun, fededun ta biperdun » à ce « moment critique de l'histoire de notre civilisation » à propos du mariage et de la famille qu'il importait de « soutenir », tel qu’affirmé par le souverain pontife devant le président des États-Unis ? Ou encore à « la joie que le chrétien expérimentait dans la mission » telle qu’exprimée dans l'homélie du Pape pour la canonisation de Saint Junipero Serra : « Allez vers ceux qui vivent avec le poids de la douleur, de l’échec, du sentiment d’une vie tronquée et annoncez la folie d’un Père qui cherche à les oindre avec l’huile de l’espérance, du salut. Allez annoncer que l’erreur, les illusions trompeuses, les faux pas n’ont pas le dernier mot dans la vie d’une personne. Allez avec l’huile qui calme les blessures et restaure le cœur ».
L'aumônier de la planète
Ces missions « avec l’huile qui calme les blessures et restaure le cœur » me reportaient quelques années en arrière, lorsque j’assistais à Bilbao à l’attribution au cardinal Etchegaray du prix annuel de la Fondation Sabino Arana qui honorait en lui « toute une vie consacrée à l'action en faveur du dialogue et de la tolérance. Comme messager de la paix, homme de mission et constant serviteur de la justice dans le monde entier, le jury avait distingué chez le Cardinal Etchegaray le talent de favoriser des accords et l'habileté pour limer les différences qui divisent les peuples ».
Alors âgé de 86 ans, le vice doyen du Sacré-Collège (il était le « numéro quatre » du Vatican, après le Pape, le Secrétaire d’Etat et le doyen des cardinaux) s’était rendu au Palais Euskalduna pour recevoir son prix, en présence des lauréats des éditions précédentes.
J’avais entendu le cardinal se réjouir que ce prix « ne se limitait pas au Pays Basque puisqu’il avait été également décerné aux associations des victimes du terrorisme, en particulier un père qui a perdu son fils de dix-huit ans lors de l’attentat new-yorkais en 2001, et qu’il se soit déroulé dans une excellente ambiance humaine et de fraternité ».
A peine revenu à Rome de son « escapade » à Bilbao, notre cardinal était déjà en partance pour le Burkina Faso et le Niger où, 25 ans auparavant, il avait établi la Fondation Jean-Paul II pour le Sahel qui lutte contre la désertification et ses causes et vient au secours des victimes de la sécheresse. Des centaines de projets financés grâce à des fonds attribués directement par le Pape, à travers le Conseil pontifical « Cor Unum » dont le cardinal reste président émérite après l’avoir dirigé de 1984 à 1995.
Un prélat basque à Rome
Malgré son emploi du temps très chargé, le cardinal m’avait reçu, avec Anne, il y a quelques années, dans son appartement de l’édifice San Callisto, cette enclave de l’Etat du Vatican sur les hauteurs du populaire quartier du Trastevere parcouru de petites ruelles bruyantes et encore peuplées, paraît-il, de « vrais » Romains… Depuis la galerie couverte qui borde l’étage, la vue est magnifique sur la colline du Vatican couronnée de la coupole de Saint-Pierre conçue par Michel-Ange.
Dès l’entrée, une chistera et un makila évoquent le pays natal du maître des lieux.
Grande silhouette et visage aux yeux bleus qu’éclaire à l’occasion un large sourire juvénile, dans son costume « clergyman » noir, à peine courbée par le poids des ans et son col du fémur brisé l’année précédente au cours d’une « bousculade » à Saint-Pierre, je me souviens de son accueil : « je passe mon temps à recevoir, des religieux, de simples fidèles, également des chefs de gouvernement. Depuis que j’ai été appelé au Vatican par Jean-Paul II, j’ai beaucoup bourlingué et des hommes d’Etat de passage à Rome viennent me voir, mais ça peut être une femme de ménage, et j’apprends toujours beaucoup »…
Une photo avec Fidel Castro rappelle que Roger Etchegaray avait préparé les voyages des papes à Cuba : « J’ai passé des soirées, jusqu’à deux heures du matin, avec Castro. C’est un être complexe, il a été baptisé et n’a jamais expulsé le nonce (ambassadeur du Saint-Siège, ndlr.), dans le fond il est croyant, mais il vieillit mal et sa visite au Vatican fut son chant du cygne ». Premier évêque catholique entré dans la Chine de Mao il y a trente ans, « tous les pays m’intéressent, mais la Russie où je suis allé plus de vingt fois reste mon centre d’intérêt ».
Ami très proche du patriarche de Russie qu’il avait, en tant que responsable de la Conférence épiscopale d’Europe, rencontré dès 1969 à l’Escurial près de Madrid, le cardinal Etchegaray a représenté le pape Benoît XVI aux obsèques d’Alexis II puis au sacre de son successeur Cyrille qu’il connaît également très bien. Il avait même reçu chez lui, à Espelette, le père Alexandre Siniakov, alors responsable des relations publiques et œcuméniques de l'église orthodoxe russe en France qui avait assisté à l’ordination de Mgr Aillet. Dans sa pourpre cardinalice dont la tonalité s’apparentait à l’éclat vif des solanacées de son village natal, coiffé d’une mitre arborant sur ses deux rubans arrière le lauburu (croix) basque, le cardinal s’était alors enthousiasmé : « C’est un évêque qui est vraiment pasteur. J’ai senti, dès son premier contact, qu’il a conquis les cœurs, le peuple de mon diocèse. Le diocèse est entre de bonnes mains ».
Son Pays Basque natal ? « Jusqu’à 80 ans, mes tours du monde ne me laissaient que huit jours par an à Espelette… Je suis toujours allé dans les pays pauvres : quand on a une vie pour les autres, on ne calcule pas » ! Et de réaffirmer « qu’il était urgent de travailler à donner aux populations l’espoir qu’ici aussi on peut vivre sans s’exiler ». Un message et une ligne de conduite particulièrement d’actualité !