La disparition de Daniel Matrone, décédé à l’âge de 72 ans samedi 11 septembre dernier à l’hôpital de Bordeaux, constitue assurément une grande perte pour le Royaume de la Musique.
Il était né à Bône en Algérie (actuellement, Annaba). Petit-neveu du compositeur Giacinto Lavitrano (Ischia, 1875 - Bône, 1937), il manifeste une vocation précoce à perpétuer la tradition familiale en entrant très tôt en contact avec le monde de la musique et des arts. Ses études au Conservatoire de Toulouse se poursuivent à Paris avec Marie-Claire Alain (orgue) et Yvonne Lefébure (piano), comprenant la composition et l'improvisation avec de grands maîtres, parmi lesquels Maurice Duruflé.
Titulaire des orgues monégasques, le Garaztar Jean-Christophe Aurnague se souvient que « ce grand virtuose du clavier qui avait travaillé l’orgue avec Xavier Darasse à Toulouse improvisait avec une maîtrise absolue, capable de monter sur l’instant une grande fugue à partir d’un thème, se souvient ».
Egalement titulaire du grand orgue de Saint-Michel à Bordeaux avant d’être titulaire du grand orgue de l’église Saint-Jean-Baptiste à Saint-Jean-de-Luz, puis obtenir celui de Notre-Dame de Bordeaux pour terminer son cursus à Saint-Louis des Français et la Trinité des Monts à Rome, il avait été décoré en France de la médaille des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture.
Compositeur, il avait écrit de nombreuses œuvres pour orgue et pour piano, et en matière de discographie, Daniel Matrone avait réalisé de très intéressants enregistrements, dont un très beau sur l’orgue de Saint-Jean-de-Luz restauré après le départ de Juan Urteaga au début des années 80 (Bach, Lübeck, Balbastre, Daniel Matrone, édité chez Malfroy en 1983).
Il avait quitté son poste luzien à l’été 1986 et Jean-Christophe Aurnague se rappelle « lui avoir succédé à la suite d’un concours où le jury le choisit comme titulaire devant Jesus Martin Moro ».
Daniel Matrone réalisa encore d’autres très beaux enregistrements, en particulier une intégrale des œuvres de Reger d’une grande virtuosité, ainsi qu’un magnifique CD avec le hautbois solo de l’orchestre de Bordeaux…
Pour Jean-Christophe Aurnague, « c’était un visionnaire dans sa manière de donner un avis sur les événements et les personnes ! Je me rappelle qu’il me disait au moment de sa succession - où j’étais dans la candeur et l’enthousiasme de la jeunesse de mes vingt ans - : « tu verras,la première année c’est toujours formidable, la deuxième un peu moins, et cela continue en décroissant… »
J’avais vite compris par la suite pourquoi il me disait cela et à l’époque je n’avais pas sa sagesse… C’était aussi un grand indépendant qui avait une sage philosophie et regrettait qu’il y ait eu par la suite une cristallisation de la culture basque par rapport à l’ époque qu’il avait connue, où il y avait un peu plus de latin dans les liturgies et d’ouverture d’esprit, regrettant un appauvrissement culturel qui s’en était suivi…
Je l’ai revu en tête à tête au cours d’un repas, il y a une dizaine d’année à Monte-Carlo, à l’issue d’un très beau concert qu’il avait donné à l’église Saint-Charles dans le cadre du festival international d’orgue de Monaco, et nous avions eu un échange de points de vue des plus intéressant !
Je ne l’ai plus revu par la suite, chacun étant quelque peu enchaîné à des claviers…
A la suite de mon départ de Saint-Jean-de-Luz, j’avais gardé quelques pages manuscrites de ses accompagnements de chant grégorien notés d’une écriture sûre et harmonieuse... »
En 1986, Daniel Matrone fit partie des fondateurs d'« Ekymose », une galerie d'art à Bordeaux où il donnait des représentations publiques de ses œuvres pour piano ; son partenariat avec des musiciens tels que Meredith Monk et Roberto Benzi s'inscrit également dans cette interaction avec le monde de l'art. Ses enregistrements avaient remporté des prix prestigieux (Choc du Monde de la Musique, Diapason d'or).
Fait chevalier, puis officier de l’Ordre des Arts et des Lettres sur proposition des différents Ministres de la Culture, Daniel Matrone reçut encore à Rome les insignes de commandeur de l’Ordre Équestre de Saint Grégoire le Grand. A cette occasion, il fut rappelé une citation de Mgr Freppel, évêque d’Angers au XIXème siècle et grand homme de culture : « le catholicisme a adopté l’art, en l’adoptant il l’a transformé et en le transformant il l’a élevé »… « Expression de la doctrine, (nous dirions aujourd’hui de la Foi), l’art s’est transformé à son image, fécond par elle, sublime par elle ».
R. I. P.