Le sens générique du terme embrasse diverses traductions. Elle a perdu son origine religieuse pour dire l’essentiel de toute vie, et l’horizon de son destin.
Comment interpréter en nos vies les expériences humaines fondamentales de l’amour, des émotions du désir, de toutes affections et maladies, de la conscience et de la souffrance, sans interroger son âme sur le destin ultime de ce partage des émois et des sentiments ?
L’échange avec son corps vient à cet instant et embrasse la totalité du corps et de l’esprit, indélébilement liés en chaque être humain.
Il est de fait que la définition de l’âme biblique et celle contenue dans le bouddhisme ne sont pas de même sens.
La définition biblique de l’âme dit le théologien jésuite Bruno Saintot, est fondée sur une anthropologie trinitaire, corps, âme et esprit. La formule résumée par Paul l’apôtre précise, “que votre esprit, votre âme et votre corps soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ“ 1 Th 5, 23 !
Mais les nuances culturelles et originelles ne manquent pas. Dans la traduction latine, anima est principe de vie, ce qui anime le corps et le siège des émotions et des passions, tandis que les grecs utilisant le terme psyché, mentionne la vie intérieure et la personnalité du sujet !
Quant à l’esprit ou pneuma insufflé par Dieu dans l’âme et le corps dès la création d’Adam, ne distingue l’âme et le corps séparément mais ensemble.
Les Grecs, richement dotés d’une réflexion philosophique sur l’âme, disposaient d’une anthropologie bipartite corps et âme et de deux grandes écoles philosophiques sur le sujet, celle de Platon de l’âme en conflit avec le corps qui l’emprisonne, et celle d’Aristote préférant une conception moins dualiste du sujet.
Interroger cette histoire et la définition de l’âme dans la pensée médiévale est instructive désormais.
“Les Pères de l’église choisissent une approche ternaire, à savoir l’ âme est le lieu de vie de la vie psychique, celui de la raison et des émotions, de la mémoire et de l’imagination, tandis que l’esprit est le lieu de la vie spirituelle, de la volonté libre ou du désir profond de la liberté”, rapporte le psychanalyste Jean Guilhem Xerri, auteur d’ouvrages sur « Le soin de l’âme ».
Pour ces sages de la pensée médiévale, l’âme est un sanctuaire de l’expérience spirituelle de toute liberté personnelle par delà tous les déterminismes imposés par le corps, le psychisme et l’environnement.
L’âme gouverne, se laisse inspirer par Dieu et transcende ses contraintes corporelles inhérentes à son destin.
Etrange époque désormais, on reparle de l’âme humaine dans un entrelacs de déterminismes naturels, environnementaux, psychiques et physiques !
Dans un ouvrage sur la question de L’oubli de l’âme, Emmanuel Falque renoue avec Aristote. Il existerait selon le philosophe trois degrés d’ âme au sens de principe de vie, l’âme végétative, permettant de se nourrir et se reproduire, l’ âme sensitive permettant d’éprouver et de se mouvoir comme tout animal et l’ame intellectuelle qui permet de penser !
Mais le philosophe Descartes en 1641 rompt cette définition académique incontestée.
Car pour le philosophe l’homme est d’abord un être pensant comme rapporté dans ses Méditations métaphysiques .
En latiniste exercé de son temps, il introduit le terme mens ou l’intelligence du cerveau, la raison et l’esprit, faisant disparaître l’âme au bénéfice de l’esprit.
La séparation définitive corps et âme est actée, on parle désormais de corps et d’esprit !
Les théologiens en connaîtront à leur tour le renoncement, jusqu’à ce livre de Joseph Ratzinger La mort et l’au delà réintroduisant le mot âme dans la pensée théologique après quelques siècles d’oubli ou de d’abandon de vocabulaire.
Curiosité du temps, la philosophe allemande Edith Stein, assistante de Husserl, s’interroge sur l’âme, et au vécu de l’expérience, et ne parle plus que du corps.
Le parcours de la philosophe est impressionnant, juive, auteur et penseur allemande, devenue carmélite revient à la triade corps, âme et esprit, car pour elle l’âme assure l’unité entre les dimensions rationnelles et affectives de notre être, en ce que l’âme est ce par quoi la réalité extérieure est ressentie, et intériorisée !
Nous aurions comme la responsabilité d’en tenir l’âme éveillée pour ne vivre sans âme avec une paralysie ou un sommeil d’une vie dégradée !
Curieuse époque qui après avoir épuisé ses certitudes du tout technologique, et du progrès infini s’interroge a nouveau sur les facultés de l’âme humaine et spirituelle face aux grandes questions existentielles , à la quête d’un supplément d’âme manquant pour donner sens et profondeur à la vie !
L’animisme venu de l’étranger, le chamanisme et la magie ne seraient totalement absents de cette requête contemporaine.
Mais chaque discipline conduisant vers ce faisceau d’échanges et de débats possibles, l’âme en serait le creuset inattendu du sens donné au sens de toute vie, que chaque génération d’humanité s’approprie à son intérêt légitime !
Prenant le temps de citer en conclusion François Cheng, l’auteur souligne, “A part le bouddhisme dans la version la plus extrême de sa doctrine, toutes les grandes traditions spirituelles ont pour point commun d’affirmer une perspective de l’âme située au delà de la mort corporelle. Cette affirmation est basée sur l’idée que l’âme de chaque être est reliée au Souffle Primordial qui est le l’ai dit, le Principe de Vie même !
Compte tenu de ce fait notre âme animée par un authentique désir d’être a le don de nous rappeler, quelle que soit notre croyance, combien la vie de chacun participe d’une immense aventure que les chinois nomment le Tao, la voie, aventure unique en réalité, Il n’y en a pas d’autres, qui connaitra des transformations mais point de fin, celle de la Vie” !
« De l’âme » de François Cheng, chez Albin Michel