A l’occasion d’une future conférence du Frère Jacques d’Huiteau, originaire de Bayonne et ancien élève du collège La Salle - Saint-Bernard, professeur et supérieur de sa congrégation qui sera proposée par la société des sciences, lettres et arts de Bayonne, François-Xavier Esponde nous livre cet historique de l’institution :
1 - L’Institut des Frères des Ecoles chrétiennes fête en 2019 ses trois cents ans d’existence en France et dans le monde. Leur fondateur n’est autre que Jean-Baptiste de La Salle, un Français né le 30 avril 1651 à Rouen et décédé le 7 avril 1719 en sa ville, il y a désormais trois siècles.
Jean-Baptiste appartient à une famille noble de la ville, de onze enfants, et se prépare comme dans l’usage de son temps à faire carrière dans quelque fonction honorable de son rang. Mais son choix sera autre : le jeune Jean-Baptiste est envoyé étudier à Paris, à la Sorbonne, et au Séminaire Saint-Sulpice car son choix est de servir l’Eglise selon un projet éducatif spécifique, auprès des enfants de condition pauvre, illettrés, souvent livrés à la rue, ou au travail manuel dès leur plus jeune age.
Ses études s’accomplissent sans difficulté : il est titulaire d’un doctorat en théologie dans la plus pure tradition du temps. Un profil ecclésiastique où le latin est la discipline noble et officielle de tout enseignement et d’une éducation classique et reconnue. Toutefois Jean-Baptiste affiche une personnalité affirmée et rebelle aux conventions et usages de son temps. Il commence par fonder une école au recrutement inhabituel pour son environnement social. Des enfants livrés à leur sort, sans étude, analphabètes, et qu’il réunit en groupe pour les instruire sur les fondamentaux de tout enseignement, lire, écrire et compter. A la différence de la pédagogie de l’époque, en pratiquant le français et non plus le latin, réservé aux classes supérieures, et dans des écoles où les enseignements ne sont plus individuels mais groupés par tranches d’âge.
Le 25 mai 1684 son institut est créé sous le vocable de l’Institut des frères des écoles chrétiennes. Des écoles gratuites, parfois professionnelles, des écoles du dimanche, des maisons d’éducation pour des laissés pour compte et pour ceux qui travaillant la semaine pouvaient recevoir quelques bribes de connaissances le dimanche. Le latin y sera banni, considéré comme un frein à tout recrutement ouvert et sans distinction pour les enfants, quel que soit leur origine et leur niveau.
Jean-Baptiste de La Salle essuya de nombreuses oppositions en son temps, particulièrement religieuses. Que voulait-il donc d’un enseignement totalement inapproprié pour l’époque, pour des religieux ne voulant accéder au sacerdoce, conviés à l’enseignement, et non à une caste éducative habituée et conventionnelle de leur temps ?
2 -L’homme est solidement structuré, formé, instruit et ne cède guère aux sirènes des opposants. Ses écoles se créent, soutenues par une noria de laïcs, civils recrutés pour l’enseignement et formés dans ce qui ressemblera à la première Ecole normale de France, fondée par Jean-Baptiste de La Salle à Reims.
Les évêques de France, les plus ouverts aux idées du temps, proposent d’accueillir ces « maîtres-instituteurs » dans leurs diocèses. De grandes villes en France ouvrent les premières écoles au cours du XVIIème siècle et XVIIIème.
Mais Jean-Baptiste n’est jamais au bout de ses épreuves. Au sein même de son institut, des scissions naissent, parmi des projets concurrents et portés par des disciples par trop zélés et indépendants. Le supérieur de l’institut interviendra par ses collaborateurs pour restaurer l’unité du projet éducatif.
Il y aura aussi la résistance extérieure des opposants à ces initiatives innovantes, jugées peu crédibles, et par trop périphériques vis à vis de « la matière éducative encadrée solidement dans le classicisme d’une époque conformiste ». Le 18 août 1792, l’Ordre est dissous par la révolution, les frères sont expulsés manu militari, l’un des supérieurs tué à Paris. La présence d’un institut d’enseignement confessionnel à son origine est insupportable pour les partisans les plus obtus de la laïcité de l’époque. Les écoles sont confisquées, quelques têtes supprimées, et les frères franchissent les frontières pour se fixer dans les pays limitrophes de la la France. Leur absence se fera cependant sentir dans les familles les plus modestes, privées de ces internats scolaires qui fleurissaient dans les grandes villes de France.
La Restauration fera revenir en France quelques uns de ces religieux de la congrégation de La Salle. Mais pas tous, car ayant fondé des écoles en Italie, en Espagne ou en Belgique, les frères expulsés de France ne répondront guère aux appels pour leur retour.
3 - Bayonne accueille les Frères de La Salle.
Il faudra attendre le XIXème siècle pour voir fondé à Bayonne Saint-Esprit, en 1856, le premier pensionnat de La Salle. Au fil des avatars de l’histoire, le groupe de La salle changera plusieurs fois de quartier : viendra Saint André tout d’abord, puis la rue Thiers à l’emplacement actuel des Galeries Lafayette, avant les expulsions de 1905 de ces frères qui décident de rejoindre Saint-Sébastien pour y fonder le « Colegio san Bernardo », célèbre et d’une renommée majeure pour le nord de l’Espagne, par ses douze nationalités présentes dans son recrutement.
Ce « voyage aller » précédera un retour au pays car les Bayonnais ne se satisfont de ces expulsions et confiscations autoritaires assimilées à des vols en série des biens ayant appartenu à ces congrégations et qui rejoindront le domaine public au plus grand mépris des droits de leurs propriétaires. En 1919, les frères reviendront à Bayonne, à la fin de la grande guerre à laquelle beaucoup participèrent.
Le 18 octobre 1928 restera une date mémorable : la rentrée scolaire se fait dans une école nouvelle et un internat très apprécié des familles pour leur progéniture. La réputation désormais acquise des « chers frères de La Salle » - confondus avec quelque institut Saint-Bernard -, assure le recrutement auprès des familles.
En 1946, au terme de la seconde guerre mondiale, la propriété « Grand Vigne » est accordée aux frères des écoles chrétiennes à Bayonne. Depuis cette époque, le rayonnement de l’institut ne cessera de grandir et le recrutement des enfants augmenter au fil des ans.
On pourra se souvenir encore qu’en 1900, lors de l’Exposition Universelle de Paris, l’institut reçut de nombreux prix et récompenses pour l’originalité partagée d’une pédagogie active auprès des jeunes par les enseignants et l’équipe éducative en place au sein de ces écoles du réseau lassallien.
Le réseau actuel est actif en 80 pays du monde auprès d’un million d’élèves, assuré par plus de 5000 frères de l’institut et des civils de plus en plus présents pour accomplir leur mission particulièrement auprès des jeunes issus des banlieues pauvres, démunies ou périphériques des cités. On ne saurait oublier le coup porté par l’application des Lois laïques de Jules Ferry en 1881, puis encore en 1904 par la suppression en France de l’Ordre des frères de La Salle.
Mais qu’importe, l’institut revint en ses terres et reprit « sa mission de bâtisseur des hommes au service du bien commun de la nation et des villes du pays, d’hier à aujourd’hui. »