Eté 93 - Film espagnol (catalan) de Carla SIMON – 94’
Parmi les « plaies » connues, répertoriées, du cinéma mondial, il y en a deux particulièrement redoutables : le premier film autobiographique et les enfants acteurs (des singes savants selon Alfred HITCHCOCK !). Peu de longs métrages résistent au naufrage qu’entraine le cumul de ces deux « plaies ».
Pourtant tel n’est pas le cas de ce premier film de la catalane Carla SIMON (31 ans) avec deux enfants ( !), des cousines, Frida 6 ans (Laïa ARTIGAS) et Anna 3 ans (Paula ROBLES). Frida vient de la grande ville, Barcelone, pour habiter chez son oncle Estève et sa tante Marga, dans une petite maison perdue au milieu de la forêt de Garrotxa, région volcanique au nord de la capitale catalane. Par petites « touches », nous comprenons que Frida, déjà orpheline de père, vient de perdre sa jeune mère victime d’une terrible maladie : le sida. La force du film réside dans le fait que la réalisatrice, également scénariste, premier film oblige, décrit les deux enfants dans leur univers propre (jeux, disputes, fâcheries) et leur parentèle dans leur environnement, maison, forêt, cour d’eau, village, avec exactitude.
A ces âges-là, 6 ans, 3 ans, on comprend beaucoup de choses, mais il y manque le vocabulaire pour les exprimer. De fait, les enfants ont une relation physique, mais également imaginaire avec le monde complexe, créateur de désordres, qui les enserre. Ce long métrage rend sensoriel, et par là même émotionnel, ce phénomène. La relation complexe faite de non-dits entre Frida, Anna, et les deux adultes Estève et Marga est visuellement réussie en évitant tout pathos : Carla SIMON filme à hauteur d’enfant. Aussi, nous propose-t-elle des plans séquences afin de maintenir le jeu des jeunes acteurs dans un naturalisme du à leur innocence. Un découpage précis des scènes aurait inévitablement altéré l’humanité qui s’en dégage.
La jeune réalisatrice qui a fait ses études de cinéma à la London Film School en Angleterre avoue avoir en tête deux films espagnols, et non des moindres, de la fin du franquisme : L’Esprit de la Ruche (1973) de Victor ERICE et Crias Cuervos (1975) de Carlo SAURA (les deux avec l’étonnante petite fille : Anna TORRENT), sans oublier le film français de Jacques DOILLON Ponette (1996) qui l’a inspiré pour sa direction des deux très jeunes actrices.
Ce film, très différent des réalisations espagnoles que nous avons citées, plus classiques, fut tourné avec peu de moyens (caméra portée à l’épaule, son direct, plans séquences). Il n’en dégage pas moins au visionnage une émotion devant le désarroi de cette petite fille, esseulée dans sa détresse, la disparition de sa mère, mais enveloppée de toute la tendresse de ses proches (oncles, tantes, grands-parents). La gageure est que ce n’est pas larmoyant malgré la rudesse de l’intrigue.
Ce premier opus prometteur a été couronné au dernier Festival de Berlin par le prix du meilleur Premier Film et au Festival de Cannes par le Prix Ecrans Juniors. Ce n’est que justice devant ce nouveau talent féminin qui a su se jouer des obstacles inhérents à ce genre d’entreprise.
Jean Louis Requena