Angleterre, une petite ville du comté de Kent. Bailey (Nykiya Adams) une pré-adolescente de 12 ans, un sac plastique à la main, filme avec son smartphone des oiseaux de passage. Sur la passerelle métallique, laquelle enjambe plusieurs routes, elle attend son père Bug (Barry Keoghan). Il arrive en trombe, en retard au rendez-vous, sur une trottinette électrique. Il a le torse nu couvert de tatouages. Le sac contient un crapaud de Californie dont la bave est sensée être hallucinogène d’après ses dires. C’est un trentenaire agité, volubile, au langage sommaire et ordurier : un dealer.
Bug et Bailey en passagère, rejoignent un squat délabré couvert de graffitis. Bug y vit avec sa nouvelle compagne avec laquelle il va se marier sous peu de jours. Le squat abrite également le frère aîné de Bailey, Hunter (Jason Buda) âgé de 15 ans. Bailey dans l’appartement déglingué, en grand désordre, préfère s’isoler dans sa chambre décorée de peintures d’oiseaux. Elle rêve de leurs envols. Sa mère vit non loin de là, dans un petit pavillon avec ses deux demi-sœurs moins âgées et son compagnon, Skate (James Nelson-Joyce) un homme paresseux et violent.
Pour échapper aux tensions permanentes, à l’atmosphère étouffante de cette famille dysfonctionnelle, Bailey s’échappe dans la campagne environnante où pâturent des chevaux. Elle y rencontre un personnage étrange, sorte de vagabond mal attifé, vêtu d’une jupe écossaise, d’un manteau élimé qui, après quelques hésitations, l’accoste. L’homme est doux dénué de toute agressivité ; il a un accent étonnant. Il dit se nommer Bird (Franz Rogowski).
D’abord méfiante, intriguée par Bird, Bailey accepte de le conduire au bourg. Un fois rendu, Bird multiplie des comportements étranges …
Avec Bird, son cinquième long métrage la réalisatrice et scénariste britannique Andrea Arnold (63 ans) poursuit la même veine : la description d’une Angleterre des laissés pour compte, des prolétaires sans travail et sans avenir. Dans sa jeunesse, dans ce même comté du Kent où elle a vécu, ces situations d’autochtones vivants d’expédients, lui étaient familières. Par sa ténacité malgré une enfance difficile (mère célibataire, trois frères et sœurs), elle s’est soustraite à la reproduction des oubliés de la société britannique. C’est une transfuge de classe qui ne veut pas « venger sa race » (dixit Annie Ernaux, Prix Nobel de Littérature 2022 et … transfuge). Cependant, elle ne renie pas ses origines d’autant qu’elle a écrit et réalisé trois films sur des sujets similaires : Red Road (2006), Fish Tank (2009) et American Honey (2016). A noter que ces trois œuvres ont été récompensées par … trois Prix du jury au Festival de Cannes !
Pour narrer, sans pathos, ses histoires de sous-prolétariat (lumpenproletariat), Andrea Arnold adopte un système ingénieux : peu ou pas d’acteurs professionnels (seul Barry Keoghan échappe à la règle) ; ne pas donner la totalité du scénario aux acteurs de telle sorte qu’ils gardent leur spontanéité dans leur jeu (comme l’étonnante Nykiya Adams, non-professionnelle) ; enregistrer les plans séquences avec une équipe légère, caméra à l’épaule et son direct. Les images nous apparaissent trop sautillantes au début du film, puis en cours de projection, nous finissons par nous y habituer : incontestablement par ses mouvements de caméra, la mise en scène contribue à la dynamique du récit survolté en termes de langage et d’action. Andrea Arnold déclare ne pas vouloir faire un « film intellectuel » mais tout au contraire sur le ressenti : « La question n’est pas de savoir si les choses ont l’air justes, mais si le ressenti est juste. Interrogé à mon sujet, ma chef décoratrice a répondu que je prenais toutes mes décisions en fonction d’un ressenti d’authenticité, de justesse et de réalité ».
De fait, Bird, malgré le milieu qu’il décrit ne sombre jamais dans le mélodrame ou le naturalisme comme tant d’autres films à caractère « social ». Dans cette chronique sociale, règne une force positive qui, en dépit des difficultés quotidiennes, « sauve » les personnages. Tous ont une humanité, même les plus décérébrés. La touche fantastique, onirique, est amenée par Bird, homme-oiseau tombé du ciel, dont on ne sait rien.
Les acteurs sont épatants en particulier Nykiya Adams (Bailey) dont la fraicheur irradie le film et Barry Keoghan (Bug) lequel a décliné un rôle important dans Gladiateur 2 de Ridley Scott (un blockbuster au budget pharaonique de … 250 millions$ !) pour participer à Bird, film indépendant à petit budget. C’est une décision suffisamment rare pour être saluée.
Bird a été projeté, en compétition, au dernier Festival de Cannes, dans le cadre de la sélection officielle.