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Musique
Fandango et flamenco à propos du dernier film de Saura
Fandango et flamenco à propos du dernier film de Saura
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| Alexandre de La Cerda 1479 mots

Fandango et flamenco à propos du dernier film de Saura

Déjà présente dans l’art rupestre il y a plus de dix mille ans et remarquée par les poètes de l’Antiquité chez les belles Gaditanas – les habitantes de Cadix –, l’art de la danse semble être chevillé au corps et à l’âme ibérique par-delà les différents apports des nombreuses invasions qui déferlèrent sur la péninsule au cours de l’histoire. Précisément à Cadix, à propos du fandango que l’on considérait au XVIIIe siècle comme la « danza nacional por excelencia », le père Marti remarquait en 1712 que « cette danse de Cádiz célèbre depuis tant de siècles… est encore d’usage dans les maisons et les faubourgs de cette ville et jouit de l’enthousiasme des participants ; loin de se limiter à l’engouement du le bas-peuple (je cite toujours ce témoin de 1712), elle jouit également des faveurs des femmes honnêtes et les dames de la haute société la dansent volontiers. Ainsi le fandango est -il dansé parfois par un homme seul, ou par une femme seule, ou bien encore ce sont des couples en nombre qui suivent la cadence de la músique avec les ondulations corporelles les plus flexibles ». Il y avait aussi le bolero, que l’on dansait à deux ou par plusieurs couples au théâtre : réputé plus « distinguido y moderado » que le fandango, la comparaison entre les deux danses a même donné un dicton: « Si el bolero embriaga, el fandango inflama », ce qui pourrait se traduire par : Si le boléro enivre (ou grise), le boléro enflamme !

En fait, ce fandango que l’on dansait en Andalousie et qui n’avait pas grand-chose à voir – du moins quant au rythme – avec celui qui nous est familier au Pays Basque, semble être l’héritier d’une longue tradition de l’art de la danse déjà présente dans l’Antiquité mais frottée à tous les apports successifs historiques.

A l’origine, expression corporelle sans doute liées aux rites accompagnant les différentes époques de l’année et les cycles agricoles : on dansait pour faire pleuvoir ou honorer les Dieux. Pour saluer la lumière qui rallonge après l’obscurité hivernale, rites de la purification, de la fécondité et de la fertilité comme ceux qu’a encore conservé partiellement le Pays Basque, en particulier pour les temps de Carnaval, ces danses ont beaucoup évolué avant que de parvenir jusqu’à nous, et nous en avons souvent, hélas, perdu le fil conducteur depuis les origines.

Quand les Flandres s’en mêlent

On sait par exemple qu’au Moyen-âge, on distinguait en Espagne les différentes formes de danse entre celles, lentes et mesurées, danses de caractère religieux même ou cérémoniel, qui semblent être tombées en désuétude et d’autres, plus libres et enlevées dans leur rythme, qui ont évolué jusqu’à nos jours sous la forme des fandango, boléro et seguidillas.
En outre, il convient de ne jamais oublier que tant dans l’Antiquité qu’au Moyen-âge et jusqu’à une époque plus rapprochée de nous, la danse était souvent inséparable du chant, comme l’a remarqué le grand musicien, chef d’orchestre et musicologue Enrique Jorda. Un genre poético-musical déjà cultivé par les troubadours de l’Amour courtois qui évoluaient entre la carole, la ballade, le rondeau et même une forme dont proviendra la pavane si populaire à la Renaissance – toutes « réellement des chansons dansantes » comme l’observait le grand musicologue catalan Felipe Pedrell, l’apôtre du retour de la musique à l’âme atavique des Espagnes. 

Car la Renaissance était l’époque des « dîners-ballets » en honneur par exemple chez les Médicis à Florence ou les Sforza à Milan et qui se répandent en Europe. Rabelais (tome II chap XXXII des œuvres complètes) rapporte par exemple que : « Le souper finy, furent tables levées. Lors, les ménétriers, plus que devant mélodieusement sonnantz, fut par la Reine, commencé ung bransle double, auquel toutz et falatz et lanternes dansarent. Depuis se retire la reine en son siège ; les autres, aux divers sons de bouzines dansarent »… entre autres sur « la musque de Biscaye » (en fait, semble-t-il, un mousse de Biscaye) ainsi qu’une autre pièce appelée « Biscaye », la première étant parvenue jusqu’à nous en ayant même conservé quelques vers en langue basque.

Car, il faut encore noter que les différents airs circulaient dans toute l’Europe aussi librement que les étudiants qui passaient de la Sorbonne à l’Université de Salamanque bien avant que la bureaucratie européenne actuelle n’inventât à grands frais les programmes d’échanges interuniversitaires.

Ces airs suivaient les souverains et leurs cours en déplacement fréquent, les différents échanges économiques comme la route de la laine depuis la Castille jusqu’aux Pays Bas et bien sûr les chemins de Saint-Jacques qui parcourraient tout le continent.

Pour nous attarder sur les étroites relations entre les cours d’Espagne et les Flandres, on voit par exemple Joanes de Anchieta, natif (vers 1462) d’Azpeitia où l’on voit encore sa maison avec sa belle façade de style mudéjar, donc Joanes de Anchieta que l’on considère comme l’un des pères de la polyphonie européenne, suivre, à la mort d’Isabelle la Catholique, sa nouvelle souveraine Juana la Loca - Jeanne la Folle - dans les Flandres où elle se marie avec Philippe le Beau.

Il se frottera donc à ces musiciens flamands – flamencos – dont les activités artistiques suivaient l’essor économique, scientifique et culturel – le siècle d’or des Flandres.

En même temps, il était maître de chapelle de la reine à la cathédrale de Grenade, ville récemment libérée de l’occupation maure.

Maures, Juifs et Tziganes
Il convient donc d’ajouter à cette évolution les influences maures, mais également juives et tziganes qui se sont exercées sur la danse et la musique des Espagnes, particulièrement en Andalousie.

Il semble que parmi les danses d’origine maure – morisco - la zambra est celle qui évoque le mieux cette histoire partagée, parce que les arabes, après la Reconquista de l’Espagne, l’ont conservée en l’adaptant au style et aux modes des vainqueurs.

Signalons également que la légende attribue la Jota aragonaise à un poète et musicien arabe du XIIe siècle.

Les Juifs ont également fourni leur apport musical à l’ensemble, que l’on remarque en particulier dans les formes les plus anciennes des seguiriyas que l’on peut rapprocher de certains chants de synagogues, chez les Sefardis.

Mais ce sont surtout les gitans, dont on situe l’arrivée en Espagne vers le XVIe siècle, après la Reconquista du dernier réduit arabe au sud de la péninsule et l’expulsion des juifs, qui influèrent peut-être le plus sur l’évolution de la danse en Espagne.

Leurs danses rituelles ne manquèrent pas d’impressionner les autochtones : dans l’ambiance mystique et baroque baignant l’Espagne, leur art de la danse s’entoura d’un parfum de mystère aux senteurs marquées parfois du « souffre » d’une perversion réelle ou imaginaire. De là ce langage « cabalistique », cette gestuelle des mains en particulier, qui offre une analogie frappante avec les danses sacrées hindoues.

Cette manière contribuera d’ailleurs à conférer à la danse espagnole dans son ensemble cette légèreté ondulatoire et arrogante, avec une expression amoureuse successivement pleine de dédain, puis implorante et véhémente avec des emportements presque « sauvages » alternant avec des passages chargés d’érotisme.

D’où également ce parfum de soufre combattu à l’occasion par les autorités et l’église : il fallut attendre la fin du XVIIIe pourque le roi Charles III lève enfin les interdits qui frappaient les Gitans et leurs danses…

Mais cette danse perd parfois de sa vivacité lorsqu’elle troque les petites salles enfumées ou les places publiques contre les grandes scènes de théâtre. Mais la célèbre danseuse « Argentina » avait été l’une des rares à savoir conserver à son interprétation l’enchantement magique des origines, car c’était une grande danseuse d’école…

Car, la mode du « gitanismo » s’était répandue bien au-delà de son espace naturel plus grâce au célèbre ballet de Manuel de Falla, « El sombrero de tres picos », réalisé par Massine qui s’était attaché à l’étude du flamenco, en contact étroit avec les Gitans.

Rappelons que près d’un siècle auparavant, son compatriote russe Glinka était déjà venu puiser à Grenade, et ce dès 1832 à 35, ces composantes profondément assimilées de l’orientalisme espagnol qu’il rapprochait de l’orientalisme russe. Si une idylle avec une danseuse du quartier gitan de Grenade fut sans doute en partie la cause de son long séjour andalou, le compositeur russe n’en tira pas moins des rythmes, des mélodies et des couleurs orchestrales, celles-là même, d’ailleurs, qui nourriront, un demi-siècle plus tard, l’inspiration d’un Albéniz (j’évoquerai ce sujet lors de ma prochaine conférence à l’Académie Ravel, lundi 23 janvier à 18h, à l'Auditorium de Saint Jean de Luz, sur le thème « Itinéraire musical européen, de Saint-Pétersbourg à Bayonne et à Grenade autour de Liszt et Glinka ».

C’est précisément, de ces années 1830/40, lors du séjour de Glinka, que date l’âge d’or du Flamenco, lorsqu’il passe des tavernes aux tablaos des « Cafés Cantantes ».

(Rappelons aussi l’origine même du terme flamenco, lié aux récits des soldats espagnols qui avaient combattu dans les Flandres, les Pays Bas espagnols).

Et le mouvement de découverte de la danse et de la musique espagnoles aura été ainsi largement amorcé dans toute l’Europe…

Alexandre de La Cerda

 

 

 

 

 

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