Alexandre de Lur-Saluces s’est éteint dimanche dernier à l’âge de 89 ans, une perte irréparable pour le vin de Bordeaux et le patrimoine aquitain.
Je ne retrouverai plus dans son magnifique domaine de Fargues, comme encore récemment, mon si estimé ami Alexandre – on se traitait parfois de « cher homonyme » - à la fin d’une journée remplie et parfois harassante dans nos vignes respectives, alors que je marquais chez lui une « halte inspirée » sur ma route de retour au Pays Basque... Une halte toujours enrichie d’entretiens passionnants, car malgré la quinzaine d’années qui séparait nos âges respectifs, nous témoignions d’une profonde entente tant dans le domaine professionnel qu’en matière d’opinion et d’approche de la vie en général…
Je me souviens du magnifique son et lumière projeté sur les murs de sa forteresse à l’occasion d’un anniversaire… Et de ses séjours sur la côte basque à l’occasion des bals de débutantes que j’organisais à Biarritz et qu’il avait toujours généreusement doté de bouteilles de son précieux nectar.
Combien d’amis et de visiteurs avais-je également entraîné à la découverte de Fargues, de son incomparable élixir et de son merveilleux propriétaire, depuis des chefs d’entreprise accompagnés en hélicoptère jusqu’à un groupe d’étudiants en journalisme à l’Université de Bordeaux, en passant par les Amis d’Arnaga, la demeure basque d’Edmond Rostand, et la délégation nationale d'une vingtaine de membres du Club Prosper Montagné, avec à leur tête le président international Francis Durnerin et le président de Nouvelle-Aquitaine Gérard Marné.
Nous avions alors remis au marquis de Lur-Saluces le diplôme d’honneur de l’association, une distinction octroyée très rarement dans l’histoire de cette société fondée en 1950.
Alexandre de Lur-Saluces – accompagné de son fils Philippe et de son petit-fils Louis – avait, comme à son habitude, reçu « royalement » ses convives dans son magnifique chai-écrin où une savante mise en scène offre un beau coup d’œil sur les barriques sagement alignées, avant de leur réserver une très belle réception dans les salons de sa forteresse qu’il restaure patiemment.
C’est avec un très vif plaisir que j’avais prononcé le « discours de réception » du marquis de Lur-Saluces avant que Francis Durnerin ne lui remette le diplôme, le panonceau « Maison de qualité » ainsi qu’un ouvrage sur la vie et l’œuvre de Prosper Montagné :
« Voilà bien la moitié d’un millénaire que les Lur-Saluces cultivent l’excellence de la production viticole et l’art de vivre sur ce terroir entre Garonne et forêt landaise.
Un mondialisme effréné qui a transformé la planète en gigantesque et malsain jeu de Monopoly où les intérêts des hommes, de leur travail et de la terre comptent pour du beurre rance, n’a pas manqué non plus d’envoyer ses prédateurs à l’assaut des plus belles propriétés du Sauternais.
Alexandre de Lur-Saluces, porte-drapeau – envers et contre tous ces boursicoteurs - de la dynastie qui avait fait les grandes heures du célébrissime château d’Yquem, a décidé de relever le défi.
Reprenant le château de Fargues voisin – qui fut, en réalité, le berceau de sa famille -, il a réussi en très peu d’années à hisser la qualité de son cru aux cimes atteintes par l’ancien Yquem, alors que ce dernier semblait s’engager, du fait de ses actuels possesseurs, sur des voies incertaines…
A l’ombre de son puissant château féodal dont il s’emploie patiemment à relever tours, murailles et chapelle, Alexandre de Lur-Saluces a installé son superbe chai-écrin où il élève son nectar jusqu’à des sphères d’élégance et de finesse rarement atteintes. Autour, les 15 hectares (en attendant le résultat des nouvelles plantations) de vignes s’infléchissent doucement en bénéficiant d’un drainage parfait.
Les grains de sémillon (80%) et de sauvignon (20%) ramassés un par un au gré de cinq à six passages dans la vigne pendant les vendanges selon leur mûrissement respectif et l’action du Botrytis donnent quelques 20.000 bouteilles annuelles d’un nectar onctueux, pur, concentré, souple, précis et satiné. Parker l’apprécie comme « un crescendo de saveurs d’orange, de coing, de mandarine et d’épices », toutes saveurs fruitées réunies auxquelles il convient d’ajouter cette unique et discrète saveur de miel.
Une complexité fascinante pour un vin très expressif ! Hissant le Château de Fargues au plus haut niveau, quitte à faire l’impasse sur les millésimes médiocres, Alexandre de Lur Saluces ne laisse à l’histoire que des Sauternes « aux robes d’or haute couture ».Une complexité fascinante pour un vin très expressif ! Hissant le Château de Fargues au plus haut niveau, quitte à faire l’impasse sur les millésimes médiocres, Alexandre de Lur Saluces ne laisse à l’histoire que des Sauternes « aux robes d’or haute couture ».
Dans cette continuelle recherche d’élégance et d’équilibre, également « bio » avant l’heure, Alexandre de Lur-Saluces est particulièrement fier de ses vaches bazadaises dont le fumier, seul engrais utilisé, est particulièrement propice aux vignes. Depuis la terrasse, on aperçoit paître dans la prairie quelques ombres paisibles et placides.
Pour le seconder, il s’est adjoint les talents de son fils Philippe pour parcourir le monde à la recherche de nouveaux débouchés.
La sérénité des lieux au soleil couchant qui allonge l’ombre des majestueux pins parasols menant à la propriété ne laisse pas toujours entrevoir la somme d’efforts et d’amour du terroir déployée ici »…
