Photo de couverture : Mgr Ignatius Aphrem II, prélat de l’Eglise syriaque orthodoxe à l'église Saint-Elian à Al-Qaryateyn en Syrie ©Aide Église en détresse
A l'heure orientale de l'Epiphanie pour ce 6 janvier prochain selon les dates traditionnelles des Chrétiens d'Orient, un rappel historique sur l'Eglise de Syrie ou syriaque dont l'empreinte chrétienne est inoubliable depuis les apôtres Pierre et Paul venus dans ce lieu dès le premier siècle de notre temps. Constantinople, Antioche, Damas et Jérusalem sont de la même source spirituelle. Les événements du temps présent le rappellent dans l'urgence et l'inquiétude du lendemain !
Les événements de ces derniers jours remémorent l'histoire exceptionnelle de ce grand pays d'Orient de la Terra Santa dans le périmètre de Jérusalem, et ses relations avec la France souvent rapportées par l'Oeuvre d'Orient.
"Car les chrétiens de Syrie sont les plus anciens du monde. Ils étaient 10 % de la population avant l'invasion de l'Irak par les Etats Unis et l'Angleterre en 2003.
Désormais, ils ne sont plus que la moitié : beaucoup ont fui la guerre, la pauvreté et les délations. Leur présence chrétienne est fragile et menacée aujourd'hui.
Dès les origines, Paul est rappelé à Damas, selon les références citées dans les les Actes des Apôtres. Les vestiges historiques en font état, la chapelle saint Ananie, près de la via recta, la porte Saint-Paul dans les remparts de Damas sont dans les mémoires comme des lieux de pèlerinage pour les locaux et les étrangers.
La France en fut un témoin très investi et proche de cette histoire.
Rappelons qu'en 37, selon les Actes, l'apôtre Pierre prêcha dans la ville d'Antioche, siège du Gouverneur romain de la Syrie. C'est selon la tradition qu'apparaît là le mot "chrétien" pour désigner les fidèles de la nouvelle religion. Et selon la tradition, l'église d'Antioche fondée par Paul et Pierre en 38 sera l'un des hauts lieux de l'origine des chrétiens dans ce pays.
"Le christianisme fleurit dans l'est sur l'Euphrate à Doura Europos où les archéologues ont découvert la plus ancienne chapelle chrétienne construite dès 241."
A partir de la fin du IVème siècle, la Syrie se trouve au coeur de l'empire romain d'Orient ou byzantin en terme religieux chrétien, dont la capitale est Constantinople, changée de nom en Istanbul aujourd'hui, en Turquie, (après l'occupation turque islamique). Les orientaux aiment les monastères et ermitages. Ils sont nombreux . Dans les régions montagneuses on y façonne ce couvent de quelques sujets. comme le fit Syméon le stylite de 390-459. Ce lieu de mémoire devient à la mort du moine un espace de pèlerinage.
Dans ce christianisme naissant, les débats entre penseurs et théologiens voient le jour, auprès de ces croyants cultivés de culture orientale et latine.
La Syrie avait une telle réputation de travail de l'esprit et des lettres. "La nature du Christ, homme et dieu, pose question. Les pouvoirs régnants dans des royaumes où le civil et le religieux se confondent entre eux, s'affrontent et pour la foi et le règne du séculier. "Le concile de Chalcédoine consacre en 451 les deux natures du Christ, mais c'est oublier le goût de la rébellion de ceux qui franchissent la voie empruntée dans des hérésies devenant sanglantes et belliqueuses pour la foi ! L'empereur a mission d'appliquer de telles lois religieuses. En Syrie les chrétiens qui les adoptent seront dits Grecs melkites, ou gens du souverain, le mot voulant dire souverain en arabe. Leur liturgie est en grec byzantin.
Quant à ceux qui ne renoncent pas à une nature exclusivement divine du Christ, ils constituent l'église syriaque. Leur liturgie fut fixée à Edesse en langue syriaque, dans un terreau culturel mi-grec, mi-araméen. D'où la naissance des Maronites, nés d'une tentative de conciliation des deux églises opposées sur la nature du Christ et issus de Syriens déplacés. Les structures ecclésiales de ces églises sont fortes et permettent de durer dans le temps. Par la richesse du patrimoine religieux, la liturgie , les églises, la langue liturgique, l'église de Syrie traverse les siècles et donne force et foi à ses fidèles.
A Paris en 2018, l'exposition présentée sur "les Chrétiens d'Orient" par Raphaëlle Ziadé et Elodie Bouffard rapportèrent la profondeur de cette histoire. Et la France ne se prive de la partager depuis des siècles antérieurs.
Mais la Syrie est conquise par les guerriers musulmans en 636. Les chrétiens vivant sous l'autorité de l'islam sont soumis à la loi du "dhimmi", de fortune diverse selon les cas. Un contrat de soumission et de protection aux accents variables selon l'exercice du pouvoir en cours. Comme ce fut le cas en Andalousie !
Exercer la religion, conserver les lieux de culte, interdiction en revanche d'en construire de nouveaux, accepter les institutions ecclésiales, leurs biens et leurs professions sont acquis dans le principe ?
"En revanche la souveraineté politique de l'islam doit être reconnue : ne pas se heurter à l'autorité musulmane, observer la discrétion et la modestie, et selon la loi, ne pas monter à cheval, porter des couleurs vestimentaires spécifiques, ne pas servir dans l'administration sauf décision acquise auprès du calife, ni dans l'armée, payer son obole en nature ou en espèces. Telles étaient les prescriptions imposées aux chrétiens en Syrie dans ces années." Elles durèrent longtemps.
Certains califes en feront un exercice plus ou moins diligent. On cite des médecins et des penseurs ayant obtenu de telles faveurs auprès des chefs de régime mais par exception somme toute pour la plupart des sujets en l'état. A partir du VIIIème, siècle les chrétiens en Syrie adoptent la langue arabe, sauf pour la liturgie où l'on se permet quelques infidélités islamiques, des livres écrits en arabe et syriaque voient le jour. "Les intellectuels de ce temps parfaitement bilingues communiquent en ces diverses langues le contenu de la foi chrétienne et facilitent la connaissance ancienne des premiers siècles chrétiens au monde musulman. "
Les conquêtes de Selim Ier en 1512-1520 rattacheront la Syrie au monde ottoman. Le sultan étant l'allié de François Ier, les rapports s'établissent entre les Valois en France et l'empire du Levant. Les commerçants et diplomates venus de France cherchent à développer des relations avec les chrétiens locaux d'Alep et à Damas. Le pape profite de cette opportunité pour tendre la main aux chrétiens d'Orient et le partage se fit entre catholiques sous l'autorité papale et orthodoxes d'Orient. Sans confusion, cependant, entre eux.
L'influence européenne et française grandit au Levant aux XVIIème et XVIIIème siècles et les Français y sont nombreux dès 1840. On dénombre les hospices, les écoles et les dispensaires occidentaux mis en comparaison avec l'Orient, somme toute un rapport d'intérêt destiné aux chrétiens d'Orient, séduits en outre par la connaissance de la culture française en terre de Syrie !
En 1839, le statut de dhimmi est supprimé par le sultan. La rancoeur des arabes et des druzes contre les chrétiens s'en trouve renforcée. Ce sera le temps des crimes commis au Liban et en Syrie en 1860, au nombre de dix mille à vingt mille chrétiens occis. Napoléon III réagit pour venir soutenir les chrétiens massacrés par une véritable campagne militaire à Damas. Le drame commis incita l'exode de milliers de chrétiens vers le Liban, l'Egypte ou aux Amériques. Malgré les horreurs subies, le pays résiste par un patriotisme particulier revigoré par les chrétiens après le traumatisme de 1860. Une idée nationale hors les frontières unissant les Syriens entre eux.
Et l'histoire se poursuit encore dans le sang des voisins ottomans.
Sans oublier le génocide arménien dans le nord du pays, et celui des assyro-chaldéens. La ville syrienne de Deir ez-Zor en est une limite méridionale. L'histoire rappelle que l'empire ottoman s'effondra en 1918 et la France obtint de la Société des nations la mission de protéger les réfugiés arméniens présents.
Le mandat dura jusqu'en 1946, mais dans les faits, la communauté syrienne établie au Liban et celle en Syrie même s'opposèrent encore entre elles.
Les premiers favorables aux Français, les seconds se levant contre. Lors de la révolte druze en 1925-27, nombre d'arabes et de chrétiens rejoignent l'esprit de l'insurrection. D'autres pratiquent le combat politique dans les limites de la version institutionnelle en place.
Marie Seurat née en 1949 dans une famille syriaque d'Alep originaire d'Anatolie raconte en 1991 dans un livre "Un si proche Orient" : "A la maison, l'époque des Français n'avait laissé que des nostalgies. Sans eux, il était entendu que nous habiterions encore dans des camps sur les bords de l'Euphrate. C'est en collaborant avec eux que la famille paternelle avait fait ses premiers pas sur les sentiers de la gloire et de la fortune. En nous nourrissant de la manne colonialiste, nous étions devenus une élite, un peuple mandaté, une race de bâtisseurs. Que grâces leur soient rendues, proclamaient à l'envi pères et oncles, patriarches et évêques".
Une profonde empreinte franco-syrienne s'était établie entre les deux peuples et la tradition orientale étudiante sise à Paris et dans le sud de la France en donnait le témoignage.
Mais sur le plan politique, le pays a fait l'objet de coups d'Etat répétés entre le père et le fils El Assad. Les chrétiens sur place seront exposés. Qu'adviendra-t-il de leur communauté ? Auront-ils une fonction reconnue par les nouveaux maîtres des lieux ? Deux mille ans d'histoire chrétienne en ce lieu sont menacés. La France fut présente auprès de la Syrie d'antan. Elle le demeure encore par l'histoire et par des devoirs mutuels que les vieilles communautés chrétiennes ont su entretenir si longtemps, si... leur présence et leur action y sont reconnues à nouveau comme promesses du futur ? A comprendre et partager encore par devoir de mémoire et de fraternité spirituelle.