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Notre disparue
In Mémoriam : Maité Ordonez, une femme de caractère respectée, par Yves Ugalde
In Mémoriam : Maité Ordonez, une femme de caractère respectée, par Yves Ugalde

| Yves Ugalde 716 mots

In Mémoriam : Maité Ordonez, une femme de caractère respectée, par Yves Ugalde

Notre photo de couverture : de gauche à droite, Micheline Banzet-Lawton (*) et Maïté dans l'émission "La cuisine des mousquetaires" sur FR3

Maité s'en est allée hier. J'aimais cette femme, au point que, quand je l'imitais sur scène, me venait l'impression étrange et rare d'entrer en communication directe avec elle. Je le lui avais dit d'ailleurs. Elle incarnait l'idée que je me fais d'une femme libre. A l'opposé des théories féministes d'aujourd'hui qui ont besoin de déconstruire les hommes pour trouver une légitimité.

Son destin, Maité l'avait choisi. Il est passé par la cuisine, ce symbole dont les théoriciennes évoquées plus haut ont fait un symbole d'aliénation de la femme. C'est bien par la cuisine, et elle seule, que Maité, qui ne l'a d'ailleurs jamais apprise, s'est pourtant forgé une vie hors du commun.  

Les hommes à Rion, où je me suis bien sûr rendu, la respectaient beaucoup. C'était bien elle la patronne. Et les mâles qui fréquentaient son restaurant, souvent des durs à cuire, le savaient mieux que quiconque. "Une femme qui n'a pas peur des hommes, leur fait peur...", disait Simone de Beauvoir que Maité semblait, pour le coup, avoir lu dans le texte.

La cuisine dont elle est devenue l'égérie, est en voie de disparition, on le sait toutes et tous. Une cuisine de chez nous ou de ce qu'il en reste. Elle évoluait devant les caméras comme nos propres grand-mères ou grand-tantes. J'ai connu une Maité chez moi. La mienne s'appelait Tante Marie. 100 bons kilos, elle régnait sans partage sur sa cuisine de l'hôtel Xoko Ona à Guéthary.  

Petit, j'allais la voir travailler. Assis sur un tabouret, dans un recoin de son antre enfumé, je la regardais diriger la manœuvre. Elle faisait en même temps marcher un ttoro, des chipirons à l'encre et deux tournedos Rossini. Et il fallait pas l'emmerder, Tante Marie, à deux heures du service ! Aucun homme ne se serait permis une remarque. Pas même son mari qui n'intervenait qu'en salle.

Maité, c'était cette forme d'autorité humaine et naturelle sur un art de vivre qui modelait l'esprit du sud après lequel nous essayons désespérément de courir aujourd'hui. Conditionnés que nous sommes par des émissions où les cuisines ressemblent à des laboratoires de l'industrie atomique et une série télé du soir où les élèves cuisiniers passent leur temps à vouloir grimper sur le voisin ou la voisine dans des tabliers immaculés semblant tout droit sortis d'un atelier de haute couture. 

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Maité, garde-barrière à la SNCF ©
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Oui, Maité, garde-barrière, est sortie de sa modeste condition par la cuisine qui lui a même permis de jouer dans un des plus beaux théâtres parisiens où j'étais allé la voir aux côtés de Christian Marin et Robert Castel. On est loin de Simone de Beauvoir, certes, mais ce fut sa vie de femme qui n'entendait rendre de compte à personne, sauf à sa conscience et à ses amis de toujours.  

Sur le plan environnemental, elle ne pleurait pas sur le sort de l'anguille qu'elle estourbissait, mais veillait très sérieusement à ce que le ruisseau où elle les savait présentes restât limpide. L'essentiel.

Aucun concept fumeux n'occupait son esprit, mais le désir d'ouvrir tout grand ses bras dès que quelqu'un passait sa porte, lui venait en tête tout naturellement. Elle s'emmerdait ferme dans les salons VIP du rugby pro. Son rugby à elle, fut celui des champs et des troisièmes mi-temps assumées. Pour la mesure, l'esprit de nuance, il valait mieux l'oublier. Elle était d'une terre où les pincées et les gouttes ne faisaient jamais un goût. Cette terre qui, petit à petit, ne crisse déjà plus sous nos esclops...

Maité avait compris, bien avant que son esprit ne défaille, que les temps n'étaient plus à ses rasades d'armagnac et aux heures passées à laisser goûter le capucin sur la palombe. Elle s'était mise à parler moins fort, puis à laisser parler les autres, dans des accents neutres et avec des voix venues d'un ailleurs idéologique qui lui était parfaitement hermétique. Et comme elle était libre, formidablement libre, elle est partie sans bruit, elle qui en a tant fait, pour notre plus grand plaisir, et beaucoup plus qu'on ne le croit pour une présence à part entière de la femme dans la société.

(*) concernant Micheline Banzet-Lawton, voyez l'article d'Alexandre de La Cerda : 
https://www.baskulture.com/article/in-memoriam-micheline-banzet-lawton-amatxi-virtuose-et-gourmet-3306 

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