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Histoire
Vous avez dit « Lumière » ?
Vous avez dit « Lumière » ?
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| François-Xavier Esponde 965 mots

Vous avez dit « Lumière » ?

En 1878, dans un ouvrage intitulé « Le signe de la croix », Mgr Gaume pourfendit « l’homme contemporain qui adore la déesse industrie, la déesse vapeur, et la déesse électricité » : beaucoup de divinités dans ce panel de la créativité moderne, bien oubliées désormais, mais qui auront nourri un imaginaire craintif et peu disposé à ces attractions.
2 - La symbolique de la lumière.
Pendant ces décennies d’inventions autour du chemin de fer, de la bicyclette et de la photographie, on s’apostrophe copieusement, on l’a oublié. L’usage du gaz, vilipendé comme plein de menaces, la lumière électrique séduisante mais incontrôlable, se répandent dans les habitations et les commerces des cités. Les historiens rapportent qu’à partir de 1830, principalement à Paris, les premiers réverbères firent leur apparition dans les rues de la capitale et dans les cafés des boulevards, ces établissements de la nuit éclairés pour le contentement de leurs clients et la défiance des autres.
Les édifices religieux n’étant pas de reste, les becs de gaz remplaçant les cierges : dans les gazettes, les commentaires admiratifs de la bourgeoisie du Second Empire, très acquise à ces entreprises, côtoyèrent l’hostilité des opposants. Qui se réjouissant, qui jetant l’anathème sur ces « nouveautés insalubres » ! Le célèbre écrivain Léon Bloy ne manqua pas d’audace en disant que la généralisation de ces lampes dans l’espace public provoquait une perte de sens et d’usage. Leur développement dans les théâtres, les restaurants, les tavernes, les grands magasins, étaient selon ses dires, « le seuil des turpitudes générées par la lumière artificielle » ! Dans les églises et les sacristies, sombres et avares en éclairage, on préservait encore l’espace de telles modernités, mais pour combien de temps encore !
En 1886, l’abbé d’Ezerville comparait les sacristies et les églises éclairées au gaz à un café, « si tout a une signification dans une église, le gaz n’en aurait pas » ! De peu de retour, car on développa au fil de ces décennies l’usage de l’électricité dans les églises comme en de nombreux édifices destinés à recevoir des visiteurs. Puis on dépêcha à Rome des émissaires pour trancher le débat lorsque celui-ci devint irréversible.

3 –Evolution progressive des esprits.

Sagesse suprême de l’autorité, la Congrégation des rites romains décida de donner un avis définitif en 1895, par décret autorisant l’éclairage artificiel afin de dissiper les ténèbres dans les églises, à condition d’éviter tout effet théâtral entretenu par ces importations extérieures.
Ouf, soulagement ! La Foi étant sauve, la règle permettait de conjuguer la nouveauté et le confort des usagers en lisant dès 1908 le nouveau décret « De la lumière électrique » où étaient évoquées les préventions pontificales contre les exhibitions puériles, ce qui n’empêcha guère des évêques et des fidèles d’en faire usage lors de processions et dans le paysage fleuri des églises, d’étoiles, de couronnes, d’arcs de triomphe, de langues de feu, de croix scintillantes et éblouissantes d’effets spéciaux…
Dans un édifice baroque aux tableaux disséminés sur les murs, l’avènement de ces lampes électriques ajouta des effets indirects aux œuvres elles-mêmes, ce qui put enflammer à nouveau les admirateurs zélés et les détracteurs qui condamnaient encore les conduites spectaculaires dues à ces innovations. Seul, l’autel de l’église, domaine réservé du célébrant, bénéficiait d’un état distinct. Les cierges et les bougies y eurent force de loi et de vie, l’électricité n’y étant pas la bienvenue.
Si cette loi fit son œuvre, elle ne fut jamais bannie du décret des rites par la Congrégation de ce nom, mais tomba en désuétude. Personne ne voulait distinguer le chœur du reste de l’édifice quant au bénéfice de la lumière lors des offices religieux. Avouez que c’eût été cocasse de maintenir de tels règlements d’un autre temps au nom d’une tradition qui n’en était pas une mais se résumait à de l’entêtement !
Plus sérieusement, il nous faut rappeler que chaque pontife ayant son profil, le pape Grégoire XVI, de 1831 à 1846, fut « un technophobe hostile à la construction de la ligne de chemin de fer dans les états pontificaux pour ne pas ruiner les conducteurs de diligence » : un décret annulé par le successeur Léon XIII dès 1879 qui trouvait dans ces inventions techniques une manière pour l’homme de se faire l’adjuvant de Dieu en participant à la création.
Bien d’autres scientifiques, électroniciens, physiciens et chercheurs emboiteront ce pas pour conjuguer au fil du siècle suivant la découverte et le progrès de ces techniques au service de l’humanité de son temps !

4 – La Fête des Lumières à Lyon

Or, les catholiques n’ont jamais été hostiles aux inventions « lumineuses » comme en témoigne la Fête des Lumières célébrée à Lyon le 8 décembre pour l’Immaculée Conception. Si l’origine de cette belle tradition remonte au vœu des échevins de la cité invoquant l’intercession de la Vierge lors d’une épidémie de peste en 1643 et donnant lieu à une procession le 8 septembre (fête de la Nativité de la mère de Dieu), c’est à l’année 1852, lors de l’inauguration d’une statue de la Vierge sur le clocher de la chapelle de Fourvière (que remplacera la basilique), cérémonie retardée au 8 décembre à cause d’une crue de la Saône, et encore d’une semaine à cause d’un violent orage, que remonte la coutume d’éclairer les fenêtres et d’allumer (à l’époque) des feux d’artifices ou de Bengale. Chacun a pu voir le passage de la cire, des bougies primitives et des éclairages sommaires les plus anciens à l’électricité, jusqu’au laser qui illumine et valorise désormais les édifices historiques de la cité, nouveautés encouragées depuis la municipalité de Michel Noir en 1989 : la noria des éclairagistes, des ingénieurs de l’image, des scénographes, prêtent leur imaginaire aux créations les plus insolites, attirant chaque année, à la tombée du jour, des millions de visiteurs en quête de beauté et d’expressions plastiques révélées grâce l’électricité dans l’essaim obscur de la nuit.
François-Xavier Esponde

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