Une campagne irlandaise au sud de Dublin. Une petite fille de 9 ans, Cait (Catherine Clinch), est couchée, solitaire, dans la prairie. Nous sommes à l’été 1981. Cait se lève, puis prend la direction de sa maison natale, une masure triste, délabrée, en bout de champ. Ses deux sœurs aînées, Una (Joan Sheehy) et Sorcha (Tara Faughan) se moquent sans cesse d’elle.
Cait, un peu souillon, est délaissée par sa mère Mathair (Kate Nic Chonaonaigh) enceinte d’un quatrième enfant. La nuit, Cait urine dans son lit malgré les remontrances de sa mère ; à l’école, elle lit avec difficulté. Elle parle rarement, quasi muette, mais observe, silencieuse, son environnement familial peu engageant.
Son père, Athair (Michael Patric) est un feignant brutal, alcoolisé : il s’adresse aux siens avec agressivité … en anglais. Dans cette contrée d’Irlande, tous les habitants parlent le gaélique (irlandais), ce qui renforce la marginalité, et de fait, l’isolement du chef de famille dans cette société rurale soudée par la langue.
Durant les vacances scolaires, Cait est conduite par son père, à la demande de sa femme, chez une lointaine cousine, Carrie Crowley (Eibhlin Cinnsealach). Celle-ci vit avec son mari Sean (Andrew Bennett) dans une belle ferme, où ils élèvent un troupeau de vaches. Le couple, uni, est sans enfant. Les deux foyers sont très dissemblables : autant la maison natale de Cait est sombre, dénuée de tout confort, autant celle des Crowley est spacieuse, lumineuse, dotée de tout le confort moderne.
Cait, toujours aussi mutique, est prise en charge avec amour et tendresse par Carrie qui la récure, l’habille, la nourrit convenablement. C’est une rupture totale pour la fillette qui observe, toujours mutique, son nouvel environnement de ses grands yeux saphir.
Cependant, le couple aimant, actif, sans histoire cache un secret …
The Quiet Girl est le premier long métrage de fiction du cinéaste irlandais Colm Bairéad (41 ans) dont la filmographie de documentariste est reconnue. Dans ce film les dialogues sont en irlandais (gaélique), sauf les propos du père de Cait, Athair, lequel s’exprime dans un anglais fruste.
Hormis cette région agricole, au sud de Dublin, moins de 10% d’irlandais parlent couramment le gaélique (4,8 millions d’habitants en Irlande) ; la majorité de la population s’exprime en anglais malgré l’enseignement du gaélique obligatoire ! Peu de familles, dont celle du réalisateur, sont parfaitement bilingues. En dépit de ce « handicap » linguistique, le film de Colm Bairead a bénéficié d’un succès peu commun lors de son exploitation en Irlande.
The Quiet Girl (la fillette silencieuse) est un récit simple, mais sensoriel vu à travers les yeux de Cait. A la bande son maitrisée, jamais redondante (musique, bruits d’ambiance), vient s’ajouter une magnifique photo (directeur de la photo : Kate McCullough), en format « intimiste » 4/3 (1.37 :1), qui par ses cadrages très précis, souvent en gros plans, renforce la présence des personnages en les isolant de leur environnement.
Ainsi Cait, la « fillette silencieuse », au visage angélique, impassible, à l’écoute d’un monde inconnu, en apparence peu clément, s’anime dans une posture mélancolique masquant un torrent d’émotions refoulées. Par son jeu minimaliste, mais paradoxalement expressif, la jeune actrice Catherine Clinch (Cait), alors âgée de 11 ans, lors du tournage, est sidérante. Aussi partageons nous sa détresse infinie, tant il est vrai que les parents engendrent des enfants coupables (de naitre ?) qui sont innocents.
Colm Bairéad a adapté son scénario d’une des nouvelles (Foster) du recueil Les Trois lumières (Editeur, Sabine Wespieser – Traduction française 2011) de la célèbre l’écrivaine irlandaise Claire Keegan.
The Quiet Girl est un film bouleversant, rare, comme l’on en visionne peu dans les salles obscures.