Yanji est une ville-district chinoise de la province de Jilin près de la frontière nord-coréenne. La majorité de ses habitants, de nationalité chinoise, parle le coréen. C’est une agglomération caractérisée par des hivers longs et froids. Durant cette période, celle-ci est ensevelie sous la neige et la glace non loin du Massif du Changbai, la plus grande réserve naturelle de Chine.
Haofeng (Liu Haoran) s’ennuie lors des agapes du mariage de son meilleur ami. Il a pris quelques jours de vacances pour assister à cette cérémonie festive. Il est « trader » dans la « haute finance » à Shanghai, mégalopole de 25 millions d’habitants et capitale financière de la Chine.
Après la fin des festivités, désœuvré, il part, en autobus, pour une excursion touristique dans la région de Yanji. La guide volubile, exubérante, est Nana (Zhou Dongyu) : elle n’est pas originaire de Yanji ou elle accomplit des « tour operator » pour gagner sa vie. Son enjouement est forcé, factice : elle semble cacher un secret.
Elle connaît Xiao (Chuxiao Qu), un cuisinier qui s’ennuie dans le restaurant de sa tante. Lui non plus n’est pas originaire de cette ville mais d’une contrée lointaine, plus au sud, où il rêve de retourner. Il s’estime raté parce qu’il n’a pas fait d’études sérieuses.
Haofeng, Nana et Xiao sont comme en exil dans cette ville joyeuse, mais étrangère. Tous trois, au hasard des rencontres, finissent par former un trio gai pour oublier leurs existences tristes et monotones. Ils écument les bars, les discothèques, en buvant plus que de raison…
Une femme, deux hommes, un triangle amoureux émerge au cœur de l’hiver à Yanji…
Le réalisateur Anthony Chen (39 ans) est de nationalité singapourienne. Il vit à Londres où il a perfectionné son éducation cinématographique à la National Film and Télévision School de la capitale anglaise. A ce jour, Il a réalisé quatre longs métrages dont le premier, IIo IIo (2013) a été récompensé par la Caméra d’or au Festival de Cannes 2013.
Un hiver à Yanji est son premier film chinois dont les protagonistes s’expriment en mandarin ou/et en coréen. Dans l’univers de l’énorme production chinoise, c’est une œuvre à part, à plusieurs titres. C’est tout d’abord une production indépendante, rare dans l’univers du cinéma chinois abonné aux blockbusters (nécessiter d’alimenter un circuit de distribution de plus de 50.000 salles obscures !).
Malgré les tabous de la société chinoise (interdiction de filmer la frontière avec la Corée du Nord et… des scènes de sexe), Anthony Chen a pu mettre en scène son film dont il a rédigé l’histoire (au jour le jour durant le tournage !), sans anicroche avec le pouvoir communiste chinois, au demeurant sourcilleux : il n’a pas été censuré pendant le tournage puis lors de la post production (montage). Son producteur lui a affirmé lors de la première projection : « C’est comme une bouffée d’air frais ».
L’intrigue d’Un hiver à Yanji est ténue : deux hommes, Haofeng souffrant de dépression et Xioa, un déclassé suite à son manque d’éducation (il tance son neveu pour qu’il ne soit pas en échec scolaire), sont amoureux de la même jeune femme : Nana.
Le réalisateur/scénariste reconnaît volontiers s’être inspiré de Jules et Jim (1962), le chef-d’œuvre de François Truffaut (1932/1984). Cependant, dans cette rencontre d’une durée totale de quatre jours, contrairement au film de François Truffaut (7/8 ans : avant et après la Grande Guerre de 1914/1918), il n’y pas de challenge, de jalousie, entre Haofeng et Xioa pour conquérir Nana. L’intrigue se déroule sur un faux rythme, lequel accentue la dérive alcoolisée des trois personnages.
C’est une fable romanesque nimbée de mélancolie dans de modestes intérieurs (l’appartement de Nana) et par contraste, de somptueux paysages enneigés. Anthony Chen a déclaré à propos de son œuvre : « Je voulais réaliser un film sur la jeune génération en Chine et sur le sentiment de liberté spirituelle qu’ils recherchent tous ». Le pari est réussi !
Les trois interprètes, bien qu’inconnus en France, sont chevronnés : Rhou Dongyu (Nana) est diplômée de l’académie du film de Pékin ; Liu Haoran (Haofeng) diplômé de l’académie centrale d’art dramatique ainsi que Qu Chuxiao (Xiao) également issu du même cursus.
Un hiver à Yanji a été projeté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard. Le film n’a pas suscité d’opprobre des représentants de la République populaire de Chine.