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Critique de Cinéma
Trois Amies (117’) - Film français de Emmanuel Mouret
Trois Amies (117’) - Film français de Emmanuel Mouret

| Jean-Louis Requena 815 mots

Trois Amies (117’) - Film français de Emmanuel Mouret

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"Trois Amies" d'Emmanuel Mouret à la Mostra de Venise ©
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Lyon, capitale des Gaules. Joan (India Hair), une enseignante trentenaire, confesse ne plus aimer son compagnon, Victor (Vincent Macaigne), par ailleurs son collègue dans le même établissement scolaire. Elle est attristée et culpabilise face à cet amer constat d’autant qu’ils ont une petite fille adorable de cinq ans. 
Avec beaucoup d’appréhension, d’hésitations, elle en parle à sa meilleure amie, Alice (Camille Cottin), également enseignante dans le même collège. Tout à trac, cette dernière lui avoue qu’elle n’a jamais aimé son mari, Éric (Grégoire Ludig), mais qu’elle s’accommode de cette situation bancale en lui donnant le change. Elle tient à la stabilité affective et matérielle, mais dénuée d’amour, de son couple.

Ce duo d’enseignantes est rejoint par Rebecca (Sara Forestier), un électron libre, fantasque, dotée d’une solide énergie, perpétuellement à la recherche d’un travail. Elle irradie d’une joie de vivre contagieuse malgré sa situation précaire. Joan et surtout Alice se moquent gentiment d’elle et de ses rendez-vous avec un mystérieux monsieur X qu’elles n’ont jamais rencontré … et pour cause. Entre temps, un incident majeur assombrit la vie de Joan.

Dans l’immeuble de Joan un nouveau venu, Thomas (Damien Bonnard), vient s’installer avec sa petite fille âgée de huit ans. Il ne tarde pas à se lier d’amitié avec Joan et sa fille. Quelques années auparavant, Il avait écrit un livre, remarqué en son temps. De fait, il épate Joan qui fréquente son voisin avec assiduité malgré le drame qui l’a atteinte et meurtrie.

Trois femmes (Joan, Alice, Rebecca) et trois hommes (Victor, Éric, Thomas), auxquels se joint momentanément un quatrième, Stéphane (Éric Caravaca), un artiste peintre renommé, forment une sorte de groupe ou l’amitié et l’amour s’entremêlent : intermittences des cœurs, chroniques d’instabilités sentimentales, entre ces sept personnages, certains bavards, d’autres cachottiers, voire taiseux … 

Trois Amies est le douzième long métrage du marseillais Emmanuel Mouret (54 ans) dont il est, comme ses précédentes œuvres, scénariste avec l’aide, ici, de Carmen Leroi. Sa filmographie est dense : 12 films en 24 ans (sans compter 8 courts métrages !). Dans son dernier opus il poursuit, creuse, la même veine descriptive que celle de ses précédents films : des variations sur l’amitié et l’amour. Ainsi, Les Choses qu’ont dit, les choses qu’on fait (2020), Chronique d’une liaison passagère (Cf. BasKulture septembre 2022), sont des film choraux, polyphoniques, ou la légèreté (apparente) des protagonistes n’enlève rien à la profondeur de l’étude de leurs mœurs. 
Le réalisateur nous propose des Comédies d’Amour contemporaines à la manière de celles, nombreuses, de l’illustre Marivaux (1688/1763), le maître du Siècle des Lumières (XVIIIème siècle européen). 
Nous avions écrit en son temps que dans « Chronique d’une liaison passagère Emmanuel Mouret avait atteint son magnum opus ». Nous avions eu tort car sa dernière œuvre dépasse la précédente par sa complexité et l’introduction d’une dimension fantastique que nous ne révèlerons pas (une boucle temporelle). Le cinéma de ce metteur en scène français est … très français proche de celui d’Éric Rohmer (1920/2010) pour la maîtrise du verbe, mais aussi pour une part, de celui de l’américain Woody Allen (né en 1935) pour ses personnages aux situations sentimentales complexes, plus ou moins inextricables (Alice, 1990).

Emmanuel Mouret et son directeur de la photo, Laurent Desmet, ont choisi un format scope à priori osé pour une comédie dramatique filmée souvent au plus près des personnages. Le réalisateur justifie leur choix : « Le scope permet des cadres à la fois larges et serrés ; c’est la réunion de deux valeurs optiques en une seule ». 
De fait, la mise en scène est à la fois fluide et vivante. Les scènes d’intérieurs (appartements, collège, etc.) en plans séquences sont très réussies car les dialogues sont rythmés par une disposition dynamique des acteurs : les cadrages, les mouvements de caméra en panoramiques latéraux, rythment musicalement des dialogues acérés, etc. 
C’est du grand art cinématographique : l’image renforce le son au lieu d’être platement à son service. L’entame des scènes et leurs développements sont soulignés par des pastilles musicales lesquelles impriment la tonalité de ces dernières (dramatiques, amusantes, etc.). Des compositeurs de musiques classiques y sont invités : Wolfgang Amadeus Mozart (1756/1791), Ludwig Von Beethoven (1770/1827), Maurice Ravel (1875/1937), Dimitri Chostakovitch (1906/1975), Francis Poulenc (1899/1963), etc.

Emmanuel Mouret aime citer la célèbre phrase de Jean Renoir (1894/1979) : « La direction d’acteurs repose à 80% sur le choix des comédiens ». Les variations sur l’amitié et l’amour interprétées par des comédiennes nouvelles dans sa filmographie, India Hair (Joan), Camille Cottin (Alice), Sara Forestier (Rebecca) et pour la troisième fois consécutive Vincent Macaigne (Victor) confirment, ô combien, l’aphorisme du « Patron » du cinéma français.

Par sa dernière livraison, Emmanuel Mouret atteste, s’il en était besoin, que le cerveau est le siège de la sexualité et de son corollaire l’érotisme. Aussi nous épargne-t-il des scènes sexuelles explicites (ou non) qui dans ce cadre précis, n’ajouteraient rien au récit. Les spectateurs « remplissent » les interludes.

Trois Amies a été projeté à la Mostra de Venise 2024 en sélection officielle.

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