Qui donc, parmi les élèves fréquentant le collège Elhuyar d’Hasparren se douterait que certains des objets les plus fréquemment utilisés dans la vie courante sont dus à une série de travaux et de découvertes effectués au XVIIIe siècle par de savants chimistes dont leur établissement porte le nom ?
En effet, la mise au point du tungstène par les frères Elhuyar en 1783 sera à l’origine d’une bonne partie de la technologie scientifique usuelle du XXe siècle, entre autres les filaments de lampes électriques, les valvules électroniques, les tubes de rayons X, les blindages anti-radiations, les éléments pour réacteurs et fusées spatiales, etc.
Certes, eux-mêmes ignoraient à leur époque toute l’étendue future et les applications possibles de leur découverte mais ils en avaient déjà, les premiers, exploré les possibilités d'alliage, en particulier le ferrotungstène qui permet aujourd’hui de fabriquer des aciers à outils et des aciers inoxydables réfractaires présentant une résistance élevée à la corrosion à chaud ou à froid dans de nombreux milieux.
Une famille hazpandar
Dans son ouvrage consacré aux « Grands Basques dans l’histoire universelle » (paru en 1976 chez l’éditeur palois S.P.R.O.), l’universitaire Olivier Baulny conte l’histoire et les origines de cette famille Elhuyar dont les documents d'archives conservent la trace depuis Domingo d'Elhuyar, « Sieur de Joangarterexerea » à Hasparren en 1726 et grand-père des deux chimistes ; avec son épouse Marie de Sourourt, il y fera construire une nouvelle demeure en 1731, peut-être s’agit-il de la maison connue sous le nom d'Elhuyarberria sur la route de Briscous, ou de celle d’« Elhiarria », plus rapprochée du bourg. Quant à leur père, Jean d'Elhuyar, il naquit vers 1718 à Hasparren. On le cite dans un acte dressé en 1746, comme étudiant en philosophie, qui se rend à Paris, sans doute afin d’y faire valider des études de chirurgie. Car à cette époque, remarque Olivier Baulny, « cet art jusqu'alors méprisé, et assimilé dans les esprits à la seule pratique de la saignée ainsi qu'à l'administration des clystères, devient, par les progrès de l'anatomie et de la médecine, l'objet d'une réglementation qui exige du chirurgien autant de science que d'habileté ». Jean d'Elhuyar fut de ces premiers chirurgiens modernes qui opérèrent de la cataracte au XVIIIe siècle tout comme il fut le premier, également, à pratiquer la césarienne à Bilbao où il se rendit vers 1750, puis à Logrono où il résida par la suite. II avait épousé en 1746 Ursule Lubice, fille d'un chirurgien de Saint‑Jean‑de‑Luz, qui lui donna trois enfants, dont les futurs savants, Jean-Joseph né en1754 et Fausto, en 1756.
Savants basques au Siècle des Lumières
C’est d’abord à Paris que les deux garçons vont étudier la chimie avec Rouelle - le maître de Lavoisier -, ainsi que la minéralogie. Ils y font la connaissance de Ramon de Munibe, fils aîné du Comte de Peñaflorida, fondateur de la célèbre Real Sociedad Bascongada de los Amigos del Pais. Avec la bourse attribuée à Jean Joseph par le roi d’Espagne Charles III et celle de la société scientifique basque accordée au cadet, ils peuvent parfaire leur formation scientifique au gré d’un voyage en Europe. Car, si l'Espagne, engagée à cette époque contre l'Angleterre, avait besoin de rénover sa métallurgie en vue d’une artillerie plus efficace, pour sa part la « Sociedad Bascongada » s’était fixé comme but de « cultiver le goût et l'inclination de la Nation Basque pour les sciences, Belles Lettres et Arts, corriger et affiner ses mœurs, exiler l'oisiveté, l’ignorance et leurs funestes conséquences et resserrer davantage l'union des trois provinces basques d'Alava, Biscaïe et Guipuzcoa ». Cette société savante unique en son genre avait été fondée en 1763 par Francisco Xavier Maria de Muñibe, huitième comte de Peñaflorida, esprit curieux et philanthrope dans le style des Lumières, resté en correspondance avec ses anciens professeurs de l'Académie des Sciences toulousaine et membre correspondant de celle de Bordeaux, qui n’avait guère dédaigné de composer quelques zortzikos, des cantiques religieux et même un opéra bilingue, en basque et en castillan ! Après quelques années de fonctionnement, la société avait créé des écoles à Marquina, Vitoria, Bilbao et surtout à Vergara où son « Séminaire Patriotique Basque » devient l'un des pôles du développement scientifique de l'Europe des Lumières et attire les meilleurs savants, entre autres l'Angevin Proust (un des fondateurs de l’analyse chimique), le Périgourdin Chavaneau (spécialiste du platine) et le Suédois Tunborg. C’est là, dans le laboratoire installé par Proust, qu’au printemps de 1783 les deux frères Elhuyar travaillent sur des échantillons de wolframite et obtiennent le nouveau métal. Son « acte de naissance » paraîtra en 1784 dans les publications de Sociedad Bascongada et de l'Académie des Sciences de Toulouse.
Olivier Baulny précise encore que « tandis que leur sœur se marie, et que leur vieux père s'en retourne à Bayonne où il meurt cette même année, les deux frères doivent se séparer. Jean Joseph part en Amérique du Sud avec son beau-frère ; leur sœur Marie Laurence d'Elhuyar va vivre en attendant son mari au couvent des Dames de la Foi, à Bayonne et Fausto, lui, continuera ses recherches en Espagne, en relation avec son frère aîné.