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Anglet : le centenaire de la naissance du poète gascon Bernard Manciet
Anglet : le centenaire de la naissance du poète gascon Bernard Manciet

| Baskulture / Alexandre de La Cerda 1941 mots

Anglet : le centenaire de la naissance du poète gascon Bernard Manciet

Semblant refuser de propos délibéré toute concession à l'occitanité pour illustrer son parler gascon des Landes, Bernard Manciet est certainement l’un des grands poètes – méconnus – de l’Europe moderne.  
Né à Sabres le 27 septembre 1923, il se familiarisa avec les Lettres latines et grecques pendant les trois années heureuses qu'il passa chez ses oncles curés bordelais.

Lors de notre assemblée annuelle du 3 mai 2006, je me souviens avoir entendu l'abbé Passerat, au cours de son rapport annuel sur les concours de poésie occitane-catalane, évoquer mon confrère de l'Académie des Jeux Floraux, en particulier "una obra escrita dins lou gascon negre de las Lanas, dins una lenga metallica que trucaba coma un martèl de farga" : n'avait-il pas pris exemple dès son plus jeune âge de la poétesse bigourdane Filadelfa de Gerda dont il avait entendu quelques oeuvres lors d'un rassemblement du Félibrige :

Hé! Eths gascons! qu’èm un vielh pòble  /  Hé ! Les Gascons ! Nous sommes un vieux peuple
D’arraça pura e de sang nòble.  /  De race pure et de sang noble.
A Roncesvaus com a Muret,  /  À Roncevaux comme à Muret,
Qu’ensenhèm çò qu’entenèm èstre.  /  Nous enseignons ce que nous comprenons être.
Arren qu’un Diu, arren qu’un mèstre !  / Rien qu’un Dieu, rien qu’un maître !
Tau èra eth crid deth noste endret…  / Ainsi est le cri de notre endroit…

Ce "feu dans la langue", il le partagea toute sa vie et Jordi Passerat de rappeler que Manciet disait : "j'écris avec ma peau !"  
Il me précéda à l'Académie des Jeux Floraux qu'il intégra en 1986 comme "Maître ès-Jeux"... Jusqu'à ce que "l'ouragan de la mort ne vienne renverser ce pin des Landes, éteindre le feu qui brûlait dans le coeur de ce grand poète gascon" le 2 juin 2005 à Mont-de-Marsan.
Un feu poétique qui décrit aussi bien les déchirures intimes que la fin des temps ou des apocalypses qui résonnent dans "Le dire de Guernica".

À Anglet, comme ailleurs en Nouvelle-Aquitaine, pour célébrer le centenaire de sa naissance, la saison culturelle 2023-2024 accueille de nombreux rendez-vous au Théâtre Quintaou, à la bibliothèque Quintaou, à la Villa Beatrix Enea, et à l’Espace culturel "Uei en Gasconha" de Tivoli.  
Durant ce temps fort est aussi présenté l’un de ses aspects les plus étonnants et les moins connus de Bernard Manciet : ses œuvres graphiques, dont certaines figurent dans la collection municipale suite au don du collectionneur Jean-Claude Marcadé.

Samedi 23 septembre
- à 11h à la bibliothèque Quintaou : rencontre entre l’écrivain Frédéric Sudupé et son éditrice Patricia Martinez (éditions Passiflore), autour de Lettres à Bernard Manciet. Frédéric Sudupé a côtoyé le poète pendant plus de dix ans. Après sa disparition, il lui a écrit ces lettres prolongeant ainsi le dialogue au-delà de la mort du poète. Cette suite épistolaire, splendide témoignage d’une amitié qui sait se jouer des contraintes du temps, restitue à l’auteur de L’Enterrement à Sabres tout son poids d’humanité.
- à 17h, petite salle du Théâtre Quintaou, projection di documentaire de Patrick Lavaud "Bernard Manciet, un dire de feu" (2023) : son écriture poétique est fondée sur la respiration et appelle le dire et la profération. À partir de performances artistiques publiques avec les musiciens Bernard Lubat et Garlo, et de lectures en occitan, ce documentaire s’attache à faire entendre la voix incomparable de Bernard Manciet. Des entretiens avec l’auteur, le témoignage du poète Jean-Pierre Tardif, des lectures de Christian Loustau, des musiques de Christian Vieussens, une composition vocale de la Manufacture Verbale, des photographies et des dessins du poète complètent cette immersion dans l’œuvre, la pensée et la personnalité de Bernard Manciet.  
- à 20h, grande salle du Théâtre Quintaou : "Le dire de Guernica". Voilà déjà plus d’un an que le chanteur Beñat Achiary et l’accordéoniste Bruno Maurice jouent chantent et improvisent autour de poèmes notamment ceux de Bernard Manciet. Cette fois, ils nous réunissent autour du Dire de Guernica, un texte mis en sons en 1996, au cœur du Pays Basque, à Bunus, en présence de Bernard Manciet avec Beñat Achiary au chant, Bernard Lubat et Michel Portal, entourés des feux de l’artificier Patrick Auzier, illuminant la vallée. Un dire qui “prend aux tripes”, et plonge ses racines dans la chronique des deux jours de bombardements que Bernard Manciet a décrit heure après heure. Un nouveau trio s’est formé avec Bruno Maurice à l’accordéon, Beñat Achiary au chant et Didier Lasserre aux percussions, pour revisiter l’œuvre poétique. S’y ajoute la lecture de Coralie Nazabal en gascon. Voix et sons épousent musicalement les métriques du poète pour évoquer les pluies de bombes sur Guernica, le tout renforcé par le poids des images. 
- à 21h, grande salle du Théâtre Quintaou : "Sonnets, le ciel s’arrête pur suspense…" Le sonnet, un petit son ! Pas question d’y mettre de l’épopée ou du grand lyrisme pour Bernard Manciet, “il faut que ce soit mesuré, limité, de la cuisine à l’étouffée” disait-il. Jakes Aymonino, créateur de la Manufacture Verbale, reprend ici un travail de composition musicale initié en présence du poète en 2003, à partir du recueil Sonets, dans une écriture qui s’inspire des sonnets du XVIe siècle. Ce cycle de composition écrit pour neuf voix, mêle en une polyphonie langues occitane et française, évoquant les madrigaux de la Renaissance et du Baroque. Les chanteurs se produisent en acoustique, jouant de la voix chantée, ciselant les mots. Les images d’Yves Chaudouët épousent les textures musicales et inspirent aux mélodies des contrepoints visuels inattendus pour mieux exprimer le surgissement poétique de Bernard Manciet.

Le Dire de Guernica ©DR.jpg
"Le Dire de Guernica" ©
Le Dire de Guernica ©DR.jpg

Exposition PoéZique Manciet et la musique jusqu'au 14 décembre à l’Espace culturel "Uei en Gasconha" de Tivoli
“Poésie et musique, disait Bernard Manciet, c’est la même chose. Il faut que les mots soient justes, justes comme une note est juste”. En se référant à des entretiens, des témoignages littéraires, des collaborations artistiques ou encore à sa propre discothèque, l’exposition explore l’univers musical de Bernard Manciet : musique gasconne de tradition orale, musique populaire française, chants religieux, musique ancienne et classique, chanson occitane, jazz, musique contemporaine, mais aussi rock, punk et improvisations. Un livre de musique personnel, des enregistrements de sa voix proférant sa poésie sur scène en compagnie de musiciens, les partitions d’un compositeur de musique contemporaine écrites à partir de quelques-uns de ses textes (Cantaploras), des 33 tours de sa propre discothèque, des photos, affiches et livres sont ici réunis par Patrick Lavaud. Ancien directeur artistique du festival Les Nuits Atypiques (33), il est à l’origine de la rencontre entre Bernard Manciet et le musicien Bernard Lubat en 1985. (Entrée libre, le mardi 9h-12h Le mercredi et jeudi 9h-12h et 14h-18h

Mardi 26 septembre
- à 12h30 à la bibliothèque Quintaou : projection du documentaire "rencontre avec Bernard Manciet chez lui à Trensacq". En septembre 2003, chez lui, à Trensacq, Manciet parle de ses rencontres, des moments magiques qui les entourent et de la richesse de la langue gasconne. Avec le chant du coq en fond musical, Manciet nous embarque dans son œuvre et ses inspirations, parfois avec beaucoup d’humour. Filmé par Patricia Huchot-Boissier, fondatrice de OC-TV, artiste, vidéaste et photographereporter, Bernard Manciet émeut par sa simplicité et sa proximité. Le film est suivi par une interview de 9 mn enregistrée par France3 en avril 1993, dans laquelle Bernard Manciet donne lecture de quelques vers deL’enterrement à Sabres, accompagné par le musicien basque, Beñat Achiary. Film de Patricia Huchot-Boissier.

Samedi 29 septembre
- à 16h à la bibliothèque Quintaou : table ronde "Bernard Manciet et son œuvre" avec Guy Latry (professeur des universités honoraire, éditeur et traducteur de l’œuvre), François Pic, bibliographe de Manciet, Sergi Javaloyès, écrivain et ami du poète, président de l’association Les Amis de Bernard Manciet. 
Bernard Manciet a construit son œuvre dans deux langues, le français et la langue d’oc qu’il a choisie comme langue poétique. Cette dernière porte son imaginaire. Il en explore tous les caractères : sa phonétique et sa syntaxe. Mais aussi tous ses registres : le sublime et le dérisoire, le symbolique comme le concret, l’archaïsme autant que l’extrême contemporain. Toujours intarissable et surprenant, Manciet n’a cessé d’écrire jusqu’à sa mort, poésie, prose narrative, essais et, à partir des années 1990, du théâtre. Il a dirigé aussi la revue ÒC. Ceux qui l’ont côtoyé, traduit, et ont collaboré avec lui témoignent de cet inépuisable jaillissement littéraire à travers quelques morceaux choisis (entrée libre).

Expositions du 30 septembre au 6 janvier à Beatrix Enea : "Au pays de l’esquive / Œuvres graphiques" 
- “Écrire et dessiner sont identiques dans leur fond”, disait Paul Klee. Si les lecteurs de Manciet sont familiers des dessins qui illustrent une dizaine de ses recueils, pareil ensemble n’a jamais été réuni, où se déploie l’éventail des différentes “manières” de l’auteur : croquis pris sur le vif au crayon, nus académiques à la sanguine, à la craie, à l’encre sépia, portraits en larges touches à la peinture, abstractions calligraphiques à l’encre de chine façon Soulages, architectures, paysages ou bouquets à l’aquarelle ou à la gouache, mêlées de rugby ou extraordinaires tauromachies en rouge et noir de Per El Yiyo, ou noir et bleu de Rachou en hommage au torero et à l’écarteur, morts dans l’arène. Manciet dessinait au fil de la plume et des instants, “au petit bonheur la chance” disait-il, se fiant à son clin d’œil rapide. Une désinvolture élégante qui caractérise son trait et une volupté qui en fertilise le sens. Fruit d’une pratique quasi quotidienne – Bernard Manciet a dû produire plusieurs centaines de dessins en un quart de siècle – elle est pétrie d’émotions et de souvenirs personnels. Cette œuvre graphique raconte aussi une histoire. Celle de liens familiaux, amicaux, intellectuels avec celles et ceux à qui elle était offerte et qui en sont devenus les dépositaires. On leur saura gré d’avoir fait resurgir cette source jaillissante de quelques cent-cinquante œuvres issues de diverses collections dont celle de la Ville d’Anglet
Entrée libre du mardi au vendredi 14h-17h / Le samedi 11h-13h et 14h-18h Visites dialoguées en français le samedi à 15h Visites en gascon par Frédéric Handy les 7 oct., 4 nov., 2 déc. à 11h - Gratuit Sur réservation sur anglet.fr ou  https://centredart.anglet.fr/ 

- On découvrira également à Beatrix Enea l'exposition "Marges" de Martine Chenais pour qui la photographie est une respiration : “Être à la bonne place, être juste. Être dans le lieu, dans le sujet… et respirer comme lui.” 
Elle avait rencontré Bernard Manciet en mars 2002, chez lui, à Trensacq et a saisi ces instants méditatifs du poète. Ici, autour d’un portrait et de propos de Bernard Manciet ainsi que de textes de L’eau mate, elle propose une exploration sensible et poétique des paysages et des éléments chers au poète : l’eau, le vent, la terre, les arbres... 
Une exploration faite de patience, d’observation mais aussi de vibration, de rythme, de respiration, cette musique que permet la photographie comme la poésie. Native du Gers, elle est diplômée de l’École technique de photographie et d’audiovisuel (ETPA) de Toulouse en 1986, où elle rencontre des personnalités déterminantes de son parcours (J. Dieuzaide, E. Boubat, P. Knapp…). Elle devient photographe de plateau pour La Cinq, puis portraitiste et maquettiste pour différents magazines. Sa parenthèse parisienne s’achève en 1991. De retour dans le Sud-Ouest, elle s’installe dans les Landes où elle répond à des commandes de diverses institutions publiques et travaille en tant que collaboratrice du magazine l’Esprit du Sud-Ouest (1998-2003) avant de s’engager dans des projets plus personnels autour de la photographie ou de la pratique artistique. Elle conçoit et édite plusieurs ouvrages dont Arènes de silence (2003), Huchet (2010), Herbier singulier (2019). 

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