Varsovie (Pologne) mai 1983. Une chambre de lycéens. Jurek (Tomasz Zietek) et son ami Grzegorz Przemyk (Mateusz Gorski) flânent. Ils viennent de réussir la première partie (écrite) du baccalauréat et en attendant la deuxième partie (les oraux), décident de sortir faire un peu la fête. Dans le grand appartement de la mère de Grzegorz, Barbara Sadowska (Sandra Korzeniak), des gens affairés, bavards, s’agitent en tous sens. Barbara est une militante du syndicat Solidarnosc (Solidarité) qui combat, depuis sa création en août 1980 aux chantiers navals de Gdansk, la mainmise du parti communiste et de sa cohorte d’apparatchiks sur leur pays : La Pologne.
Jurek et Grzegorz sortent pour s’égayer sur la place centrale de Varsovie. Deux miliciens interviennent immédiatement pour leur demander leurs papiers : Jurek s’exécute sans broncher tandis que Grzegorz refuse en argumentant sur la suspension de l’Etat de siège (ou loi martiale : 13 décembre 1981 au 22 juillet 1983) depuis fin décembre 1982. Rien n’y fait : les deux adolescents sont brutalement transférés au commissariat du quartier. Devant son refus réitéré de montrer ses papiers, Grzegorz est sauvagement battu par deux miliciens sous le regard d’un supérieur qui déclare : « frappez-le, mais sans laisser de traces ». Transporté sans ménagement dans une cellule, Grzegorz demeure inconscient.
Le commissaire finit par ordonner d’exfiltrer Grzegorz, toujours inconscient, vers un hôpital : une ambulance vient le chercher. Jurek est libéré. Il a assisté au passage à tabac de son camarade. Il est le seul témoin oculaire … La milice le surveille d’autant que l’état sanitaire de Grzegorz empire …
Varsovie 83, une affaire d’état est l’adaptation du livre enquête « Leave No Traces. The case of Grzegorz Przemyk » de Cezary Lazarewicz qui décrit les mécanismes de l’oppression instaurée par le Conseil militaire de salut national présidé par le général Jaruzelski (1923/2014), Premier ministre et Premier secrétaire du parti communiste (PZPR). Le général Czeslaw Kiszczak (Robert Wieckiewicz) qui dirige la police politique ainsi que son adjoint Stanislaw Kowalczyk (Tomasz Kot), s’inquiètent de la tournure politique que prend ce drame. En effet, avec le soutien des militants de Solidarnosc, en particulier de la mère de Grzegorz, Barbara Sadowska, l’affaire obtient immédiatement un retentissement national, puis international grâce à radio free, média puissant informé par un journaliste anglais de la BBC. Dès lors, au sein de l’appareil militaro-politique, les réunions se succèdent non pour mettre à jour la vérité, mais pour la masquer, la travestir, en multipliant les fausses informations et les manipulations en tous genres.
La vie de Jurek, seul témoin du tabassage de son ami, est menacée…
Les militaires polonais qui dirigent un pays exsangue, au bord de l’explosion sociale (hausse vertigineuse des prix, longues grèves, répressions sanglantes, emprisonnements arbitraires, etc.) ont été formés à l’école soviétique : ne jamais rien avouer ; fabriquer de toutes pièces des faits alternatifs plausibles ou non (peu importe !) en manipulant, par tous moyens et méthodes, les acteurs proches ou éloignés de cette tragédie. Comme leurs collègues soviétiques, ils ne manquent pas d’imagination et de cynisme : des personnages innocents, périphériques à cette affaire, sont mis « dans la boucle » et se retrouvent inculpés selon la tradition des procès truqués, instruits par une nomenclatura judiciaire aux ordres, ne manquant pas d’inventivité pour fabriquer des coupables… innocents.
Varsovie 83, une affaire d’état est le deuxième opus du jeune réalisateur Jan P. Matuszynski (38 ans) et son premier long métrage de fiction. Le film est enregistré, dans sa première partie (exposition des faits) en 16 mm, caméra à l’épaule ce qui lui confère une énergie certaine, une facilité de mouvements et une approche quasi documentaire ; puis en numérique plus stable (conférences des autorités militaires et civiles, les parcours de Jurek). L’atmosphère fiévreuse du film calqué sur des faits réels lors de l’instauration de la loi martiale et de ses suites est magnifiquement recréée par le réalisateur polonais né en… 1984 ! Le metteur en scène n’a-t-il pas déclaré dans un interview : « L’oppression est le fil rouge déployé tout au long de cette histoire ».
Nonobstant la durée du film (2h 40 minutes) nous sommes captivés par la lutte acharnée, dangereuse, inégale, des protagonistes contre un monstre froid : le pouvoir bureaucratique pervers et tentaculaire (policier, militaire, judiciaire). L’apparition dans quelques scènes clés du Père Jerzy Popieluszko (1947/1984), aumônier du syndicat Solidarnosc, lequel sera assassiné sauvagement par la « milice citoyenne » quelque temps plus tard (octobre 1984), renforce le sentiment de férocité de ce régime policier. Malgré celui-ci, les polonais, par leur courage, leur ténacité, ont réussi à retirer la première pierre du mur soviétique. Nous connaissons la suite.
Varsovie 83, une affaire d’état fait partie de ces films politiques nécessaires, au demeurant peu nombreux. Il nous rappelle La vie des autres (2006) film allemand de Florian Henckel Von Donnersmarck sur les « exploits sournois » de la police politique d’Allemagne de l’Est (STASI) envers les citoyens de ce pays. Ce n’est pas un mince compliment.