Les contempteurs du Pays Basque et autres bascophobes avancent souvent le prétexte qu’il n’y aurait jamais eu d’Etat ni de souverain « basque » dans l’Histoire. Allégations infondées, même si l'union des Provinces basques ne fut effective qu’une seule fois au cours de leur longue existence, sous le sceptre des Rois de Navarre, en particulier le règne de Sanche-le-Grand entre l’an Mille et 1035. Au-delà, les problèmes de partages et de successions aggravés de l’esprit conquérant des dynasties voisines ne laissèrent finalement de libre à leur lointain successeur Henri III (Henri II de Béarn, puis Henri IV de France) que le minuscule appendice bas-navarrais de l’ancien grand royaume pyrénéen.
Mais le feu couvant sous la cendre malgré, de part et d’autre de la chaîne, des « fors » ou libertés coutumières - peu ou prou - respectés par les souverains espagnols et français, les revendications des Basques surgirent lorsque la Révolution française manifesta nettement moins de scrupules que les vieilles monarchies à leur égard.
Ainsi, dès 1794, lors de la campagne de Moncey et de Harispe dont les troupes de « Chasseurs basques » s’étaient enfoncées dans la vallée navarraise de Baztan et jusqu’en Biscaye, la Junte de Guipuzcoa, assemblée à Guetaria, avait demandé la formation d’un Etat neutre, sans obligation ni avec l’Espagne, ni avec la France.
Cette tentative fut durement réprimée par le commissaire de la révolution - on disait alors « représentant du peuple » - Pinet, celui-là même qui avait organisé la déportation des Basques du Labourd en février 1794, quelques mois auparavant.
Une nouvelle demande de la junte réunie à Mondragon fut étouffée aussi violemment par les révolutionnaires français.
Une quinzaine d’années plus tard, le 7 juillet 1808, après le renoncement du roi Carlos IV et de son fils Ferdinand VII à la couronne d’Espagne, Napoléon réunit à Bayonne des députés et des intellectuels espagnols pour leur faire approuver une constitution espagnole de caractère libéral. Les représentants des Provinces Basques du Sud y défendirent les libertés coutumières ou fueros de leur pays en proposant un Etat Basque au sein de l'Empire français.
Sans succès !
La « Nouvelle-Phénicie » aurait pu rassembler les Basques !
Cependant, une tentative sérieuse faillit aboutir lorsque Dominique-Joseph Garat - il s’agit de ce Garat d’Ustaritz qui avait représenté le Tiers Etat du Labourd aux Etats-Généraux de 1789 avant d’être nommé ministre de la Justice sous la Convention -, qui avait l’oreille de Napoléon, rédigea à l’intention du souverain un rapport sur les populations d’Espagne.
C’était, hélas, avant que l’Empereur ne s'enfonce dans la campagne de Russie en 1811…
Un document joint à ce rapport préconisait l'établissement d'un Etat, appelé Nouvelle-Phénicie, destiné à rassembler les populations des deux versants des Pyrénées.
La Nouvelle Phénicie, intégrée dans l'Empire, dotée de tout l'équipement impérial, réaliserait, sinon l'unité, du moins, l'union des Provinces basques, obtenue une seule fois, au cours de leur longue histoire, sous le règne éphémère de Sanche-le-Grand.
Et Garat de solliciter la tutelle directe et personnelle de l'Empereur sur ce projet de futur Etat « basque ».
Quels étaient ses arguments ?
« ... Le Basque, comme le Phénicien, ne peut voir la mer sans voir en elle une source de fortune, de gloire et de grandeur ; c'est son instinct et cet instinct devient facilement dans tous les Basques une passion. Dans les temps modernes, les Basques n'ont pas figuré dans l'histoire de la navigation en corps de peuple, comme les Phéniciens dans les temps antiques ; mais comme individus ils ont égalé ou surpassé l'audace et le courage des faits les plus éclatants dans l'histoire des flibustiers, des corsaires, des flottes, dans les récits des tempêtes et des combats qui ont eu lieu entre les deux hémisphères.
La gloire de la découverte du nouveau monde est restée à Colomb ; les Basques la lui ont disputée et l'auraient, je crois au moins, partagée avec Colomb s'ils avaient su comme lui parler à l'Europe et s'en faire entendre... »
Or, à l’époque, les Anglais imposaient un sévère blocus à la France dont la flotte et les arsenaux – patiemment reconstitués sous Louis XVI - avaient énormément souffert de la désorganisation coupable des autorités révolutionnaires qui livrait une marine affaiblie au plus redoutable des amiraux ennemis, Horatio Nelson. Ce dernier, malgré la bravoure désespérée des marins français (parmi lesquels un Dalbarade, de la famille des corsaires biarrots) avait détruit une partie de cette flotte lors de la bataille d’Aboukir en août 1798, privant de toute communication avec la métropole Bonaparte en pleine campagne d’Egypte…
Garat savait donc que les projets politiques nourris à l’égard de son Pays Basque natal auraient l’oreille de l’empereur : « ... des escadres et des flottes ne se créent pas en un instant, mais tandis qu'ils seraient sur les chantiers on en formerait les équipages des deux Biscayes sur les corsaires qu'on lancerait bientôt sur toutes ces mers placées précisément sur la route des deux Indes en Angleterre (…) On reverrait sur l'océan ce qu'on n'y voit plus depuis un siècle, une vraie guerre de flibustiers ; elle désolerait la marine marchande des Anglais et formerait les équipages qui sur nos escadres et sur nos flottes ne tarderaient pas à combattre et à vaincre la marine militaire de ces dominateurs insolents des mers. »
Hélas, la retraite de Russie en 1812 et la déconfiture des armées napoléoniennes en Espagne ne permirent pas à Garat de faire aboutir auprès de Napoléon ce projet d’Etat basque. Sans cela, qui sait, peut-être habiterions nous aujourd’hui dans une Confédération Basque, comme la Confédération Helvétique ou suisse dont Napoléon avait déjà imposé en 1803 l’Acte de médiation. Il portait d’ailleurs à cette occasion le titre de « Médiateur de la Confédération suisse »…