1 – le corps physique.
Le mois de novembre demeure le mois du souvenir et de la présence aux espaces mémoriels de nos disparus.
L’espace de la mort a changé au fil de ces décennies de modalités de l’accompagnement du défunt selon l’inhumation classique ou conventionnelle, ou la crémation et la décision de “passer à la flamme” les disparus de nos familles.
Les deux propositions existent, autorisées par le législateur qui, depuis la Loi Sueur en 2004, codifie les règles et les dispositions.
Le mort est un sujet protégé et la législation française ne donne aux prestataires des services funéraires qu’une délégation de service pour assurer le suivi et honorer les volontés des familles à l’heure ultime de l’adieu.
Les esprits évoluèrent au fil du temps.
On se souvient encore que la Grande Ordonnance de la Marine considérait “hors-la-loi toute entreprise disposant de liberté en la matière et considérant réprouvable et contraire aux bonnes moeurs” toute disposition au sujet des morts au-delà des conventions en usage et habituelle dans le pays.
Les Anglais quant à eux considéraient ces pratiques comme “un seuil de gageure source d’indignation”.
La Compagnie Royale d’assurance en France légiférera en 1787 en la matière mais ces mesures administratives n'auront à l'époque qu’une durée éphémère. Il faudra attendre l’Arrêt du Conseil d’Etat en 1818, qui autorisera “l’assurance décès en perspective de ce qui deviendra une pratique en augmentation au fil des décennies jusqu’à aujourd’hui.”
La mort entrait dans le contrat commercial d’un souscripteur, d’un assuré et de bénéficiaires désignés d’une signature officielle ayant valeur juridique engageant les partenaires de cet échange dans le temps à venir, en prévision du décès du contractant. Toute fausse pudeur d’antan ayant laissé place aux volontés testamentaires du contrat du sujet engagé dans la gestion de son décès, on vit les professionnels du funéraire, les banques, les compagnies d’assurances et les mutuelles, les notaires, la Poste s’engager dans cette voie des assurances décès, des contrats obsèques, des volontés testamentaires qui fleurissent un peu partout chez les professionnels offrant des garanties futures en prévision de la fin d’une vie, accompagnée d’assurances et de garanties écrites que les volontés du défunt soient assumées.
Le nombre de ces garanties allant croissant chaque année, l’âge des contractants diminuant de ce fait, il n’est plus exceptionnel de voir que les contrats décès ne soient plus attribués qu’aux aînés. Il n’est plus dans les usages d’attendre le jour où... il faudra y songer. Les initiatives en ce sens se multiplient.
Ce que demain nous réserve étant totalement inconnu pour tout un chacun, on observe une évolution des pratiques qui modifient le rapport à la mort marqué anciennement, et se transforme en garantie législative au bénéfice des défunts qui veulent assurer pour leur propre compte les dispositions funéraires les concernant.
Les affaires de succession et d’héritage, les vies prolongées en maisons de retraite et les difficultés au sein des familles à propos de mariages et de remariages, rendent parfois le sujet sensible aux contractants de ces assurances-décès qui préfèrent s’en remettre à eux-mêmes plutôt qu’à leur proche entourage.
La mort si longtemps considérée comme un sujet tabou, objet de pudeur et de silence entretenu dans les familles, devient l’objet d’échange avec des acteurs du commerce autour du temps de la mort, sans qu’il faille trouver en ce sujet une réprobation morale ou personnelle dont on chercherait à se préserver, sinon la considérer comme une inévitable fatalité.
Les services sociaux communaux, les secteurs attachés à la Sécurité Sociale, les institutions financières concernées, avalisent le projet des précautions prises à l’avance au bénéfice des individus pour éviter des procédures judiciaires ou légales qui complexifient la solution ultime de la gestion de la mort sans solution préalable.
Le nombre élevé de personnes - de tous âges et de toutes origines - placées sous tutelle ou curatelle prouve aujourd’hui que toute garantie au bénéfice des vivants est devenue nécessaire pour permettre à l’heure de la mort une solution digne, équitable et respectueuse de tout un chacun. Il n’est plus un secret gardé pour personne que les secteurs sanitaires accompagnent aujourd’hui des populations nouvelles en difficulté sociale et relationnelle avec leurs propres familles.
La vieillesse, la maladie, les relations inter générationnelles compliquées amplifient parfois ces rapports personnels et l’Etat et ses nombreuses institutions viennent à la rescousse des moins lotis ou abandonnés à leur destin de solitude ou d’oubli.
On connait le travail de la Sauvegarde de l’Enfance à l’Adulte qui dans la région Pays Basque-Landes réalise chaque jour ce travail discret et efficace. L’Hôpital, Santé Service et l’hospitalisation à domicile, d’autres services privés relaient à leur tour cette mission. Le nombre croissant de cabinets ou de services de Tutelle ou de Curatelle prouve et définit la nature de ces fonctions actuelles au bénéfice des plus fragiles de la vie commune, qui accomplissent dans le silence professionnel cette entreprise légitime.
2 – Le corps mystique.
Le travail technicien ne retient jamais la quête spirituelle des artistes qui colorent de leur création la destinée humaine à l’heure de la mort. En 1897, alors âgé de 28 ans, Pierre Amédée Marcel Beronneau en donne le profil par une esquisse au pastel “d’un retour de l’âme devant son Rédempteur par son Ange Gardien". Il appartenait à l’atelier de Gustave Moreau qui le considèrait comme un excellent élève, avec Desvallières, Matisse et Rouault.
D’autres, tels Maurice Denis et Odilon Redon, rejoindront ce cénacle formant le coeur catholique du mouvement symboliste.
Une société refusant la philosophie positiviste et le matérialisme ainsi que toute idéologie du progrès quand il décide de l’existence et du cadre de vie spirituelle de l’être humain...
Ces artistes rejetteront le naturalisme, tout impressionnisme et l’académisme en certains sujets existentiels. Pour ces peintres, la perte des valeurs de la civilisation, de la reconnaissance de la valeur sacrée de la nature et de la personne humaine, dominera leur travail de créateur.
Se situant dans la lignée de poètes comme Baudelaire, Verlaine, Mallarmé et Apollinaire, ils seront rejoints par des musiciens tels Wagner, Schönberg et Debussy.
Les sculpteurs de talent comme Rodin, Camille Claudel et Bourdelle viendront grossir leurs rangs, ainsi que tant d’autres peintres issus de cette inspiration spirituelle et mystique.
Les historiens de l’art citent encore Doré, Burne-Jones, Segantini, klimt,Picasso en sa période bleue, Gauguin, Vuillard, Bonnard, Ensor ou Munch.
L’Ange Gardien peint par Beronneau puise à ses sources et le peintre souligne, “Etre moderne ne consiste pas à chercher quelque chose en dehors de tout ce qui a été fait : Il s’agit de coordonner tout ce que les âges précédents nous ont apporté pour faire voir comment notre siècle a accepté cet héritage et comment il en use”.
L’ange gardien de l’artiste fait revivre l’Ange de Filippino Lippi en 1504, le travail de Botticelli, celui de Michel Ange, de Léonard, et de bien d’autres génies créatifs.
L’ange prend forme humaine mais ne se confond dans ce corps gracieux ni vestimentaire.
Être de raffinement, il est intemporel et mystique.
Les ailes sont illuminées de rayons célestes, et se rendent proches de notre état physique aimant, serviable et réconfortant.
L’ange gardien, tel un chevalier attentionné à chaque vie, mènera le dernier combat contre l’adversité de la mort, et conduira notre âme au sein de Dieu dans une incandescence amoureuse que Sainte Gertrude commentait ainsi : “O mon saint ange gardien, ne m’abandonnez pas un seul instant jusqu’à celui qui sera le dernier de ma vie, et qu’alors mon âme portée sur vos ailes trouve la paix éternelle parmi les élus” !
Du corps physique à ce corps mystique, le chemin est le même, mais distinct et personnel pour l’homme qui cherchera à le partager !