Parti de Bayonne, en novembre 1760 pour rejoindre l’île de France (ancienne île Maurice), l’« Utile », navire de la Compagnie française des Indes Orientales, s’échoue sur l’île de Sable, au large de Madagascar. L’équipage regagne Madagascar sur une embarcation de fortune, laissant 80 esclaves sur l’île, avec la promesse de venir bientôt les rechercher. Quinze ans plus tard, une corvette récupère quelques survivants. La nouvelle exposition du Musée Basque constitue un retour sur l’incroyable histoire de ces esclaves oubliés à travers les résultats des recherches historiques et archéologiques. Cette exposition avait été primitivement conçue par le musée d’histoire de Nantes, l’Inrap et le Gran. Et le Musée Basque et de l’histoire de Bayonne accueille le temps de l’exposition, le célèbre tableau de Joseph Vernet « Vue de Bayonne, prise à mi-côte sur le Glacis de la Citadelle » peint en 1760 et conservé au Musée national de la Marine.
A cette occasion, on ne ratera pas la conférence « Bayonne, le Pays Basque, la Traite des Noirs et l'Esclavage » que donnera le vendredi 23 juin à 18h Jacques de Cauna, professeur honoraire de l’UPPA et chercheur au CNRS. L’universitaire lui avait consacré un ouvrage paru il y a quelques années chez Cairn, en collaboration avec Marion Graff qui préparait alors un master 2 sur ce sujet à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour avec Maurice Daumas.
Quelle était la réalité de ce commerce localement ? Selon Jacques de Cauna qui a puisé dans les archives de la Chambre de Commerce de Bayonne et le fonds de la famille Ponticq déposé aux archives départementales à Pau, « la traite négrière à Bayonne (8e port colonial français à l’époque) ne représentait pas un pour cent de l’ensemble de la traite française car les activités portuaires concernaient essentiellement la pêche hauturière et le cabotage avec l’Espagne ou l’Europe du Nord. Les tractations avaient lieu au large des côtes de Guinée où les négociants devaient d’abord se présenter aux souverains locaux le torse nu et à plat ventre, avec leurs premières offrandes. Ensuite, seulement, les chefs noirs échangeaient les esclaves qu’ils avaient capturés (prisonniers de peuplades ennemies ou de droit commun) ainsi que du bois d’ébène ou de la poudre d’or contre des marchandises occidentales : barres de fer (unité de mesure pour l’échange des captifs), verroterie de Venise, toile et tissus des Indes ou fusils etc. En fait, le commerce des esclaves africains, signalé déjà au Ve siècle, était bien antérieur à l’arrivée des Européens ».
- Pouvait-on rencontrer des esclaves noirs à Bayonne ?
« En principe, Louis X le Hutin, roi de France et de Navarre, avait formalisé par un ensemble de décisions de justice l’antique coutume des Francs de ne pas admettre d’esclaves sur leur sol. Cependant, certains colons en envoyaient quelques-uns en France comme domestiques ou apprentis. Pour environ 300 noirs à Bordeaux, il ne devait pas y en avoir une trentaine à Bayonne. On cite à ce propos le procès intenté en 1775 à Isaac Mendès France (membre de la communauté séfarade bordelaise ayant fait fortune dans la canne à sucre à Saint-Domingue) par ses esclaves congolais Pampy et Julienne : ayant appris que le Code Noir qui régissait l’esclavage n’avait pas cours sur le territoire métropolitain, ils purent faire constater devant le tribunal leur droit à la liberté. D’ailleurs, les navires chargés d’esclaves s’abstenaient d’accoster par exemple à Bordeaux car ces derniers pouvaient être libérés…»
Ayant séjourné pendant vingt-cinq ans aux Caraïbes et auteur de nombreux livres (« Au temps des Isles à sucre », « Haïti, l'éternelle révolution » et « L'Eldorado des Aquitains », Atlantica), Jacques de Cauna est à l’origine de la création d’une « Chaire d’Haïti » destinée à « faire connaître et aimer » ce pays (dont il a gardé une vive nostalgie) et à oeuvrer à « la restructuration de son système éducatif et scientifique » en participant au « Centre international de recherche sur les esclavages » (CNRS).
Or, on ignore souvent que cette plaie de l’humanité, présente depuis la plus haute antiquité (l’esclavage fut aboli dans les colonies françaises en 1848 mais il fallut attendre 1962 pour l’Arabie saoudite, 1980 en Mauritanie et il existe encore au Soudan) ne se limita pas à la traite négrière et toucha même notre région.
Il reste de nombreuses traces à Biarritz et à Capbreton des rançons payées aux pirates maghrébins pour libérer nos marins réduits en esclavage après leur capture. Attachés aux galères ou à l’extraction de pierres, ils subissaient des coups de cordes à nœuds et des humiliations dans un climat de violence, notamment sexuelle. Malek Chebel (dans « Le Sujet et le Mamelouk. Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe », éd. Mille et une nuits) estime à plus de 20 millions le « volume total de l’esclavage en terres arabes et musulmanes », chiffre incluant les captifs de guerre slaves, concubines et domestiques circassiennes, domestiques noirs, marins chrétiens, etc.
Evénements autour de l’exposition
À l’occasion du lancement de l’exposition, l’entrée du musée sera gratuite pour tous, les 16, 17 et 18 juin.
Conférence Tromelin, l'île des esclaves oubliés, par M. Guérout archéologue et commissaire de l’exposition le samedi 17 juin à 16h, salle Argitu (entrée libre).
Visites guidées de l’exposition Tromelin, l'île des esclaves oubliés, avec M. Guérout, archéologue et commissaire de l’exposition.
Présentation du Bulletin du Musée Basque n°188 le samedi 17 juin à 11 h en présence des auteurs Max Guérout, Anne-Marie Lagarde, Iban Larrandaburu, Gilles Parent, Gérard Eder qui présenteront leurs études inédites sur la vie en Pays Basque. Comme à l'accoutumée cette matinée se terminera par le verre de l'amitié.
Le dimanche 18 juin à 11h et 16h. Gratuit - Sur inscription au 05 59 59 08 98, nombre de places limité.
Conférence « Bayonne, le Pays Basque, la Traite des Noirs et l'Esclavage » le vendredi 23 juin à 18h par Jacques de Cauna, professeur honoraire de l’UPPA et chercheur au CNRS.
Visite-conférence : « Joseph Vernet, un retour exceptionnel à Bayonne 250 ans après » par Jacques Battesti, attaché de conservation. Les jeudis 20 juillet et 24 août à 19h. Gratuit, sur inscription au 05 59 59 08 98.
Alexandre de La Cerda