Jeudi 15 février à 19h à la ferme Inharria (quartier Ibarron de Saint-Pée-sur-Nivelle), l'association Culture et Patrimoine Senpere organise une conférence "Dans les pas des frères d'Abbadie du Pays Basque à l'Ethiopie" présentée par Jean Sauvaire et Frédéric Soulu (en partenariat avec le Lions club Infante de Saint-Jean-de-Luz).
Deux frères d’exception, Antoine et Arnauld d’Abbadie partent douze ans au royaume de la reine de Saba, la mystérieuse Ethiopie, à la découverte des sources du Nil Blanc. Des aventures extraordinaires, des souvenirs précieux conservés au château d’Abbadia, la riche moisson d’un voyageur savant et d’un guerrier coureur de hasards.
La participation demandée à l'entrée est de 10 euros, somme entièrement reversée au profit de l'association Haur-Er, les dons étant destinés à faciliter, égayer la vie des enfants de tous âges hospitalisés sur la côte basque et leur apporter de la distraction par des jeux, des spectacles, des sorties ou par tout autre moyen.
Inscription conseillée sur le site de l'association : cultureetpatrimoinesenpere.fr
La "saga" des Abbadie d’Arrast (extraits de mon livre "Histoires extraordinaires du Pays Basque" (Ed. P. Basque, 2010)
En bifurquant vers l’Ouest depuis le rond-point où la route d’Urrugne rejoint celle de la Corniche à l’entrée de la plage hendayaise, on rejoint le « sentier littoral » qui relie à Sokoa la pointe de Sokoburu. Là se trouve un des accès à ce paysage légendaire sculpté par la mer et les vents, au faîte couronné d’un castel improbable par Antoine d’Abbadie qui avait fait appel au célèbre architecte Viollet-le-Duc afin de construire (entre 1864 et 1879) sa folie néo-gothique de « style irlandais », et à sa quête des sources du Nil Bleu en Ethiopie pour en parsemer les murs de boas, crocodiles et autres exotismes de pierre sculptée !
Entre l’océan sauvage qui bat sans répit les hautes falaises, les vertes prairies tachetées de nonchalantes brebis qui lui rappelaient l’Irlande de son enfance où son père, gentilhomme souletin, avait fui la tourmente révolutionnaire de 1789, et l’écrin montagneux de La Rhune, des Trois-Couronnes et du Jaïzkibel, le savant s’était consacré à dresser la carte du ciel du haut de son observatoire… En redonnant de la vigueur aux traditions culturelles basques de ses origines familiales, en particulier la langue qui avait déjà mobilisé les efforts de son père Michel d’Abbadie, mécène de grammairiens euskariens dès son retour en France sous la Restauration.
Antoine d’Abbadie et la tradition basque
Fils de notaire royal, maître de la maison abbatiale d'Arrast en Soule, Arnauld-Michel d'Abbadie fuit la révolution française - comme beaucoup de chrétiens basques - pour se réfugier, à l'âge de vingt et un ans, dans la catholique Irlande ; il y fit sans doute bonne figure et belle apparence, à défaut d'abondance de biens, puisqu'il épousera Elisa Thompson of Clark, héritière de l'un des principaux armateurs de l'île. D'une nature brave et intrépide - toutes qualités qu'il léguera à ses fils - Arnauld-Michel d'Abbadie reconstituera sa fortune grâce aux navires de son beau-père et à la fourniture d'armements à la France napoléonienne via le port de Bilbao et, ce n'est pas le moindre paradoxe, par-dessus la tête de l'Angleterre, puissance assiégeante, dont dépendaient pourtant ses sujets irlandais !
C'est lui également qui suscitera l'intérêt de ses fils pour les études basques, en appuyant les travaux de l'abbé Darrigol et lui faisant obtenir en 1827 le prix Volney de l'Académie Française pour sa "Dissertation critique et apologétique sur la langue basque".
De ses six enfants, dont trois fils, l'aîné, Antoine, sera le savant constructeur du château de Zubernoa - Abbadia - à Hendaye, où il est enterré. Il n’a pas laissé de descendance.
Michel-Arnauld, le « Ras Mikaël », décèdera quatre ans avant son frère, en son château d'Elhorriaga à Ciboure, aujourd'hui hélas détruit, laissant onze enfants (sa petite-fille Eléonore, ancienne secrétaire d'ambassade au Canada, s'est éteinte accidentellement à Ciboure il y a quelques années, à l'âge de quatre-vingt-neuf ans), et de lui descendent les actuels membres de la famille, établis pour la plupart dans le Sud-Ouest.
Enfin le plus jeune, Charles, malgré son jeune âge, partira à la recherche de ses frères que l'on croyait disparus en Ethiopie. Il acquit plus tard le château d'Etchauz à Baïgorry dont il devint conseiller général. Son petit-fils et dernier héritier, le cinéaste Harry d'Arrast, y entraînera son ami de Hollywood, Charlie Chaplin.
Le savant constructeur d’Abbadia
Beaucoup d’écrits - et une pastorale souletine - ont été consacrés à la destinée peu commune d’Antoine d’Abbadie, cet original découvreur d'astres et de terres lointaines qui se hasardait également à des prédictions après avoir fréquenté la célèbre voyante Marie-Anne Lenormand.
Embarqué à Lorient sur la frégate « Andromède » avec Louis-Napoléon, Abbadie - pour observer des phénomènes astronomiques - et le prince en tant que proscrit politique après sa malheureuse tentative de coup de force à Strasbourg, le futur explorateur de l'Ethiopie donna rendez-vous aux Tuileries au futur Napoléon III en lui annonçant qu’il « serait appelé à gouverner la France » !
Seize ans plus tard, au nouveau président de la République, Antoine d'Abbadie rappela que ce n'était pas à l'Elysée mais aux Tuileries qu'il lui avait donné rendez-vous : « L'Elysée, lui répliqua le prince, n'est pas loin des Tuileries ».
L'anecdote est confirmée - en termes aussi vagues que prudents - dans une lettre adressée par Louis Napoléon à sa mère lors d'une escale à Madère, le 12 décembre 1836 : « Il y a à bord (...) un savant de vingt-six ans, qui a beaucoup d'esprit et d'imagination mêlés d'originalité et même d'un peu de singularité : par exemple il croit aux prédictions et il se mêle de prédire à chacun son sort.
Il ajoute une grande fois au magnétisme, et il m'a dit qu'une somnambule lui avait prédit, il y a deux ans, qu'un membre de la famille de l'empereur viendrait en France et détrônerait Louis-Philippe. Il va au Brésil faire des expériences sur l'électricité... »
A la suite d’un séjour de onze ans en Abyssinie qui lui aura fait étudier les sources du Nil et publier un dictionnaire de la langue amharienne, Antoine d’Abbadie sut également retrouver et cultiver l'authenticité de son terroir, auquel il ancrera son château hendayais et sa passion pour le maintien des traditions basques.
Mais il serait juste d'y associer pleinement son frère Michel-Arnauld qui, non content d'accompagner son aîné de cinq ans, jouera souvent auprès de lui un rôle "protecteur".
"Le 25 août 1837, écrivait-il, après avoir bu dans le creux de ma main une gorgée de l'eau salutaire du Nil en faisant le vœu de me désaltérer à ses sources mystérieuses, je donnai à mes chameliers le signal du départ, et notre caravane s'éloigna bientôt de Kéneh, en Egypte, pour s'engager dans le désert. Un prêtre piémontais, un anglais et deux domestiques, Domingo et Ali, l'un basque et l'autre égyptien, formaient avec mon frère et moi, notre troupe aventureuse. Le plus âgé d'entre nous pouvait avoir vingt-sept ans, le plus jeune, dix-sept".
En fait, il favorisera les études de son frère, en le précédant pour lui préparer le terrain, par la flatteuse réputation dont il jouissait auprès du souverain éthiopien et de ses dignitaires, ce qui lui avait valu le surnom de "Ras Mikaël". Parfois il tirera Antoine de situations difficiles ou d’échauffourées.
D'ailleurs ce dernier reconnaissait que son cadet, "né pour commander, prenait son parti rapidement et s'exprimait sur un ton qui n'admettait pas la contradiction".
Ensemble, ils reçurent à leur retour la plus haute distinction attribuée par la Société de Géographie, la médaille d'or, et consacrèrent également leur temps et leurs ressources au maintien de la langue et des traditions basques, faisant plus tard écrire à Pierre Benoît: "Toute une partie des vertus de l'âme basque, à la fois mystiques, forcenées, pratiques, risquerait de demeurer dans l'obscurité, s'il n'y avait eu l'histoire de ces deux frères, Antoine et Arnauld, partis tous deux pour l'Ethiopie, à la recherche du "Prêtre Jean" d'alors. Si la France jouit encore, dans cet empire voué au plus éclatant avenir, d'une situation qui aurait pu être à tout jamais prépondérante, c'est à eux qu'elle continue à la devoir, à Antoine, l'homme de science pur et désintéressé, à Arnauld, le paladin dont la geste demeure inscrite pour toujours dans les fastes des annales abyssines !"