Dans un taxi qui les emmène dans la nuit, Tsugumi (Hyunri) et Meiko (Kotone Furukawa), deux jolies filles bien apprêtées, ont une conversation animée. La première très en verve confie qu’elle a passé, il y a quelques jours, avec un beau garçon « une soirée magique ». Elle donne force détails sur cet homme formidable. Meiko comprend que Tsugumi décrit, de fait, son ancien amoureux. Elle ne dit rien. Le taxi dépose son amie devant son domicile. A la demande de Meiko le taxi fait demi-tour et la dépose devant l’agence de publicité de son ancien amoureux. Dans ses locaux déserts, Kazuaki (Ayumu Nakajima) est surpris de voir surgir son ex-amie … Un long échange aigre doux s’engage. Magie ? est le premier épisode de la trilogie qui ouvre le film.
Le second épisode s’intitule : La porte ouverte. Nao a été autrefois une brillante étudiante en français. Elle vit une liaison compliquée avec Sasaki (Shouma Kai), un jeune homme plus jeune qu’elle, promis à un bel avenir. Ensemble, ils découvrent que le professeur Segawa (Kiyohiko Shibukawa) a publié un roman érotique qui vient de gagner un important prix littéraire. Segawa est l’ancien professeur de français de Nao qu’elle a en son temps quelque peu méprisé. Elle décide d’aller dans son université pour lui faire dédicacer son livre. Segawa est surpris de cette rencontre dans son petit bureau, sans âme, surchargé de livres. Il écrit sa dédicace et rend l’ouvrage à Nao. Celle-ci, décide alors de lire d’une voix soyeuse le passage le plus explicitement érotique du roman. La porte du petit bureau qui ouvre sur un couloir très passant, a été fermée auparavant par Nao …
Le troisième épisode se nomme : Encore une fois. Vingt ans après, Natsuko (Fusako Urabe) est invitée à une fête de son ancien lycée. Elle s’y ennuie et décide de s’en aller pour retourner à son hôtel. Elle est loin de chez elle. Le lendemain, elle croise par hasard, Aya (Aoba Kawai) une femme de son âge dans un escalator. Elles hésitent puis pensent se reconnaitre comme camarades de lycée. Après quelques tergiversations, Aya invite Natsuko à boire le thé dans sa maison, située non loin de leur lieu de rencontre. La discussion qui s’engage est étrange : elles semblent à la fois se connaitre et ne pas se reconnaitre …
Contes du hasard et autres fantaisies (Guzen to sozo en version originale, qui peut être traduit littéralement par : hasard et imagination) ont été tourné en deux fois : les épisodes 1 et 2 en 2019 avant la pandémie et l’épisode 3 après le long métrage de Ryusuke Hamaguchi (43 ans) Drive My Car (179’) en 2020 durant la pandémie ! Le réalisateur également scénariste, avait rédigé sept courts récits pour en définitive en retenir trois : Magie ? (Un triangle amoureux inattendu), La porte ouverte (Une tentative de séduction), Encore une fois (Une rencontre née d’un malentendu). Pour cet opus, très différent dans sa forme (trois contes) de Drive My Car (long métrage de trois heures), le réalisateur a travaillé avec une équipe technique légère. Il a privilégié, plus qu’a son habitude, le travail préparatoire des comédiens en amont (long travail sur les textes, mise en place dans des espaces clos : véhicules, bureaux, habitations, etc.) afin de tourner en longs plans séquences.
Pour chaque scène, il en enregistre plusieurs (jusqu'à vingt fois affirme-t-il !) afin d’avoir un abondant matériau donc plusieurs possibilités de montage suivant les axes choisis. Cette méthode laisse à l’acteur qui connait parfaitement son texte, la possibilité de s’en libérer, d’articuler son jeu sur le plan émotionnel. De sorte que l’on peut affirmer, selon cette méthode, qu’un bon directeur d’acteur est celui qui donne aux interprètes, à condition qu’ils aient été bien choisis lors du casting, des espaces de liberté qui favorisent l’émergence des ressentis, des émotions.
Dans son film à sketches, Ryusuke Hamaguchi fait éclater de nouveau son amour des mots, la musicalité de ses dialogues prononcés par des femmes, les héroïnes de ses dernières œuvres : Senses (2015), Asako I&II (2018). A juste titre, il se réclame de deux grands cinéastes français maîtres de longs dialogues, de l’importance de la parole, de l’érotique du verbe : Éric Rohmer (1920/2010) Les contes moraux (1963/1972) ; Jean Eustache (1938/1981) La Maman et la Putain (1973). Cependant, il reste aussi le dépositaire du trio des grands maitres cinéastes japonais du XX ème siècle qui ont fouillé « l’âme féminine » : Kenji Mizoguchi (1898/1956), Yasujiro Ozu (1903/1963) et Mikio Naruse (1905/1969).
Contes du hasard et autres fantaisies a été sélectionné à la Berlinale 2021. Le film a été récompensé par le Grand prix du jury.