Nous avions évoqué dans notre « Lettre Baskulture » précédente la naissance d’Henri de Navarre, futur Henri IV de France, en rappelant le cantique « Nouste Daume deu cap deu pount » entonné par Jeanne d’Albret. L’historien Jacques de Cauna, docteur d’État de la Sorbonne, nous relate maintenant les circonstances du baptême du futur « Vert-Galant » :
Le Baptême de Lou nouste Henric
Le premier à évoquer le baptême du futur Henri IV, témoin digne de foi s'il en est puisqu'il fut plus tard précepteur du jeune prince, est le chroniqueur Pierre-Victor Palma-Cayet qui rapporte de son vivant en 1605 dans sa Chronologie Novenaire que « le baptistère de ce petit prince de Navarre fut fait dans Pau où il était né, en la même année qu'il naquit, ainsi que l'on comptait alors car l'on commençait les années à Pâques depuis le vingt-cinquième de mars, disant avant Pâques jusqu'au jour qu'elles étaient chaque année ; et après Pâques jusqu'au vingt-cinquième d'avril, l'on disait après Pâques. Mais selon que l'on compte à présent, ce prince fut baptisé en l'an 1554, le propre jour des Rois ». Avant de nous livrer d'autres détails parmi lesquels le nom des personnages présents ou représentés, le lieu et les circonstances du baptême, Palma-Cayet nous apprend que le petit prince, conçu au camp de Compiègne où Jeanne était allé rejoindre son mari en guerre, était né « dix jours après le retour à Pau de sa mère le 4 décembre 1553 » (dans la nuit du 12 au 13, entre une et deux heures du matin) sous l'affectueuse pression du grand-père qui voulait à tout prix qu'il soit le premier prince de Béarn à y naître. On sait qu'à la naissance, ce grand-père, le roi de Navarre Henri d'Albret, que les Espagnols appelaient par moquerie El vaquero [le Vacher] en raison de la figure héraldique des deux vaches sur ses armes, offrit au nouveau-né, selon la tradition populaire, le baptême béarnais au vin de Jurançon après lui avoir passé une gousse d'ail sur les lèvres.
Hardouin de Péréfixe, qui écrit cinquante et un ans après la mort d'Henri IV une Histoire du roy Henry le Grand à l'intention de Louis XIV dont il était le précepteur, précise la date du baptême, après avoir repris les indications de Palma-Cayet. Ce n'est que trois semaines plus tard qu'« il fut baptisé, l'année, suivante le jour des Rois, sixième de Janvier mil cinq cent cinquante-quatre » [1554]. Il confirme aussi que « pour ce baptême, on fit expressément des fonts d'argent doré, sur lesquels il fut baptisé en la chapelle du château de Pau […] par le Cardinal d'Armagnac, Evêque de Rodez et Vice-Légat d'Avignon », qui était l'homme de confiance de la défunte reine de Navarre, Marguerite d'Angoulême, sœur aînée de François Ier et épouse d'Henry d'Albret, la mère de Jeanne.
Péréfixe confirme enfin, en des termes similaires à ceux de Palma-Cayet, le nom des parrains et marraines : « Ses Parrains furent Henry le Second, Roy de France (« le Roi Très-Chrétien Henry II » pour Palma-Cayet), et Henry d'Albret, Roy de Navarre, qui lui donnèrent leur nom ; et la Marraine fut Madame Claude de France, qui fut depuis Duchesse de Lorraine » (« pour la grande amitié qui était entre elle et la princesse Jeanne », précise Palma-Cayet). Il relève également que deux de ces illustres personnages, le roi français et sa fille, la princesse Claude, qu'il avait eue de Catherine de Médicis, étaient absents, retenus à la lointaine cour de France, puisqu'il est précisé que « Jacques de Foix, pour lors Evêque de Lescar, et depuis Cardinal, le tint sur les fonts au nom du Roy Très Chrétien, et Madame d'Andouins, au nom de Madame Claude de France » (« la comtesse d'Andouyns servit de marrine pour madame Claude », avait dit Palma-Cayet). Outre le respect de la hiérarchie nobiliaire du royaume, puisque l'évêque de Lescar est le premier ecclésiastique, premier personnage du Premier Ordre, le Clergé, et la comtesse, l'épouse du premier baron de Béarn, celui qui siège avant tout autre noble aux Etats, on reste donc en famille, puisque Jacques de Foix est aussi le fils de Corbeyran de Foix, baron de Rabat, lui-même fils du célèbre Corbeyran, vicomte de Couserans, précepteur et éminence grise de Gaston Fébus, et que Marguerite de Cauna, est l'arrière-petite-fille d'Isabel de Béarn, elle-même fille naturelle de Jean Ier de Foix, vicomte de Béarn.
C'est par une sorte de confusion que François Bayrou dans son Henry IV, et plusieurs autres, assimilent à ce baptême la cérémonie qui eut lieu trois mois après la naissance, dans la grande salle du trône au premier étage du château, en donnant pour parrain à l'enfant royal le cardinal de Vendôme, Charles de Bourbon, frère d'Antoine, et pour marraine Isabeau d'Albret, dame de Rohan, sœur d'Henri d'Albret. Cette cérémonie officielle de représentation, très postérieure, en mars, correspond plutôt à une officialisation à la fois formelle et festive d'ordre dynastique et représentatif en présence de tous les vassaux béarnais et du peuple amassé aux portes du château.
Mais ce qui est le plus surprenant, voire prémonitoire, dans la cérémonie familiale du baptême réel telle qu'elle eut lieu dans la chapelle, c'est que la marraine substituée, celle qu'on appelait à la cour « la Comtesse », Marguerite de Cauna, comtesse d'Andoins par son mariage avec Paul d'Andoins, premier baron de Béarn, n'était autre que la future mère de Diane d'Andoins, plus connue sous le nom de « la belle Corisande », plus tard comtesse de Guiche, qui fut l'égérie et le grand amour de jeunesse d'Henri de Navarre qu'elle conseilla et aida de ses deniers pour la conquête de son royaume de France. Compte tenu des incertitudes sur la date de naissance de Corisande, il n'est peut-être même pas impossible que sa mère l'eût alors ce jour-là déjà portée en son sein...
La comtesse Marguerite de Cauna mourut très jeune peu après, et son mari, Paul d'Andoins, vicomte de Louvigny, baron d'Andoins, Hagetmau, Samadet et Mant, fut mortellement blessé à 42 ans au siège de Rouen, en octobre 1562, aux côtés d'Antoine de Bourbon qui, lui, mourut un mois plus tard lors d’un autre siège, aux Andelys, laissant doublement orpheline la jeune Corisande, élevée aux côtés du prince à Pau, et à Coarraze, sous la conduite de sa mère adoptive, la reine Jeanne.
Jacques de Cauna, docteur d’État de la Sorbonne