En cet anniversaire de la naissance de Jean Cocteau, le 5 juillet 1889, nous vous proposons une évocation de sa jeunesse et de ses liens avec le Pays Basque.
Littérature, cinéma, arts plastiques : aucune forme d'art ne laissa jamais indifférent Jean Cocteau que François Mauriac avait qualifié un jour de « libellule ravissante et irritante qui ne se posait jamais ».
Pourtant, le Pays Basque constitua souvent un point de chute privilégié de ce créateur à mille facettes, expert en sortilèges.
Dès ses jeunes années, Cocteau fréquenta assidûment Biarritz avec sa mère : il reçut même des leçons de musique de Sarasate dans sa villa « Navarra » à Biarritz, dans la petite annexe au fond du jardin de la villa.
Le tout jeune Jean Cocteau, décrira plus tard le grand violoniste basque avec « ses larges moustaches, sa chevelure grise abondante, ses chaînes de montre, ses pantalons à pattes et ses bottes vernies, qui le faisaient paraître tel un lion vêtu de dompteur ».
Et la demeure des Rostand à Cambo lui était familière, grâce à son amitié avec l’un des fils de la maison, Maurice, le poète. L’une de ses premières rencontres avec Maurice Rostand eut lieu en janvier 1909 à Paris, à l’hôtel Meurice où toute la famille Rostand était descendue pour les répétitions de « Chantecler ». Cocteau avait précédemment écrit à Maurice, qu’il estimait « déjà célèbre », un texte pour « Schéhérazade », une belle revue qui paraîtra pendant six numéros jusqu’en 1911.
Le courant de sympathie passe immédiatement : « Nous nous prenions pour Byron et Shelley », écrivait Maurice Rostand !
« Nous partions, Cocteau et moi, à la conquête de la vie : nous vendions la peau de l'ours avant même de l'avoir tué. Pour quelques petits vers disséminés au hasard, les duchesses d'alors criaient au génie. Les vraies difficultés commenceraient plustard, quand il s'agirait de faire une œuvre valable et non d'improviser des ébauches. Schéhérazade, malgré mille folies, eut d'assez nombreux numéros et cela nous posait à nos propres yeux! Nous voulions plus. J'écrivais déjà une pièce pour Sarah Bernhardt, qu'elle ne jouerait jamais; je songeais à réunir mes poèmes, comme tous les poètes de mon âge et Cocteau était impressionné à la fois par mon père et Anna de Noailles… »
Et l’été suivant, c’est le premier séjour de Jean Cocteau à Arnaga. Voici comment Maurice Rostand décrivait Jean Cocteau : «Une petite moustache effilée et brune, dont personne ne se souvient, ombrageait son visage. Ses cheveux lisses n'affectaient aucune forme de houppe.»
A noter qu’une autre habituée d’Arnaga avait trouvé grâce aux yeux de Cocteau : voici la première lettre qu’il écrivit à Anna de Noailles : « Vous êtes plus exquise que Ronsard, plus noble que Racine et plus magnifique que Hugo. »
La lettre était datée du 31 janvier 1911, Cocteau avait alors 22 ans.
Cette année là, d’ailleurs, il est présenté par Lucien Daudet à l'impératrice Eugénie qui séjourne alors au cap Martin, et il fait la connaissance de Stravinski grâce à Diaghilev.
L’année d’après, en septembre 1912, Jean Cocteau est à Saint-Jean-de-Luz, avec sa mère avant de rejoindre les Rostand dans leur« Versailles basque » à Cambo !
Il descendit à l'hôtel Colbert de Cambo. Le 14, i1 adressa à Anna de Noailles une lettre assez sarcastique à l'égard de Maurice, qui le conduisait dans tous les lieux mondains de Biarritz, chez les Arcangues et naturellement chez ses parents tandis que Paul Fort, qui vient d’être proclamé «prince des poètes» (Cocteau lui succédera en 1960) lui faisait visiter les environs.
Le 26, Cocteau écrit à sa mère: « Les scènes à Maurice à propos de ses tenues gâtent seules un peu notre bonne entente. Cela m'agace à cause de ses dons miraculeux qu'il abîme par folie ! » Trois jours après, il triomphe: « Maurice, peut-être pour éviter mes scènes, arbore des costumes sobres, se prive de cravates claires et de fleurs. Départi d'un tel ridicule sa multiple intelligence se dégage et c'est un régal. » Le 29, nouvelle lettre :
« Je ne m'étonne plus que Cambo captive et guérisse. Jamais un malaise, jamais une fausse digestion, jamais une insomnie, une fatigue matinale, et toutes ces petites choses qui m'agacent. (...) On avale de l'air comme un plat de maïs nutritif et suave. On se lève à sept heures, on joue à la pelote, on déjeune dès qu'on crève de faim, on travaille le fandango et on recommence. »
C’est à ce moment, à la veille de son départ de Cambo, que Cocteau aurait provoqué un scandale que Pierre Espil évoque dans sa biographie de Rostand :
Avec son acolyte Maurice, Cocteau aurait attiré à Arnaga des jeunes gens des environs afin d'organiser avec eux une sorte de divertissement greco-romain au clair de lune avec en prime quelques vers érotiques des deux poètes complices.
Malheureusement, quelques-uns de ces jeunes héros, très fiers, crurent bon de se vanter dans les cafés de Cambo. Prévenus par la rumeur publique, les parents portèrent plainte à la gendarmerie d'Espelette. On peut imaginer la tête d'Edmond Rostand lorsqu'un brigadier, très ennuyé, est venu lui demander bien poliment quelques éclaircissements ! ... Si le maître réussit à étouffer l'affaire, Maurice Rostand traîna longtemps à Cambo une réputation sulfureuse, qui l’empêcha même d’organiser des matinées poétiques comme en témoigne une correspondance très « aigre-douce » entretenue avec le maire de l’époque. Je l’ai retrouvée récemment dans les archives d’une de nos amies camboar.
Jacques Lorcey, dans sa monumentale œuvre consacrée à Rostand, suppose avec humour que Rostand, « sous le coup de la fureur, n'aurait certainement pas apprécié d'apprendre par un magicien que Jean Cocteau... hériterait de son propre fauteuil à l'Académie Française, le 3 mars 1955 ! »
Et puis vint la guerre : Cocteau rencontre Picasso mais aussi, en 1915, Ramiro Arrue qui, malgré ses rappels, ne retournera qu'occasionnellement à Paris, pour exposer ou pour concourir. A l’époque, ils participaient avec Picasso aux dîners du mardi offerts par Zuloaga, déjà célèbre, avec Regoyos, les frères Zubiaurre et une pléiade de peintres basques et espagnols...
Après quelques séjours à Arcachon, Cocteau revint au Pays Basque. Nous sommes en 1919, il a 30 ans, la guerre est finie mais Edmond Rostand n’est plus, et sa somptueuse demeure sera bientôt vendue.
Cocteau choisit alors de se rendre en août à Ahusky, près de Mauléon, avec Louis Durey, le musicien le plus discret du « Groupe des Six ».
Ce hameau situé en pleine montage est témoin au début de l’été de l’immuable rite de la transhumance des animaux et le célèbre « barde maudit » Etxahun de Barcus le fréquenta. Mais cet endroit était également réputé pour ses eaux thermales que, dès 1862, le guide Joanne recommandait pour « guérir les affections de la vessie, les fièvres intermittentes rebelles, l'atonie des organes digestifs et les aberrations du système nerveux ». Pour ma part, je croirais volontiers que notre poète avait déjà touché à l’opium, et qu’il s’agissait de se désintoxiquer…
D’après ses propres écrits, Cocteau y aurait mené une vie simple et saine « à traire les vaches et à manger le chou ». Séjour paisible, fait de cures : « A six heures du matin, on monte à la source, la seule pour toute la région elle coule à peine. Aussi, c'est la divinité. Les bergers la saluent et l'accumulation des brocs ressemble aux vases des autels ».
Les agapes : « la cuisine de Madame Baratçabal est un chapitre de Pétrone ,en compagnie de bergers chanteurs », écrit-il .
C’est également un séjour de travail. En effet, s'il faut en croire Frédéric Robert, le biographe de Louis Durey, naîtront de ce séjour dans la montagne les trois mélodies, « Prière », « Polka » et « L'Attelage ». Faisant partie des « Chansons Basques et constituées de motifs notés d'après les chants des pâtres et des poèmes de Cocteau, elles consacrent avec esprit la double rencontre du folklore et de l’inspiration du poète : « Le petit berger a les joues rouges. Le coq chante mal. Le temps semble se mettre au beau. Les cultivateurs réclament de la pluie. Dans la montagne, les nuages s'accumulent et se dissipent très rapidement.
La population de cette contrée aime beaucoup la danse. Avez-vous fait une promenade ? La forêt est à deux kilomètres mais on y trouve de l'ombre.
Un mulet peut porter de lourdes charges C'est une bête courageuse et agréable à voir. Le jeu de pelote nécessite une certaine force et beaucoup d'adresse.
Cette source est excellente. On y vient des environs. Aimez-vous l'eau ? Oui, mais Je préfère le vin. Les cloche des troupeaux fatiguent le malade. Les aigles volent sans remuer les ailes. La montagne offre de curieux effets de perspective. La petite fille a voulu cueillir un chardon mais il était de l’autre côté du ravin ».
A propos de son compagnon à Ahusky, Louis Durey , rappelons que son œuvre fut découverte par Ravel en 1918 au cours d'un concert. Durey venait d’écrire « Images à Crusoé », son Op. 11 - sur le thème de la solitude : ...« Le thème de Crusoé revenait d'office à Durey le solitaire »... écrivait, dans « Paris-Midi », Jean Cocteau. Et la relative solitude d’Ahusky devait parfaitement convenir aux deux amis.
Ce sera l’un des derniers séjours de Cocteau dans le Sud-Ouest, mis à part Rauzan dans le Bordelais où il tourna pendant la guerre les extérieurs du « Baron fantôme » avant d’organiser en 1949 à Biarritz (entre autres, avec le marquis d’Arcangues) le Festival du Film Maudit, premier festival du film d'auteur. Il présidait alors le ciné-club d’avant-garde « Objectif 49 », véritable berceau de la « Nouvelle Vague ».
En effet, tout comme il avait acquis parmi les musiciens une enviable réputation qui lui permit de devenir le catalyseur du Groupe des Six, Cocteau était un passionné du cinématographe.
Car ce dandy touche-à-tout, qu’aucune forme d'art ne pouvait laisser indifférent, évoqua et nourrit avec génie dans toutes ses productions, l'avant-garde qui s'épanouit entre les deux guerres.
Il a laissé à la poésie, au roman, au théâtre, au cinéma une série d'œuvres remarquables.
Voici d’ailleurs quelques extraits prophétiques de son texte d'introduction à ce Festival du film maudit à Biarritz en 1949 :
« Il importe de nous expliquer sur le sens exact du terme "maudit" employé dans le domaine du cinématographe.
Le terme "poètes maudits" est de Mallarmé. Il désigne les poètes dont l'œuvre déborde les cadres normaux et dépasse la ligne au-dessous de laquelle s'expriment les poètes médiocres. Ces poètes maudits échappent à l'analyse et les juges préfèrent les condamner d'office. Il en résulte qu'ils ne profitent plus des avantages de ce qui reste visible, qu'ils deviennent en quelque sorte invisibles, sauf à ceux dont l'œil regarde loin et aime à scruter les douces lumières insolentes et profondes.
L'invisibilité que Mallarmé baptise malédiction se produit, en outre, dès qu'un homme cherche à contredire une mode, fût-elle d'extrême pointe. C'est alors que l'invisibilité devient parfaite puisqu'elle ne saurait plus bénéficier du prestige des énigmes. Après une longue époque d'énigmes, il arrive que l'audace se présente sous les auspices de la simplicité. Voilà une grande minute de solitude. Car ni les simples, ni les intellectuels ne la reconnaissent.
(...)
Il n'y a pas de production cinématographique. C'est une farce. Pas plus que de production littéraire, picturale ou musicale. Il n'y a pas d'année de bons films comme il y a des années de bons vins. Le bon film est un accident, un croc-en-jambe au dogme et ce sont quelques-uns des films qui méprisent les règles, de ces films hérétiques, de ces films maudits dont la cinémathèque française est le trésor, que nous prétendons défendre ».