Philippe Calderon, cinéaste, réalisateur entre autres de : « Washoe, le singe qui parle avec les mains » « Retrouver Byzance » « Lorsque le monde parlait arabe », « Michel Foucault par lui-même », « La citadelle assiégée » « John von Neumann prophète du XXIème siècle » « 1984 ou Meilleur des Mondes ? » diffusé dernièrement sur Arte.
Les regards de grands écrivains permettent d’appréhender des futurs possibles. « Chaque époque rêve la suivante » avait écrit Walter Benjamin. Ceux imaginés par Georges Orwell et Aldous Huxley, avec leurs deux romans culte, « 1984 » et « Le Meilleur des Mondes », sont à ce titre, emblématiques. Notre XXIème siècle conjugue mondialisation tout en se hérissant de murs ; globalisation et exacerbation de l’identitaire ; surveillance généralisée et individuation débridée ; horizontalité des réseaux et pyramides des démocratures ; intelligences artificielles et prise de conscience d’animaux sensibles (dont nous découvrons une intelligence pas si différente de la nôtre) ; réchauffement climatique et écosystèmes en effondrement ; prospérité et inégalités croissantes.
Alors à quoi rêve notre époque, à travers les prismes du « Meilleur des mondes » et de « 1984 » ?
On peut se demander comment deux romans aussi dissemblables sur le futur de la civilisation, ont pu voir le jour, par deux anglais, ayant écrits à moins de quinze ans d’intervalle, vers le milieu du XXème siècle, avec un même cadre romanesque : Londres.
Les deux romanciers se sont donnés leur point de vue sur la vision de l’autre. La différence, d'univers familiaux et de parcours, pourrait expliquer des ressentis aussi différents sur le futur. La dèche pour Orwell tout le long de sa vie, et la réussite quasi-immédiate pour Huxley. Le « Meilleur des Mondes » a été écrit sur la Côte d'Azur en 1931, bulle de prospérité, à l’abri des tumultes nationalistes européens. "1984" est écrit juste après la seconde guerre mondiale sur l’île de Jura, dans un manoir désolé, battu par les vents au large de l'Ecosse.
Huxley, né le 26 juin 1894, dandy, brillant sceptique, héritier intellectuel de la « High society » victorienne, deviendra en fin de vie, un quasi-mystique à Los Angeles, passionné de bouddhisme. Il y meurt en novembre 1963. Mysticisme dont témoigne l’un de ses derniers écrits : « Les portes de la perception », véritable exploration clinique sur lui-même des paradis artificiels, dont la « beat génération » et Jim Morrison, en baptisant son groupe, « The Doors », s’inspireront.
Huxley mourra après Orwell, le 22 novembre 1963.
Le parcours d’Orwell est tout autre : né le 25 juin 1903, militant engagé pour la cause ouvrière, son parcours de journaliste et de romancier est marqué par la non-reconnaissance, hormis sur le tard, avec « La Ferme des animaux, publié en 1945. C’est un court roman qui met en scène la révolte d’animaux dans une ferme, alors qu’il commence à écrire « 1984 » son œuvre maîtresse.
Orwell deviendra un socialiste viscéralement anti-communiste, une sorte de "traître" social-démocrate avant la lettre. Il n’avait pas supporté la trahison des communistes soviétisés, voulant éliminer les trotskystes, et les anarchistes qu’il côtoyait lors de la Guerre d’Espagne, qu’il couvrait en tant que journaliste. De cette expérience espagnole, il en tirera un hallucinant document de sur la guerre, « Hommage à La Catalogne » paru en 1938, qui ne le fait pas connaître. Il ne connaîtra une célébrité planétaire que quelques mois avant sa mort, le 21 janvier 1950, emporté par la tuberculose, avec la sortie de « 1984 », en 1949.
Orwell, et Huxley que neuf ans séparent, s’étaient croisés physiquement à Eton. Huxley comme tout jeune prof de français qui faisait un job alimentaire, et Orwell comme élève, mais ils se sont « manqués ». Orwell trouvait que Huxley s’ennuyait comme professeur de français, et qu’il ne semblait avoir remarqué aucun de ses élèves.
Eton, matrice de production des élites dédiées à diriger l’immense Empire, a pu avec ses castes rigides inspirer les deux romanciers. Les boursiers du roi, dont faisait partie Orwell, avaient une salle-à-manger à part. Pas question qu’ils se mélangent trop aux happy few : ceux dont les parents avaient les moyens de payer les frais de scolarité. Des divisions fines apparaissaient également dans ce dernier groupe, selon que l’on soit fils de propriétaire terrien anobli, fils de chef d’Etat, de commerçants, ou de haut-fonctionnaire, ou encore membre de la bonne- society fauchée (milieu d’Orwell), ou fils de commerçant ou de fonctionnaire, ou que l’on soit déposé à Eton en Rolls en Bentley ou en bus. Le fils adoptif d’Orwell, Richard Blair, se souvient des descriptions faites par son père : « La vue des Bentley et des Rolls déposant toutes sortes de baronnets, de comtes et de ducs, ou celle des fils de différents rois des dominions de l’Empire, le conduisit probablement, à une forme de solitude ».
Quant à Huxley, son vrai monde était Cambridge, et son élite, intellectuelle, et non la jeunesse dorée.
Le contexte, était une Angleterre sortant de la boucherie de 14/18, qui allait tomber inexorablement dans l’horreur continentale avec la deuxième guerre mondiale. Une Angleterre qui se croyait à l’abri du continent, déchiré par ses nationalismes nazi, franquiste, la terreur stalinienne des années 30, puis l’effroyable seconde guerre mondiale dans la foulée.
« Le Meilleur des Mondes » est le plus futuriste, des deux romans, en termes de science-fiction technologique.
Pourtant il a été écrit, presque 15 ans avant « 1984 ». Huxley faisait partie d’une incroyable dynastie, anglaise de scientifiques et d’intellectuels (son grand-père paternel Thomas Henry Huxley était un compagnon de Darwin, son grand père maternelle, Mathew Arnold, un poète et un critique influent, son père Léonard Huxley, écrivain et botaniste, et son frère Julian, eugéniste fervent, et biologiste de premier ordre, aura été le premier directeur général de l’UNESCO en 1946, qu’il aura contribué à créer. Aucune « forme de supériorité humaine » n’était étrangère à cette famille, en matière philosophique, littéraire et scientifique. André Maurois trouvait Aldous trop « brillant » pour être réellement un grand écrivain (préface de « Contrepoint » et sa critique du « Meilleur des Mondes »). La culture scientifique, n’ayant jamais eu très bonne presse dans l’intelligentzia française, ni dans nos élites politiques, aujourd’hui comme hier. Aldous Huxley pouvait réunir dans ses soirées, des phénomènes tels que Zaza Gabor, Mary Pickford, les sœurs Mitford, tout aussi bien que Bertrand Russell, Nancy Cunard, DH Lawrence, Virginia Woolf, ou encore les membres de la célèbre secte des « Apôtres de Cambridge », dont faisait partie Keynes, ou le groupe d’artistes de Bloomsbury dans ses années de jeunesse en Europe. Ce sentiment de supériorité, nimbé d’un talent de journaliste et de manipulateur de concepts, le conduira à écrire « Le Meilleur des Mondes » dans cette côte d’Azur que les anglo-saxons appréciait pour son côté « So-french ». Imaginez un cadre Fitzgéraldien ou à la Edith Wharton, peuplé d’intellectuels mondains anglo-saxon, dans un cadre idyllique.
Quand Huxley écrit à Sanary sur mer, « La Grande Guerre » a laissé des traces indélébiles dans l’imaginaire collectif européen. Elle aura été celle, que le grand mathématicien américano-hongrois John Von Neumann considérait celle de la balistique, avec l’utilisation des gaz moutarde, et de l’artillerie, à un point inimaginable, et les trouffions comme chair à canon. Le conflit de 14/18, s’est déclenché dans une inconscience généralisée des conséquences. « Les somnambules » comme a qualifiés l’historien australien Christopher Clark, les acteurs de cette tragédie. Les protagonistes étaient inconscients des conséquences car ils avaient probablement des attitudes mentales héritées du 19ième siècle. La guerre de sécession annonçait déjà ce mixte entre technologie industrielle et héroïsme de la baillonnette. Les intellectuels de Cambridge, en sont conscients, d’où le pacifisme d’un Russell et de Huxley.
Dans cette société anglaise au sortir de la grande guerre, on pense qu’il vaut mieux se tourner vers la science pour justement, éviter une nouvelle guerre et les comportements irrationnels qui y mènent. Finit les attitudes idiotes, héritées des croyances du 19ième siècle. Vive les sociétés organisées « scientifiquement ». Et pourquoi pas améliorer l’Homme ? Justement, le frère d’Aldous, Julian Huxley, l’un des biologistes les plus influents du début du 20ième siècle, et premier secrétaire général de l’Unesco, sera le premier qui utilisera le terme de « Transhumanisme » bien avant Kurzweil. « Améliorer l’Homme », signifierait des politiques eugénistes, sérieusement étudiées en Angleterre et aux USA, par exemple la loi de l’Etat de Virginie en 1924, considérée en 1927, comme constitutionnelle par La Cour Suprême. Stérilisation forcée de jeunes femmes inaptes à se reproduire, pour éviter maladies et traits de caractères asociaux, conduisant à la pauvreté. Un eugénisme qui révulsait Huxley et dont s’inspireront de manière revendiquée, les nazis qui arrivent au pouvoir peu après. Marqué, par cet eugénisme ambiant, convaincu par le fait qu’une telle imbécilité comme la « Grande Guerre », ne se répéterait plus, Huxley, se tourne donc vers un autre futur possible : l’horreur eugéniste. Il pense son roman comme une mise en scène des dangers d’un asservissement volontaire de l’Être humain. Un asservissement produit de la croyance aveugle au « Tout technologique ». Il en tire, donc « Le Meilleur des mondes » ou en anglais « The Brave New World ».
« Le meilleur des monde » met en scène, une société de gens « heureux », car programmé génétiquement en castes. Son héros Bernard Marx, a été conçu comme tous les habitants du Meilleur des Mondes dans une éprouvette. Mais l’embryon du héros est destiné à appartenir à la caste des Alpha. Tous beaux, et très intelligents. A l’autre bout du spectre, en sautant les castes intermédiaires, les Epsilon sont plutôt disgracieux, et programmés pour des tâches subalternes. Pas de mariages possibles entres castes, non que ce soit formellement interdit, mais les attirances programmées découlent de la caste à laquelle on appartient. Le libre arbitre n’existe plus. Manque de chance, une erreur de dosage dans le protocole chimique qui régule le développement de l’embryon de Bernard Marx, fait que celui hérite d’un corps de caste intermédiaire avec une intelligence de Alpha. Une erreur qui le rend original, et qui le conduira à regarder autrement, cette société du « bonheur ».
Son roman, écrit avant la seconde guerre mondiale, est donc le fruit d’une réflexion sur les manières mortifères d’éviter des catastrophes civilisationnelles type « la Grande Guerre », en cherchant à améliorer l’Être humain. Cette démarche décrite dans « Le Meilleur des Mondes » conduit à une forme de dictature molle, consumériste, la fin de toute liberté, un bonheur programmé : asservissement volontaire et paix perpétuelle.
Et « 1984 », quelle genèse ? Ecrit en 1946, il connaît un succès planétaire immédiat dès sa sortie en 1949. Il est le fruit d’un vécu beaucoup plus abrupt que celui d’Huxley. Orwell aura été marqué par une enfance aux confins de l’empire britannique (son était administrateur colonial en Birmanie, et le futur écrivain fut choqué par le colonialisme), marqué par cette vie de dèche en Europe, (il a même été plongeur au « Ritz »).
Marqué également par un sentiment d’échec lié à une œuvre passée relativement inaperçue, par la guerre d’Espagne , mais aussi par la montée du nazisme, le blitz de Londres, et last but not least, marqué par la découverte du totalitarisme soviétique.
Amer, il écrira « 1984 » à la fin de la seconde guerre mondiale sur l’île de Jura, dans un manoir désolé, battu par les vents. Toussotant et agrippé à sa machine à écrire, il parviendra à terminer son chef-d’œuvre avant son décès à Londres, de la tuberculose.
Richard Blair, son fils adoptif, se souvient, enfant, du claquement de la machine à écrire qui résonnait dans l’humidité du manoir. L’œuvre jouira immédiatement d’une célébrité planétaire. Churchill, anti-communiste et conservateur passionné, le lira deux fois lors de sa parution.
Concernant les rapports entre Orwell et Churchill, selon l‘essayiste américain Thomas E. Ricks, (Churchill § Orwell, The fight for freedoom) : « Orwell, membre de la classe moyenne supérieure, et Churchill, l’aristocrate, étaient tous deux des enfants de l’Empire, encore que les deux partageaient une forme de mépris pour le snobisme de la société anglaise ».
Ricks cite Orwell : « En Angleterre, pour un politicien populaire, le fait d’être un gentleman, est un sérieux handicap » . Toujours selon Ricks, Orwell ajoutera à cet article écrit en 1943, sur un mode admiratif : « Ce que Churchill, (dans le fond) n’est pas ».
« 1984 » décrit tout autre chose, que la société du « bonheur » programmé à l’œuvre dans « Le Meilleur des mondes ». Celui-ci met en scène un totalitarisme qui a pour cadre un monde divisé en trois blocs, où la société est pyramidale, fondée sur la peur, la surveillance et le parti unique, et des guerres artificiellement entretenues. Des slogans tels que « La guerre c’est la paix » ; « L’ignorance c’est la force » ; « La liberté c’est l’esclavage », enferment les populations dans un mode de vie répétitif, où le fait même de penser est interdit, impossible. « 1984 », roman sur la surveillance totalitaire, est le fruit de la seconde guerre mondiale, du stalinisme et des déceptions liées à la guerre d’Espagne.
Son héros, Winston Smith, est traqué par Big-Brother, l’intelligence collective omnisciente, dont les écrans évoquent une sorte de « Google Watching You ». Amoureux d’une dissidente, il est capable d’une pensée autonome. La fin tragique du roman, conduit à une impasse totale. Il survivra en renonçant à ce qui fait de lui un être humain, dans une torture mentale qui repose sur l’idée qu’il a du pire, détecté Big-Brother, trahissant ainsi irrémédiablement, ce qui le faisait vivre. Winston Smith se transformera en zombie, en mort-vivant. Même pas mort !
Et alors quel rapport avec notre époque ? Et pour reprendre la métaphore de Walter Benjamin, en quoi les deux romans permettaient de rêver le devenir de notre XXIème siècle, celui qui se dessine pour les décennies avenir ?
L'asservissement volontaire est un thème qui unit les deux romans.
Toutefois, Orwell se situait résolument à gauche, ce qui s’avère évidemment beaucoup plus douteux, concernant Huxley, adepte d’une froide lucidité sur le genre humain, qu’il étudiera cliniquement.
En ce qui concerne « Le Meilleur des Mondes », dès qu’on regarde un peu, des évidences apparaissent. Après tout, aux Etats-Unis dans certains Etats, et dans d’autres pays, on peut commander ses enfants à la carte. Choisir le sexe, la couleur de yeux… En sélectionnant des ovocytes ou du sperme dans les banques de donneurs sur catalogue, on peut espérer parier sur l’intelligence, la beauté, contourner les probabilités de maladies ayant une composante héréditaire forte… Si on est optimiste on peut voir les choses ainsi : avec des technologies type Crispr-Scissors par exemple, on peut extraire des gènes utiles d’un embryon et les réimplanter sur un autre, issu des mêmes parents… les fins médicales sont évidentes pour les maladies génétiques héréditaires handicapantes. Mais en Chine, des essais sont conduits, et pas forcément à des fins médicales, ce qui n’a rien de rassurant.
Essayons d’être très optimiste, en niant l’horreur qui pourrait se dessiner : les fins de recherches fondamentales sur le fonctionnement des gènes, leur manière de s’exprimer en fonction de l’environnement (épigénèse), la connaissance fine du génome humain (séquençage), pourraient améliorer la condition humaine.
Les cellules souches en culture permettront de faire des clones, de produire des cellules spécialisées pour remplacer des cellules déficientes, de lutter contre bien des formes de cancer… Ces techniques conjuguées avec des implants robots, issus des nanotechnologies permettront de mettre en surveillance l’intérieur de notre corps et détecter en amont les pathologies et y conduire des réparations nanométriques.
L’intelligence artificielle nous déchargerait de tâches que nous considérons comme indignes d’un être humain libre.
Si l’on est encore beaucoup plus optimiste, voire doté d’une forme d’inconscience, on pourrait se dire que « Le Meilleur des Mondes », en donnant l’alerte, nous permettrait d’éviter justement l’horreur douce qu’il décrit, tout en profitant des innovations.
Utiliser le capitalisme pour canaliser et utiliser sa puissance innovatrice, dans le sens du bien-être.
Se dire que le défi de la dégradation de la biosphère serait résolu via les nouvelles technologies satellitaires, via les innovations en matière d’énergie et de recyclage des déchets, via des villes connectées, permettant de réduire l’empreinte humaine sur la biosphère.
On peut même rêver en espérant une société plus productive, en meilleure santé, accordant à chacun un revenu universel, avec une économie relancée par des robots consommateurs, et des écosystèmes en meilleur santé. Les transhumanistes en arrivent à fantasmer l’immortalité…dans un scénario évitant l’horreur douce du « Meilleur des Mondes » qui nous aurait mis en alerte. Une vision s’appuyant tout de même, sur des technologies « à la Huxley » . Un scénario où la liberté de l’être humain s’épanouirait dans le paradis numérique et technologique.
Et si l’on se mettait à voir, les choses de manière résolument pessimiste ? Imaginer une technologie huxlérienne, au service d’une dictature orwellienne plus ou moins cachée.
Les technologies les plus "bienveillantes" dans nos démocraties, pourraient abriter le diable orwellien comme le « démon de Maxwell » dans sa boite. Après tout, on surveille de manière orwellienne, tout aussi bien, l’intérieur de notre corps, nos gènes, nos cerveaux, via des technologies prédites par Huxley.
Avec la reconnaissance faciale, associée aux réseaux sociaux, aucun doute, Orwell prend le dessus. L’œil caméra, les capteurs, les reconnaissances faciales, s’appuient sur le concept de programmes évolutifs : manipulations génétique, deep-learning des algorithmes qui nous gouvernent, dans une optique de surveillance.
Les convergences entre neurosciences, les biotechnologie (génie génétique inclut), les nanotechnologies, pourraient tisser une toile implacable, d’où nul ne s’échapperait. Et c’est bien ce qui semble se dessiner en creux dans nos démocraties : un choix qui pourrait devenir unique, celui d’une absence de liberté. Une forme de dictature horizontale, celle des réseaux où chacun se surveille, les yeux de Big Brother devenant ceux de chacun d’entre nous. Un réseau de « Baby Brother’s » connectés dans un village mondial numérique qu’on pourrait décrire comme une sorte de cyber-cage mentale.
Et dans les démocratures ? La grande cage mentale et le démon orwellien y sont cette fois revendiqués. Big Brother ne s’y cache pas.
En témoignent les fameux crédits sociaux, les rééducations, la reconnaissance faciale, la surveillance de l’intelligence, qui s’appuient sur des technologies huxlérienne. Par exemple, en Chine, un chercheur chinois, He Jiankui, assume avoir utilisé des "ciseaux génétiques" (scissors cripp’s) sur des embryons humains, permettant la naissance de jumelles à l'ADN modifié. La Chine n’avait-elle pas confirmé le lundi 21 janvier 2019 qu'une deuxième femme était enceinte d'un "bébé OGM" ? On commence également à y répertorier les gènes impliqués dans l'intelligence.
La version pessimiste que donne « 1984 » paraissait moins visionnaire que celle du « Meilleur des Mondes ». Elle était même un peu naïve selon Huxley, qui trouvait la terreur pyramidale, un peu rustique, pour être crédible. Mais Huxley n’a pas vu la seconde guerre mondiale arriver, ni les technologies de surveillance. Gageons que ce qui se passe en Chine, Orwell l’a finalement plus ou moins imaginé et que nos démocraties n’ont malheureusement rien d’une fatalité.
Il est possible qu’Huxley soit finalement incluss dans Orwell, plutôt que l’inverse, même dans nos démocraties. Le « bonheur obligatoire » de Huxley est devenu un avatar de la société de surveillance.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. A ce titre, Orwell et Huxley ont bien été les lanceurs d’alerte qui concernent notre XXIème siècle. Les deux romans posent de manière radicale, le rapport de l’espèce humaine dans un monde numérisé devenu trop complexe et trop rapide face à la lenteur biologique du cerveau humain.