Le Pays Basque ainsi que la Gascogne furent liés de tout temps aux jeux de taureaux, au moins depuis l’arrivée des Romains… Et peut-être auparavant, avec l’antique race locale des « Betizos » qui compteraient parmi les lointains ancêtres de la blonde pyrénéenne.
Au sein de la traditionnelle Feria bayonnaise, la « corrida goyesca » du mardi de l’Assomption a connu un vif succès comme nous le relate la reseña de l’ami Yves Ugalde (voyez son article). Ce « rituel taurin » bayonnais se répète chaque été, de juillet à septembre, aux Arènes de la capitale du Pays Basque Nord.
A l’origine, il devait s’agir de lâchés de bovidés à demi-sauvages dans les rues et sur les places des villes et villages, convertis ensuite en « taureau à la corde » qui ont survécu jusqu’à nos jours en Gipuzkoa sous le nom de « Sokamuturra ». Ne garde-t-on pas la trace de trois taureaux lidiés en 1160 à l'occasion du passage du roi Sanche le Sage de Navarre dans une de ses bourgades ?
Les autorités s’y opposèrent parfois, mais les interdits n’y firent rien : à Bayonne, dès 1289, un texte menaçait d’amende les bouchers lâchant pour les faire courir taureaux et bœufs dans les rues. A Azpeitia, malgré une menace d’excommunication brandie par le pape Pie V, des « toros » furent offerts pour la canonisation de saint Ignace de Loyola en 1662 ! La Semana Grande qui s’est achevée récemment à Saint-Sébastien dans des arènes d’Ilumbe pleines à craquer prolonge l'histoire d’une ville pleine de souvenirs tauromachiques, à commencer par la place de la Constitution dont les balcons numérotés dans les maisons rappellent les « loges » louées par leurs propriétaires aux spectateurs des corridas, comme la place Gramont (actuelle place de la Liberté) à Bayonne où des courses de taureaux furent offertes en 1701 au Duc d’Anjou qui allait prendre possession de son trône à Madrid (« La Semaine » du 26 août).
Mais les premières arènes bayonnaises ne seront construites qu’en 1851, à Saint-Esprit, bourg encore séparé pour quelques années de Bayonne : elles étaient en bois et attiraient déjà des milliers de spectateurs grâce à une dérogation à la loi Grammont sur les animaux obtenue par l’impératrice Eugénie. Une plaque commémorative avait été posée il y a quelques années pour en commémorer l’anniversaire.
Ainsi, le 21 août 1853, à 3 heures de l'après-midi, Cuchares affronta seul six toros de cinq élevages différents, venus de Navarre et d'Andalousie. Brussaut, chroniqueur au Courrier de Bayonne, avait écrit à Théophile Gautier : « Venez donc, être potelé, jovial et sanguinaire, vous retremper à nos fêtes dans les flots d'héroïsme et de poésie ». Brussaut invitait en fait l’écrivain à assister à la première vraie corrida de toros donnée en France et Gautier, envoyé par le journal parisien « La Presse » en fera le compte rendu, comme pour les deux corridas suivantes, auxquelles assistaient des hôtes de marque : l'infant d'Espagne et sa famille, la princesse de Wagram, et la comtesse Voronzoff qui venait de Russie. Son compatriote, l’écrivain Tchekhov qui séjournait à Biarritz en 1897, écrivit dans sa correspondance : « Les picadors espagnols luttaient avec les vaches. Celles-ci, excitées et assez adroites, poursuivaient tels des chiens les picadors dans l'arène. Le public était enragé ».
Célébrités aux corridas bayonnaises
On y vit la princesse Soraya, la mère de l’ancien roi d'Espagne Juan Carlos. En 2003, le neveu du roi Fahd d'Arabie Saoudite, venu le 15 août voir toréer El Juli, avait demandé cinq places au premier rang et quarante juste derrière, pour les siens. En cas d'impossibilité, il se proposait de financer le lendemain une corrida privée avec El Juli, Caballero et Jimenez.
Ce succès provoquait certes des jalousies dans le voisinage, en particulier la grande rivale dacquoise qui se plaignait déjà en 1913 que Bayonne organisait sous son nez une corrida le dernier dimanche d'août, jour qui appartenait à ses fêtes de toute éternité. La réplique des Dacquois, 68 ans plus tard, en 1971, fut de monter à leur tour une corrida le 15 août, prétextant que l’Assomption tombait un dimanche cette année-là ! Le 15 août 1999, une corrida bayonnaise qualifiée d’historique, attribua trois oreilles à Cesar Rincon, José Tomas et El Juli. La réponse de Dax ne se fit pas attendre : le surlendemain 17 août, Ponce aura quatre oreilles et une queue, Morante, quatre oreilles, et Abellan, trois oreilles !
Mais ces premières arènes bayonnaises de Saint-Esprit ne dureront pas très longtemps.
Des déconvenues financières les firent émigrer en divers endroits de la ville jusqu’en 1893, lorsque les architectes Vannetzel et Duprat les construisirent à leur endroit définitif, au quartier de Malledaille. En 1910, le célèbre Joselito y a pleuré de rage pour un échec à l'estocade. Il avait 14 ans et toréait dans une troupe d'enfants-toreros de Séville. A cette époque, le Club Taurin Bayonnais organisait après la course un banquet avec des plats portant les noms des toreros: potage Mazzantini, huîtres à la Bombita Chico, palombes sauce Reverte. Le 14 septembre 1919, les aficionados mettront le feu à Lachepaillet où l’écrivain Montherlant avait pris goût à la corrida.
La raison de leur mécontentement ? La corrida s'était arrêtée au troisième toro. Les autres étaient en rade, en bas de la côte de la Négresse. Les aficionados y subiront encore quelques déconvenues : en 1921, Belmonte y torée pour la première fois : les toros, « ridiculement petits » faisaient écrire au « Courrier de Bayonne » qu’« on ne pouvait parler décemment de corrida ». En 1959, Ordoñez et Luis Miguel Dominguin affronteront des toros de Carlos Nuñez qualifiés d'opérette sous les yeux de vedettes, ambassadeurs, ministres et deux wagons de journalistes de la presse. Ordoñez coupa six oreilles et une queue, mais les toros furent si pitoyables qu’Ernest Hemingway écrivit : « Les toros étaient petits et certaines des cornes avaient été gravement trafiquées et retaillées en pointe et cirées pour avoir l'air naturelles ».
Auparavant, après l'incendie de 1919, les arènes avaient été reconstruites par l’entrepreneur hôtelier Alfred Boulant pour attirer la clientèle espagnole dans les casinos et les hôtels qu’il possédait à Biarritz.
Quelques épisodes défrayèrent encore la chronique : Cagancho, le 8 septembre 1929, paniqua devant un toro, fuit à travers la piste, s'affala par terre, voulant « rentrer sous le sable » et reçut en pleine figure la tomate pourrie de honte d’une sacrée bronca. Par ailleurs, il y eut des victimes parmi les spectateurs. Salvador Perret, un petit resquilleur de 14 ans, avait escaladé la palissade en bois des arènes de Saint-Esprit le 21 septembre 1856. Sous le coup de canne d’un spectateur, il s'écrasa par terre et mourut une semaine plus tard. Et Carlos Federico Sanchez y Aguirre, jeune Cubain d'origine basque âgé de 23 ans, en vacances à Saint-Sébastien, recevra en plein cœur au cours de la corrida du 2 septembre 1923, le descabello de Marquez qu'un coup de tête du toro de Saltillo avait fait voler dans les gradins. Le désistement à la dernière minute d'un spectateur lui avait attribué une barrière place 23 !
Les arènes seront plus tard la propriété de Marcel Dangou. A sa mort en 1977, elles seront achetées par la mairie avec pour prestataire la famille des Chopera auxquels ont succédé Alain Lartigue et Olivier Baratchart.
Alexandre de La Cerda