Dans un livre paru sous le titre "La voix des fantômes. Quand débordent les morts" au Seuil, Grégory Delaplace évoque un sujet inhabituel ou tabou pour beaucoup : que sont-ils devenus, les morts parmi nous, hors des canons religieux de la croyance post mortem, des familles spirituelles ?
Directeur de Recherche à l'Ecole Pratique des Hautes études, ce chercheur livre une ethnographie nouvelle des façons dont les morts se manifestent aux vivants et selon quels rites, que ces derniers entretiennent avec eux ? "Car comme des fantômes ou survivants ils interfèrent chez les vivants meme si peu le disent, les fantômes demeurent une présence flottante parmi les sociétés vivantes comme exclue du royaume partagé de la vie, mais sans en prétendre confirmer leur absence.
Les fantômes ne sont pas des ancêtres de nos origines, et ont du point de vue anthropologique que peu à dire des seconds. Le rapport social avec l'environnement concernera la relation à la vie entretenue comme par exemple, un cours d'eau, un bois, ou une forêt, d'un espace naturel rendu vivable et visitable par l'homme. Faire une telle expérience ne signifie partager cette perception cosmologique d'un rapport avec l'environnement que d'aucuns perçoivent comme possible et pour d'autres plus improbable.
Définir le profil du fantôme n'est jamais uniforme, et le choix du chercheur concerne les rites funéraires qui s'exposent dans un espace culturel précis, dans une communauté humaine repérable, et de vouloir les comparer avec d'autres sociétés environnantes ou lointaines.
"Chaque société façonne ses morts comme des interlocuteurs qui continuent à jouer un rôle dans la société des vivants. En certaines ces morts sont les ancêtres anonymes qui veillent à la régénération du monde, à travers la fertilité des récoltes et le renouvellement des générations . Citons les Dayak de Bornéo ou les Lolopo de Yunnan en Chine.
D'autres laissent aux morts le sort de les laisser venir ou de contenir leur influence au service de la protection du lien social. Le chercheur expose sa présentation du purgatoire dans la théologie médiévale occidentale, "Les fantômes reviennent pour exiger des vivants de s'amender en vue d'un autre monde où la réparation sera possible, si les oeuvres précèdent ce passage vers l'absolu ?"
En Islande, les fantômes côtoient les vivants et partagent leur vie commune. dans l'espoir de se revivifier en leur présence.
Mais il existe cependant un type autre de société où on ne saurait imaginer les vivants et les morts confondus et entremêlés au nord ouest de la Mongolie. Le chercheur dit y avoir étudié la société traditionnelle où ni la confusion ni la mixité ne semblent possible, Si la mort s'impose il n'y a de recours sinon le subir, vivre sans renoncer et attendre un temps libéré de cette emprise mortifère. Toute société en Asie ou en nos terres fait appel à ses prêtres, chamans, ou médiums pour s'adapter à l'influence des morts et contenir leur influence lorsqu'ils apparaissent. On présume dès lors qu'une maladie virale ou une épidémie est et fait l'objet d'une telle prévention socio médicale et spirituelle auréolée de rites funéraires et de défense des survivants ?
Interrogé sur le fait que les rites funéraires conviennent à se remémorer les rapports avec les disparus, et non organiser l'oubli d'un tel passé avec eux, le professeur d'anthropologie souligne, que selon ses recherches l'avenir d'un corps social après mort d'un de ses membres passe autant par l'oubli que par le souvenir. Citant la chercheuse Anne Christine Taylor chez les Indiens Achuar en Equateur, dans les années 1970. Les achuar estiment "que les individualités existent en quantité limitée si on veut qu'un mort puisse être remplacé par un autre vivant il faut libérer l'individualité d'une personne pour qu'elle devienne de nouveau disponible. Il faut donc oublier son nom et son visage, arrêter d'en parler, détruire les objets qui rappellent sa présence !"
Autre argument retenu, les rites funéraires permettent le détachement pour que les vivants puissent vivre sans l'obsession de la présence des morts. Mais de telles opinions partisanes sont et font obstacle à l'harmonie et engendrent le conflit d'interprétation. Chaque société adopte ses postures et ses choix entre mémoire et oublié, présence et absence selon des rites funéraires réfléchis en conformité avec les demandeurs concernés.
Au Vietnam, la mort sur la rue est une occasion de révéler la présence des fantômes dans une communauté humaine et une menace pour son harmonie.
Chez les Embera de Colombie, les guerres civiles sur le sol des ancêtres ont réveillé les fantômes et les autorités publiques du pays organisent des réinhumations des morts, en somme des services civiques pour contrôler l'influence incontrôlable des chamans et des fantômes qui leur résistent ?
On ne saurait le croire ? Mais le nombre des morts en fosses communes exigent de telles pratiques pour se concilier les vivants et les morts, à postériori des guerres passées dans le pays !
Quant à l'Europe, quelle attitude demeure face aux cultes funéraires en cours dans la modernité ? L'anthropologue dit sans détour le sentiment retenu de nos coutumes : "La baisse de funérailles institutionnalisées et bien souvent mercantilisées par des professionnels du mortuaire, on est en recherche d'une cosmologie commune au milieu de spectres produits par les guerres menaçantes à nos frontières, les épidémies récentes, la destruction de milieux de vie environnementale. Nous vivons un sentiment de culpabilité, celui de produire des morts et de ne savoir quelle fonction leur accorder "!
Une forme de spectralité rapportée aux fantômes dans des sociétés modernes, en perte de sens de la vie. Cette expérience fut lors du Covid partagée diversement dans les sociétés du monde, et le rapport à la mort de telles victimes épidémiques demeura sans réponse partagée !
Halloween représente pour le chercheur un exemple illustré de la place des morts lors de l'équinoxe d'automne chaque année, lorsque les morts déboulent sur les vivants lors des rites de l'antiquité, version modernisée, comme sujets assiégés par ces fantômes Selon le chercheur, dont on ne s'occuperait pas assez . Rien ne peut nous empêcher de penser OLENTZERO comme ce fantôme de l'hiver de nos vies sociétales des pertes et profits de ce que l'on cherche à oublier !
Claude Lévi Strauss l'avait bien dit : "Dans l'Europe du XVIIIème siècle, des enfants déguisés en morts se rendaient ainsi de maisons en maisons pour réclamer des présents en échange de leurs voeux jusqu'au triomphe de Noël, quand "les décédés" comblés de présents quittent les vivants pour les laisser en paix jusqu'à l'automne prochain". Enfants proches des absents, objets d'une éducation inachevée de la vie, l'anthropologue ouvre la voie à la réflexion ! Pour adultes !