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Critique de Cinéma
Sueurs froides (1958) d’Alfred Hitchcock
Sueurs froides (1958) d’Alfred Hitchcock

| Jean-Louis requena 1473 mots

Sueurs froides (1958) d’Alfred Hitchcock

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James Stewart et Kim Novak dans Sueurs froide ©
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Sueurs froides (Vertigo – 1958)

Bien informé, Alfred Hitchcock a réussi à acheter sur épreuve, avec le concours du Studio Paramount, le dernier ouvrage policier du couple d’écrivains français alors fort à la mode : Pierre Boileau (1906/1989) et Thomas Narcejac (1908/1998). Le roman s’intitule : D’entre les morts (Denoël – 1954). Durant trois ans, pas moins de quatre scénaristes travailleront à l’adaptation du roman. Seuls les deux derniers seront crédités après de multiples réécritures exigées par le réalisateur : Alec Coppel (1907/1972) et Samuel A. Taylor (1912/2000). Ce dernier est retenu pour sa grande connaissance de San Francisco, sa ville natale, où Alfred Hitchcock situe, dans cette cité portuaire aux multiples collines, l’intrigue passablement complexe.

A la lecture du dernier scénario James Stewart (quatrième film avec Alfred Hitchcock !) enthousiaste, accepte le rôle principal sans hésitation. Le rôle féminin est prévu de longue date pour Vera Miles sous contrat exclusif …. Mais elle est enceinte de son troisième enfant ! Le géniteur, « son Tarzan de mari » est l’acteur Gordon Scott (1926/2007) qui interprète ce personnage depuis des années au cinéma (de 1955 à 1960). Après des transactions difficiles (retards et cachet exigé par l’actrice), Alfred Hitchcock accepte le « prêt » de Kim Novak, star féminine du Studio Columbia lequel tente de remplacer Rita Hayworth (1918/1987) devenu « ingérable ».

Le tournage démarre le 30 septembre 1957 pour s’achever le 19 décembre 1957.

Lors d’une tragique course poursuite sur les toits, un collègue policier de John Ferguson dit « Scottie » (James Stewart) tombe en tentant de lui sauver la vie. Rongé par la culpabilité, Scottie démissionne et découvre son acrophobie (peur pathologique des endroits élevés). Il entretient une relation avec Marjorie Wood (Barbara Bel Geddes). Un ancien camarade perdu de vue, Gavin Elster (Tom Helmore), le contacte et lui demande de suivre sa jeune femme, Madeleine (Kim Novak) au comportement erratique. Elle semble possédée par l’esprit de son arrière-grand-mère maternelle Carlotta Valdes qui, abandonnée par son amant, s’est suicidée au même âge un siècle plus tôt. Scottie convalescent, d’abord hésitant, accepte.

Scottie prend Madeleine en filature et intrigué la suit dans un cimetière, puis dans un musée où elle contemple longuement le portrait de son arrière-grand-mère … Scottie se prend au jeu et suit jour après jour les déambulations de Madeleine dans San Francisco. Un jour désespérée Madeleine se jette dans la baie sous le pont du Golden Gate Bridge. Scottie la sauve de la noyade et se prend de passion pour elle. Ils vivent un amour qui semble partagé … Madeleine l’emmène dans une mission espagnole ou a vécu Carlotta Valdes. Madeleine grimpe dans le clocher mais Scottie ne peut la suivre en proie au vertige … Un cri : Madeleine s’est jetée dans le vide…

Après une longue dépression, Scottie retourne sur les lieux qu’il a fréquenté avec Madeleine. Un jour il rencontre une jeune femme Judy Barton (Kim Novak) brune un peu vulgaire qui ressemble vaguement à Madeleine. Il l’accoste … « Un deuxième film » commence…

Sueurs froides (128’) est l’intrigue la plus riche de toute la filmographie d’Alfred Hitchcock. Le roman policier d’origine, D’entre les morts, a largement été remanié par le long travail des scénaristes sous la conduite vigilante du réalisateur « j’ai un esprit fortement visuel ». C’est l’œuvre ou le réalisateur a le plus inventé de formes visuelles pour narrer un récit complexe de plus de deux heures en évitant les longs dialogues, les scènes explicatives. La photographie de son chef opérateur (Robert Burks), avec ses mouvements de caméra circulaires, ses couleurs flamboyantes, les effets spéciaux de Saul Bass (tourbillons lumineux) et la musique angoissante de Bernard Herrmann (1911/1975) dont c’est la première collaboration avec « le maître du suspense », concourent au transport du spectateur dans un univers à la fois onirique et cauchemardesque. Les costumes (Édith Head), les coiffures, les maquillages des « deux » héroïnes participent activement au déroulement de l’intrigue.

Après quelques hésitations (lors du montage final) Alfred Hitchcock a maintenu la structure originale du scénario telle qu’il l’avait arrêtée avec Samuel A. Taylor : à une demi-heure de la fin de Sueurs froides, un court flash-back (1 minutes) nous donne la résolution de l’intrigue. Ainsi, les spectateurs savent le fin mot de la manipulation dont Scottie est victime sans que lui-même à ce moment le sache. Le spectateur est en avance sur le personnage. Le suspense est le produit de cette dissonance : comment Scottie va-t-il comprendre qu’il a été berné ? Alfred Hitchcock a parié sur l’intelligence des spectateurs : dans un film policier classique l’intrigue est résolue à la toute fin du film …

Sueurs froides est un condensé de la méthode hitchcockienne portée à son acmé. Sueurs froides est l’œuvre du réalisateur qui a demandé la plus longue gestation (3 ans !), mais le résultat est éblouissant. Primo, le scénario qui ne comporte pas les « trous d’airs » assumés des films du maître (invraisemblances « effacées » par un rythme soutenu). Secundo, le travail du directeur de la photographie, Robert Burks (palette chromatique, colorisation) magnifié par le procédé Vistavision de la Paramount. Tercio, le langage visuel : mouvement de caméra circulaire à 360° et « travelling compensé » qui provoque une élasticité de l’espace perçu par Scottie, acrophobe. Quatro, la bande musicale, oppressante, impressionnante, qui fait date composée par un Bernard Herrmann inspiré. Enfin des acteurs, brillants, (malgré les réserves à postériori du réalisateur), qui ont investis totalement, mais avec nuance, leurs rôles complexes. 

Après coup, Alfred Hitchcock toujours facétieux soutiendra qu’il n’aimait pas Kim Novak (1933), parce qu’imposée par le studio Paramount en accord avec la Columbia (prêt). Il affirmera avec humour : « j’ai eu au moins la chance de la jeter à l’eau ».

Postérité d’Alfred Hitchcock

A sa sortie en mai 1958 aux États-Unis et en janvier 1959 en France, Sueurs froides ne rencontrera pas le succès critiques (hormis les Cahiers du Cinéma dithyrambiques !) ni le succès populaire. Sueurs froides ne perdra pas d’argent sans plus (budget : 2,5 millions$). Pour Alfred Hitchcock c’est un demi-échec qu’il attribuera plus tard au récit complexe « trop en avance » et à l’âge de Scottie (James Stewart, 50 ans). Sueurs froides s’est depuis hissé à la fois au sommet de la longue filmographie du réalisateur et dans les classements mondiaux des meilleurs films de tous les temps. Il y détrône quelquefois le Citizen Kane (1940) d’Orson Welles !

Après Sueurs froides, Alfred Hitchcock a réalisé quatre longs métrages remarquables qui assoiront définitivement sa renommée internationale : La Mort aux trousses (North by Northwest – 1959 – studio MGM) avec Gary Grant (1904/1986) et la blonde mystérieuse Eva Marie Saint (1924), Psychose (Psycho – 1960 – Shamley) avec Janet Leigh (1927/2004) qui l’enrichira considérablement (il est producteur de cet opus à bas coût – noir et blanc), Les oiseaux (Birds – 1963 – studio Universal) avec sa nouvelle recrue Tippi Hedren (1930) et enfin Pas de printemps pour Marnie (Marnie – 1964 – studio Universal) avec la même actrice et Sean Connery (1930/2020).

Après ces longs métrages produits à un rythme soutenu, Alfred Hitchcock toujours angoissé de ne pas avoir de projet en cours réalisera à près de 70 ans quatre longs métrages pour le studio Universal : Le Rideau déchiré (Torn Curtain – 1966), L’Étau (Topaz – 1969), Frenzy (Frenzy – 1972) tourné dans le Londres de son enfance et Complot de famille (Family Plot – 1976) sa dernière œuvre.

En une cinquantaine d’années (1925/1976) Alfred Hitchcock aura réalisé pas moins de 53 longs métrages et imprimé définitivement sa marque dans le 7 ème Art. Ce réalisateur mondialement célèbre, féru de publicité (bandes annonces humoristiques au cinéma et à la télévision) dont le nom apparaissait sur les affiches dans une taille égale de celle des acteurs, a su marier habilement, dans ses œuvres, le commercial et l’artistique. C’est cet équilibre qui a fasciné tant de réalisateurs de par le monde et nos « Jeunes Turcs » français en particulier !

Il meurt le 29 avril 1980 à l’âge de 80 ans dans sa maison de Bel Air, à Los Angeles (Californie). En arrivant eu 1939 aux États-Unis il avait le fantasme de devenir « un millionnaire américain ». A son décès, 41 ans plus tard son souhait est accompli, ô combien !

P.S : Les films et téléfilms d’Alfred Hitchcock sont édités en Dvd sous différents formats (DVD 9 ou Blu ray) à l’unité ou en coffrets.
Le « Maître du suspense » (il est plus que cela !) a généré d’innombrable ouvrages en français. Nous nous bornerons à en citer les principaux :
Hitchcock d’Éric Rohmer et Claude Chabrol – 1957 – Ramsay (le livre fondateur).
Hitchcock de Jean Douchet – Edition de l’Herne – 1985
Le Cinéma selon Hitchcock de François Truffaut - Robert Laffont- 1985 (un livre d’entretien ou le maître ravit l’élève !). Un classique.
La Face cachée d’un génie – La vraie vie d’Alfred Hitchcock de Donald Spoto – Albin Michel – 1989 (biographie fouillée à l’anglo-saxonne)
Hitchcock la Totale – ouvrage collectif – Edition E/P/A – 2019 (énorme ouvrage recensant tous les films et téléfilms avec une iconographie renversante).

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