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Conférence
Colloque de Cambo - Mgr Gérard Defois
Colloque de Cambo - Mgr Gérard Defois
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| Mgr Defois 4914 mots

Colloque de Cambo - Mgr Gérard Defois

Regard vers l'avenir, vers quel monde allons-nous ? Avec quelle Europe, avec quelle Eglise ?

Nous publions ci-dessous le texte de l’intervention de Mgr Gérard Defois, archevêque émérite de Lille lors du colloque organisé le 8 août dernier en l’église Saint Laurent de Cambo - autour de la personne et en présence du cardinal Roger Echegaray.

Regard vers l'avenir : vers quel monde allons-nous, avec quelle Europe, avec quelle Église ? « Contribution de l’Église européenne à l’intelligence de l’Europe. » + Gérard DEFOIS

« On pressent que de tels changements ne seront concevables que s’ils s’accompagnent d’un profond changement de nos cultures, porté lui-même par un grand élan spirituel. Quelle pourrait être alors la contribution des sagesses et des religions du monde ?

Que devons-nous attendre des chrétiens, des catholiques et de leur Église dans cet immense travail dont ils ne sauraient se dérober ? »

Videtur quod non, dirait St Thomas.

Je rappelle ici les questions qui me sont posées. Ce peut être des demandes « cataplasme » en référence à l’opium du peuple selon Marx : on est perdu en Europe, vous les religions venez à notre secours ! La question prête à confusion, les sagesses sont multiples, elles ne régissent pas les états et les personnes de façon univoque. Par ailleurs comment demander leur présence et en même temps les réduire au silence, leur imposer de se taire au nom de la laïcité française ?

Les religions sont diverses et la plupart ne recouvrent pas les mêmes postures anthropologiques et donc éthiques. En particulier sur la vie, la sexualité, la guerre, les relations aux non croyants (le mépris des autres croyants ou incroyants, païens ou dhimis). Le christianisme lui-même est en pleine effervescence d’éclatement dans une diversité complexe entre les replis traditionnels et l’explosion mondiale des courants dits « évangéliques » dans le monde, en particulier en Amérique latine, en Afrique sûrement, et en Europe.

Quelques estimations statistiques : D’ici 30 ans les chrétiens de toute obédience passeraient de 2,168.330.000 à 2.918,070,000, soit 31,4 de la population mondiale, les musulmans de 1,600.000 à 2,761,480,000, de 23,2 % à 29,7% de la population soit un gain de 1,161,780,000. Les catholiques diminuent de 1.344.000, en Europe. Il en résultera une conscience religieuse très différente de celle qui habitait la chrétienté réelle ou rêvée du siècle dernier : la religion clef de voûte de la cohésion sociale : une foi, une loi, un roi. Nous nous découvrons minoritaires. Le monde ne sera plus la maison des chrétiens ou des catholiques, d’autres voix se feront entendre dans l’espace des religions en Europe. Mais en France cela se murmurait au 19ème siècle.

Quant à l’Église catholique en tant que forme instituée en État du Vatican, si elle a une diplomatie propre, modeste mais assez efficace, (cf les accords d’Helsinki, en 1975 la 3eme corbeille sur les libertés fondamentales et les droits de l’homme et l’action du Cal Tauran), l’Église historique apparaît, vu dans l’ensemble chrétien ou religieux du monde l’une des formes parmi d’autres de la réalisation du christianisme dans la suite de l’existence concrète et historique de Jésus le Christ. Par sa fermeté institutionnelle elle est le fruit d’une continuité apostolique, certes, mais avec des méandres dans ses évolutions au gré de la culture et de la destinée politique des peuples.

Qualitativement, j’ajouterai que l’Église elle-même est non pas en crise- mot paresseux qui ne recouvre rien !- mais connaît dans ses représentations une modification allant de l’institution bureaucratique du début du 20ème siècle, l’autorité magistérielle de Vatican I, vers un autre imaginaire, « courant d’idées et de sentiments évangéliques », souvent charismatiques mais fluides. Ce qui laisse présager des changements importants quant aux appartenances visibles à l’institution. Ne serait-ce que par la modification du nombre des pratiquants et de la répartition de ses ministres (prêtres) permanents. Ce déplacement souvent considéré comme déclin religieux par les traditionnalistes est la conséquence d’une transformation culturelle passant de l’appartenance sociale croyante par héritage socio-culturel à une démarche de « conversion » plus individuelle et émotionnelle, un choix de raisons de vivre, de donner du sens à l’expérience, un sens consenti parmi d’autres possibles.(cf. mon étude des lettres de confirmands en Documents épiscopat.) Avec des chocs en retour vers un traditionnel dans l’expression liturgique, une volonté d’affirmation par les signes ostensibles d’appartenance. Ce déplacement n’est pas acté par les journalistes et même des historiens récemment. Il est souvent plus provincial que parisien.

Il s’agit alors en Europe de la tension plurielle entre une religion d’appartenance catholique, voire religion d’État comme en Angleterre, et une religion « liquide » de communautés de foi, de communautés de conviction de nuance réformée et de protestation prophétique.

Quelle pourrait être alors la contribution des sagesses et des religions du monde ?

Pour répondre à la question posée, concernant les cultures, les mentalités, les valeurs, ce qui est appelé sagesses ou religions, je me limiterai prudemment au christianisme et à son expression catholique ou réformée pour inventorier l’humanisme du message chrétien, faire émerger ce qu’il peut offrir comme références anthropologiques pour penser l’Europe. Comme ressources de reflexion.

 

Je commencerai par deux citations d’autorité pontificale :

 Jean Paul II, 7 octobre 1982. « L’Église et l’Europe. Ce sont deux réalités intimement liées dans leur être et leur destin. Elles demeurent marquées par la même histoire…Dans leur rencontre, elles se sont mutuellement enrichies de valeurs qui sont devenues non seulement l’âme de la civilisation européenne, mais aussi le patrimoine de l’humanité tout entière. Les crises de l’Européen sont les crises du chrétien. Les crises de la culture européenne sont les crises de la culture chrétienne. » A la chapelle Sixtine, en présence du cardinal Etchegaray.

Noter que la problématique ici est celle des valeurs en action dans une histoire et une société et non celle des racines de l’Europe. Déraciner historiquement les valeurs, serait les rendre abstraites néoplatoniciennes et irréelles. Ce que l’on fait couramment avec les valeurs républicaines. Jean Paul II appelle en Europe un dialogue productif d’une âme commune, une négociation avec l’autre dans sa différence et non une rigidification du passé en archives. Noter que l’opération se fait dans une perspective d’universalisme.

Pape François, remise du prix Charlemagne, 6 mai 2016 : « La communauté des peuples européens pourra vaincre la tentation de se replier sur des paradigmes unilatéraux et de s’aventurer dans des colonisations idéologiques ; elle redécouvrira plutôt la grandeur de l’âme européenne, née de la rencontre de civilisations et de peuples, plus vaste que les frontières actuelles de l’Union et appelée à devenir un modèle de nouvelles synthèses et de dialogue. Le visage de l’Europe ne se distingue pas, en effet, par l’opposition aux autres, mais par le fait de porter imprimés les traits de diverses cultures et la beauté de vaincre les fermetures. ».

Noter. Une identité fondée non sur le capital culturel, sur les racines d’hier mais sur la disponibilité à échanger avec d’autres cultures, une personnalité de l’Europe en situation de transhumance et non de repli crispé sur ses privilèges historiques. Noter le danger signalé de l’ethnocentrisme européen ( colonisation idéologique), le paradigme théocratique, fût-i laïque, puis technocratique. (paradigmes technocratique de Laudato si, ).

La tentation du repli selon l’ethnocentrisme européen, l’élargissement de l’âme au-delà de nos frontières de l’Union, cette âme s’exprime par la rencontre de l’autre et de l’ailleurs ( universalisme) et dans la gestation de nouveaux modèles de dialogue ; le fait que la diversité des autres s’imprime chez nous et la victoire sur les tendances à la fermeture.

Le christianisme comme vision du monde, nourrie d’Israël et de la transhumance entre exode et exil, forte de la Promesse mais toujours menacée par la consommation païenne (cf. les prophètes comme Élie ou Jérémie et leur combat contre la perversion idolâtrique), de son institutionnalisation dans les carcasses d’un empire romain déchu par la violence païenne, (cf. la négociation de l’église d’Augustin ou de Remi avec les Vandales, les Francs et autres ariens), ce christianisme a travaillé la conscience européenne pour donner sens et paix à des entreprises de conquête de terres gallo-romaines et d’élaboration incertaine de la chrétienté, un travail jamais achevé. Les racines sont devenues des ressources anthropologiques pour l’action.

Une identité positive comme un chantier de relations évolutives. « Le visage de l’Europe ne se distingue pas, en effet, par l’opposition aux autres, mais par le fait de porter imprimés les traits de diverses cultures et la beauté de vaincre les fermetures ».

Comment à partir de ces réflexions penser l’Europe et son avenir ?

Saint Paul, dimanche dernier aux Éphésiens « laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. »

Il est évident que les perspectives que je développe demeurent approximatives, plutôt des tendances observées dans l’actualité incitant à proposer des pistes de réflexion, plus que des projets maîtrisés sur lesquels je prétendrais dominer par quelque compétence.

Un de mes éminents confrères de ce débat a situé en quelques mots le contexte culturel dans lequel nous nous débattons : « Tout au long des « trente glorieuses » et au cours des décennies qui ont suivi, nous avons laissé une contre-culture émerger, faite de consumérisme, d’utilitarisme, de relativisme, puis d’un nationalisme passéiste se répandre partout. Ce mal a contribué à ronger les piliers de notre union. Il s’oppose frontalement à la culture du sens, de l’universel, de responsabilité et de solidarité qu’il s’agirait de promouvoir pour faire face aux changements radicaux qui nous attendent. » M.Camdessus, L’aurore du Bourbonnais, n°3636 du 27-7-2018.P. 5.

 

  1. Penser l’Europe comme une communauté de ressources et non un capital de racines chrétiennes historiquement datées.

2.

Cf. François Jullien, : des racines aux ressources : ce qui fait la personnalité et l’identité sociale c’est l’expérience commune d’un sens. (Ressources du christianisme, cahier de l’Herne.)

La mise en cause des institutions européennes ou religieuses, c’est pour se permettre d’exister par soi-même et dans le temps et l’espace présents. Être reconnu et libre.

Ainsi nous pratiquons une économie de finances particulières dépourvue de sens commun. Le retour à la solidarité et la fraternité sont menacées par l’individualisme et, la crispation affective pour protéger un pouvoir personnel. L’expérience du traitement de l’argent issu des ressources naturelles en Afrique illustre cette tendance, les principes politiques ou socio-culturels de l’appropriation de l’argent y font apparaître des inégalités structurelles comme indépendantes des solidarités primaires tant de la famille que de l’ethnie ou de l’État. Le prestige des migrants sur place, qui ont le courage de partir pour aider ceux qui restent et auxquels ils enverront de l’argent, traduit cette valorisation de l’être soi-même par soi-même.

En Europe :l’ubérisation du travail qui supprime les relations employeur-employé et n’engage dans aucune relation hétérogène. Nous allons être mis devant une nouvelle signification du travail et donc du chômage, des responsables syndicalistes en sont conscients au plus haut niveau. Quel avenir pour la subsidiarité dans les corps sociaux, s’ils sont dès l’abord éclatés ? Les start up et la sécurité sociale.

Ce que l’on retiendra du christianisme, ce n’est pas d’abord la foi reconnue objectivement vraie ou non, mais sa capacité d’usage, c’est son effet psycho-social ou éthique qui devient premier par rapport à la question de la vérité doctrinale. Le christianisme reprendra une nouvelle place dans la société s’il est ressource d’expérience humaine. Ce ne sera pas dans la suite de ses racines, plutôt une utilité sociale ou personnelle. Plus que des valeurs traditionnelles qu’il maintiendrait, il doit aider à vivre et à être dans l’aujourd’hui.

Ce qui explique le retour au symbolique et à l’émotionnel (charismatique ou catéchuménal, les conversions et certaines vocations (cf. mon enquête sur les lettres de confirmands) dans la pratique des relations aujourd’hui, y compris sur le plan religieux.

Non pas la question de la foi mais celle de l’épanouissement de l’ego, du profit et du chacun pour soi. Ce n’est pas une question de croyance objective, une doctrine à laquelle on adhère, mais une affaire de conscience qui permet la confiance dans le « vivre ensemble » et de pouvoir compter les uns sur les autres.

Comment l’Europe peut-elle susciter cette confiance et cette fraternité comme ethos collectif ?

 

2.Penser l’Europe comme un évènement du XXI ème siècle, un avènement d’avenir:

 

L’Europe est née en retour d’évènements qui ont affecté ses habitants : la deuxième guerre mondiale et l’aventure nazie, puis la menace soviétique et la partition du territoire sous régime communiste et une solidarité libérale tempérée par des gouvernants démocrates chrétiens dans un premier mouvement. Depuis le XIXème siècle le Vatican inspiré par Taparelli d’Azeglio (1793-1862), un juriste jésuite, a œuvré pour que l’Europe dépasse les nationalismes qui préconisaient des religions nationales. Ce qui est à l’opposé de la catholicité et du ministère du Pape, Rome a alors préconisé le principe de subsidiarité, d’une co-responsabilité des nations pour éviter les antagonisme nationaux.

En 1950 les évènements furent à la fois somptueux comme les traités de Paris (1951), la CECA, Rome 1957, où fut créée la CEE (communauté économique européenne), Maastricht pour L’union européenne, etc, mais des initiatives concrètes telles l’échange des diplômes et des étudiants Érasmus, l’euro comme monnaie de la communauté, l’accord de Schengen sur la libre circulation dans l’espace européen ont modifié les pratiques et donné une base pragmatique à l’être européen.

L’Église par ses institutions épiscopales suscitées par l’action courageuse du cardinal Etchegaray a donné un accompagnement et des impulsions qui se sont vite ouverts à d’autres expressions du message évangélique. Ce fut la KEK, incluant orthodoxes et réformés ; ses colloques ont permis à certains orthodoxes entre autres de traverser le rideau de fer. Mais quel écho donnons-nous à ces travaux théologiques qui ne manquent pas de poids politique au sens du développement d’un bien commun de solidarités fondées sur la fraternité dans le Christ ? N’est-ce pas resté l’œcuménisme des chefs ?

L’Europe d’aujourd’hui reçue comme administrative et bureaucratique manque de symboles et de rêves, enlisée qu’elle est dans des querelles d’intérêts nationaux ou privés, dans la concurrence acerbe des partis, il lui manque la hauteur de vue, du moins au niveau de l’opinion publique d’une mission de solidarité mondiale et de partenaire des empires économiques et politiques.

Nous le voyons bien sur des questions telles que le devenir du travail à l’heure de l’intelligence artificielle, la prévision de nos relations avec les nouveaux ensembles continentaux, nous serons amenés à réviser nos tendances à la colonisation idéologique pour créer dans le dialogue des ressources et des traditions culturelles de nouvelles entreprises où le sens de la communauté des hommes l’emportera sur la captation de richesses bradées par des pouvoirs éphémères. Ce qui ne laissera aux classes moyennes des pays subsahariens que l’espoir tragique de migrer sur des radeaux en Méditerranée. Il s’agit de penser l’Europe en termes d’avenir, de partenariat et de responsabilité internationale.

 

  1. Penser l’Europe comme une itinérance et non une application de thèses essentialistes.(les valeurs et les hiérarchisatios).
  2.  

Ethnocentriques par la tradition des Lumières, l’Europe, la France, nous découvrons que nous avons à apprendre des autres. L’essentialisme, c’est le gel des valeurs et des mots qui nous fait regarder le monde et les autres comme le champ d’application de nos idées, possédant la vérité nous pensons que l’avenir du monde c’est de nous ressembler. Le Pape François parle d’un discours auto référentiel, qui ne fait référence qu’à soi-même et pour soi-même. Il n’est que de voir comment nos prédécesseurs ont envisagé la scolarisation des enfants et des jeunes dans les colonies et comment le développement en maints pays du monde a copié ce que nous faisons comme routes et voies de communication, ou en télévision par exemple. Mais il en est de même en maints domaines.

Les papes parlent du dialogue des cultures, des traditions et des expériences comme un travail de production de sens, un partage créateur de raisons de vivre. Et j’ai vécu à Roubaix des rencontres dans les quartiers périphériques de nos villes où l’échange des savoirs, le partage des connaissances et des expressions artistiques ouvraient des perspectives vers une civilisation plurielle où l’apport des autres fait éclore en nous d’autres formes de techniques et d’expressions. Or, c’est surtout dans les parties les moins formées à l’occidentale que nous pouvons rencontrer cette créativité de travail et d’intelligence commune.

Nous avons souvent évoqué l’évangélisation comme une mise en œuvre de nos valeurs chrétiennes.

Un évêque du Cameroun me confiait l’an dernier : « Boko Haram » les terroristes de Centre Afrique, ce sont les enfants de la drogue et du chômage, ils recherchent la violence pour s’affirmer et l’argent pour vivre et paraître.

Nous avons projeté brutalement en ces zones culturelles les modèles de consommation que nous apprécions à tort ou à raison. Mais un certain nombre de ressources minières dont nous bénéficions sont extraites du sol de leur Afrique par exemple et nous leur renvoyons à bon prix ces produits transformés par nos entreprises à haute technologie. Sans pour autant offrir du travail et des moyens d’existence. Comment l’Europe ne serait-elle pas ressentie comme prédatrice ?

Penser l’Europe comme un partenaire de l’itinérance mondiale des technologies- je pense au téléphone entre autres- c’est faire preuve de responsabilité en adaptant notre vision des autres à leur propre mutation spirituelle et en les rendant partenaires de la recherche européenne dans le domaine des techniques come des idées. C’est une patience responsable de la progression culturelle de l’humanité dont l’Europe doit s’estimer l’un des acteurs.

A titre d’exemple pensons à l’organisation publique de centres de G.P.A. en Inde au profit de personnes fortunées. Nos modes de vie projetés sur des populations en situation de pauvreté peuvent être la source de génocides culturels. Dont il nous faut assumer la responsabilité.

 

  1. Penser l’Europe comme une confluence de spiritualités historiques,
  2.  

La question critique et éthique de l’Islam, l’intelligence des textes coraniques. Pour les chrétiens européens, c’est la question du XVIème siècle en France : le conflit entre Bossuet et Richard Simon, dans l’esprit de Spinoza : les récits bibliques sont-ils crédibles, à prendre au pied de la lettre ou au niveau symbolique ? Des produits de l’imagination humaine sans valeur sacrée d’imposition civique.

Le débat entre le rationalisme et la Révélation, (science et foi ?), la raison et la transcendance des valeurs.

L’Europe de Saint Benoît à Charles de Foucaud, de Cyrille et Méthode (les deux poumons de l’Europe, disait Jean Pau II) à Saint Ignace de Loyola, de Saint Bernard à Mère Teresa, est au croisement d’expériences spirituelles qui, d’Est en Ouest ont généré des lieux, des monastères ou des pèlerinages, des mouvements d’évangélisation qui ont créé des références communes, imprimé une âme spécifique en termes culturels. (St Jacques de Compostelle.).

En Europe la raison et la foi se sont heurtés comme mise en œuvre de cultures : de Genève et la Réforme, à Saint Petersburg et l’orthodoxie, à Paris, de Thomas d’Aquin à Pascal, du jansénisme au curé d’Ars et aux eudistes : l’éducation personnalisée, la recherche par les disputatio, de la pratique de l’esprit critique à la formation spirituelle du cœur jusqu’à la conversion radicale par la foi éprouvée. Faire se comprendre l’esprit et le cœur dans la quête spirituelle a été l’objectif inconscient d’une Europe en pleine élaboration territoriale (cujus regio, ejus religio) et politique, (le sacre des rois).

Or ceci se croise encore, mais en termes modernes, dans une société ou même des familles qui sont le lieu d’un débat spirituel qui veut s’occulter dans une conception  neutraliste de la laïcité qui n’était pas celle de Jules Ferry et autres. Mais l’élément le plus important est de nouveau, après Cordoue au siècle de la rencontre de l’islam, dans nos relations, nos quartiers, nos collègues de travail et nos familles elles-mêmes.

Charles de Foucaud (1858-1916) nous précède dans ce dialogue culturel avec l’Islam, il le vivait tandis que la France était déchirée par le laïcisme des années 1880-1905. Notre monothéisme, naguère ébranlé par les conflits avec la science et le progrès, est maintenant contesté par l’expérience médiévale de dialogue et de lutte (Xe au XIIe siècle) et mis à l’épreuve par le terrorisme et les tensions de l’islam mondial. D’autant que la spiritualité redevient une question politique par l’invocation des valeurs et l’émergence de groupes d’inspiration asiatique. Le laïcisme politique ne sait plus à quel « saint » se vouer ! Et l’islam fait de sa religion la base de rapports économiques et d’intérêts politiques. Ils ont à la fois les « idées et le pétrole ! » eux.

Comment la quête de sens évoquée aujourd’hui trouvera-t-elle un langage pour exprimer notre monothéisme européen ?

 

  1. Penser l’Europe comme un espace de religions (Assise 27 octobre 1986 en est le prototype), appelées à exprimer le salut de l’homme dans son histoire :

 

Aujourd’hui : en quoi le fait de « croire au ciel » donne-t-il des idées et des images à ceux qui travaillent sur la terre au jour le jour ?

Le Djihâd et le colonel Beltrame selon les media. Cela a mis dans les esprits contemporains une image inattendue de la religion : mourir pour Allah pour les terroristes, mourir pour des valeurs transcendantes et supérieures voire nationales pour le colonel.

C’est la nouvelle forme de la radicalité de l’engagement, qu’elle soit évangélique ou idéologique.

En fait, la question n’est pas neuve, il suffit de se rappeler la pièce d’Albert Camus : le mythe de Sisyphe : « les raisons de mourir sont aussi d’excellentes raisons de vivre ».

Où, dans notre société est pris en compte jusqu’à l’absolu, le salut des hommes ?

La banalisation des valeurs, leur soumission au désir immédiat depuis 1968 ou aujourd’hui dans l’éthique sexuelle ou physiologique, la neutralisation laïque des convictions religieuses (et pas seulement spirituelles) sans frontières le terrain des espérances que l’État ou les promesses de consommation ne peuvent satisfaire. C’est alors transformer le champ des spiritualités en « chambre de commerce » et laisser libre cours à la concurrence des promesses de salut : psychologiques, magiques et ésotériques ou des religions inédites. L’État réagit par la répression en « diabolisant » les convictions religieuses dans leurs expressions. L’affaire des foulards ou des menus à l’école.

Jean Paul II et le cardinal Etchegaray en inventant à Assise en 1986 une célébration de la paix ont remis en question la politique de répression et de neutralisation spirituelle prônée par certains politiques qui à gauche comme à droite semblent ignorer la vraie nature du religieux, ils l’enferment alors dans la concurrence et la violence, en conflits de pouvoir et en rapport de forces. A Assise s’est projettée une plateforme de solidarités qui libèrent le sujet du totalitarisme technocratique ou idéologique, et ouvrent des perspectives d’accueil de l’Autre, en quête de vérité intérieure. La religion est là pour ouvrir au transcendant de la foi et non aux conquêtes d’une clientèle. Il ne s’agit pas de prosélytisme de croyances mais d’ouverture intellectuelle et de partage de confiance dans un sacré qui nous ouvre des perspectives d’au-delà.

Le salut n’est pas dans l’État qui traiterait la personne humaine comme un objet parmi d’autre, dans un projet de mort de l’autre pour assurer le sacré d’un vivre individuel, sur un fond de kermesse symboles. Il s’agit alors de dialogue au plan spirituel au-delà des frontières politiques et culturelles. Certains ont écrit « la violence et le sacré », Assise révèle que la paix est la grâce du sacré. Ce sacré conduit à la paix et à la conciliation.

 

  1. Penser l’Europe comme un espace de protestation prophétique sur l’actualité internationale.

 

Tenir compte des transformations contemporaines des situations de Défense : le passage du terrorisme médiatisé au nucléaire de la Corée du Nord (Kim-Jong un / Pyongyang ) et de l’Iran. Quand le nucléaire est devenu un argument politique. C’est ce qu’avait compris le général de Gaulle en insistant sur la dissuasion comme moyen d’action du « faible sur le fort », en prônant la distinction entre la menace et l’emploi de l’arme nucléaire; le caractère paroxystique du nucléaire a changé la donne militaire et politique, ce qu’a bien compris Kim-Jong un de la Corée du Nord et un certain nombre de pays arabes. Les Américains ont ironisé sur de Gaulle, mais Trump est allé lui-même voir le Coréen du Nord.

Mais les questions de Défense sont laissées en marge des débats européens, vous savez pourquoi. Or nous avons connu deux changements majeurs depuis 25 ans, le nucléaire dans des pays arabes ou asiatiques de faible développement au départ et le terrorisme à consonance religieuse, l’arme nucléaire permet d’accéder au rang de puissance mondiale, le terrorisme de Charlie Hebdo a déplacé 40 chefs d’état ou de gouvernement à Paris en 8 jours, avec 6 attaquants et des mitraillettes.

Un silence en matière de paix et de sécurité aggrave l’impensé des relations internationales, c’est pourquoi dès 1980 lors de la CSCE (la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe) Le Saint Siège s’est positionné en partenaire de la réflexion continentale. C’est en Europe avec la question des migrations et celle des solidarités économiques que l’économie de communion doit l’emporter sur les dramatisations médiatiques pour faire de la fraternité internationale une ligne de croissance et non seulement une invocation éthique.

Sur ces différents aspects il ne faut pas laisser le Pape et ses collaborateurs assumer seuls les relations et la communication sur ces questions d’équilibre entre les puissances et les pouvoirs. Si les Papes ont depuis deux siècles insisté sur la paix et Pax Christi, c’est parce qu’il y va de la responsabilité du frère et de l’avenir de notre civilisation. D’autant plus, comme je viens de le dire que les autres expressions religieuses chrétiennes ou non nous assurent de leur intérêt.

La protestation éthique et spirituelle sur la vie internationale devrait rassembler les européens chrétiens dans un sens collectif de leurs responsabilités ; par exemple le devenir de l’Afrique qui a été évoqué par M.Camdessus pourrait donner aux conférences épiscopales d’Europe et d’Afrique et aux mouvements de laïcs des impulsions pour actualiser les propos des chrétiens dans le contexte d’une évolution récente.

 

7. Penser l’Europe comme un espace de formation des jeunes et de transfert de compétences scientifiques à tout âge.

 

« Le retour à une économie mondiale en croissance optimale et durable passe par la prise en compte de la plénitude des besoins humains. Seule sauront le faire des hommes et des femmes poursuivant, au-delà des profits à court terme, le progrès global et inclusif de l’économie. Ce sont de tels leaders que les écoles de commerce doivent s’assigner pour tâche primordiale de former.» M. Camdessus .Vers le monde de 2050. Fayard, 2017.p. 150.

Or nous avons dans le monde de nombreuses écoles de commerce qui relèvent de l’enseignement de l’Église. L’explosion démographique qui a été soulignée par rend la question de la formation scolaire et universitaire centrale dans la préparation de l’avenir de l’Europe. Et ceci va de la maternelle à l’enseignement supérieur, sans négliger la formation permanente qui devrait être l’axe de toute activité professionnelle. La définition du capital culturel d’un pays est une question d’éthique politique. Il y a 150 ans Jules Ferry le savait bien, par l’école il voulait créer l’unité nationale, les communistes polonais aussi : ils avaient supprimé dans les livres scolaires toutes les œuvres d’art qui évoquaient l’histoire des siècles précédant le marxisme international.

Former, c’est socialiser, soit en conformant les esprits aux « vérités » du pouvoir dominant, soit en libérant l’esprit critique. Le savoir déterminé par le pouvoir, Pierre Bourdieu l’appelait le « capital culturel » dont la reproduction de génération en génération favorisait l’ordre des hommes par l’ordre des choses. Si mai 68 l’avait récusé, d’autres l’ont rétabli pour leur sécurité, mais la conscience nationale est mise en demeure, ne serait-ce qu’au niveau familial de transmettre des raisons d’être pour vivre.

Or de nos jours, les jeunes se forment dans tous les pays d’Europe et dans le monde entier, on a ironisé sur le million d’enfants Erasmus engendrés par les étudiants, mais cela prépare un avenir de l’Europe où les langues, les technologies, les sensibilités, les éthiques et les religions seront en compétition de sens et de valeurs. Par ailleurs, l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et leur éclatement des références nous impose à la fois de déterminer clairement un capital symbolique européen, pour sauvegarder une personnalité dans la fluidité des conceptions de la vie et de la mort, du travail et de la culture qui détermineront une base de ressources européennes. L’histoire religieuse de la modernité, y compris dans les conflits qu’elle a subis, avait fourni des repères éthiques, un sens du temps eschatologique, un sens du corps et de la vie physique, un sens du sacré et de la transcendance, un sens de la sexualité et de la responsabilité du « faire vivre » sous des formes familiales. L’Église catholique s’était montrée prolixe sur cette morale de la vie courante, mais qu’en sera-t-il demain ?

L’Europe, surtout après les conflits du 20ème siècle peut-elle devenir une société éclatée, dans un self-service des valeurs, des interdits et des objectifs éphémères ? Chacun se trouvant au croisement d’une multitude de certitudes et de questions, des replis sur l’acquis, le traditionnel ne peut-il pas provoquer des dérives sectaires et totalitaires ? Une économie et une philosophie de l’homme ne peut être retrouvée que dans le cadre d’une éthique sociale qui ne soit pas moralisante, mais un projet commun de solidarités internes et externes.

Un dernier exemple parmi d’autres : l’industrie pharmaceutique et les progrès thérapeutiques nous provoquent à une conception de la santé et de la vieillesse en elle comme un vivre ensemble, c’est-à-dire grandir et vieillir ensemble avec le prix économique que cela représente. La question de l’apprentissage, celle du marché de l’intelligence artificielle, celle de l’assistance du quatrième âge appellent de investissements sociaux et des modifications de nos principes de diffusion des savoirs. Apprendre toute sa vie c’est aussi unifier l’échange des connaissances, mais c’est aussi devoir décider de ses interdits pour identifier son avenir.

 

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